vendredi 14 août 2009

Céline bio par Patrick Besson

Le Point, 13/8/2009 : Les biographies sont trop chères, surtout vu le peu de temps que dure une vie : quelques secondes. Gérard de Cortanze eut naguère la bonne idée de proposer à Antoine Gallimard des bios en poche. Les pauvres de nous auraient enfin les moyens de prendre connaissance de la vie brève des célébrités. J'avais déjà lu, dans la collection « Folio Biographies », le « Balzac » de François Taillandier et le « Cohen » de Franck Médioni. Deux textes de qualité malgré la modicité notoire des à-valoir proposés par Cortanze. La littérature survivra à tout, car elle est faite, comme l'Eglise catholique, par des gens désintéressés, qu'ils soient écrivains, critiques ou employés d'édition. Même les patrons, dans un autre secteur, gagneraient mieux leur vie. On sent que ça en mine certains. Pas de noms. Ils se reconnaîtront. Quand j'ai vu, à la Fnac-Italie, le « Céline » d'Yves Buin, j'ai d'abord regardé le nombre de pages : 480. Deux fois moins que Vitoux et trois fois moins que Gibault, souvent cités par Buin. Je ne comprends pas pourquoi les biographies d'écrivains sont si volumineuses. Ont-ils une vie plus remplie que celle des hommes illustres de Plutarque, dont aucune ne dépasse les 50 pages ?

Yves Buin est psychiatre. Pour Céline, c'est mieux. Il suit, avec une vague stupeur amusée, les pérégrinations du cuirassier endurci Destouches. Céline a repris en 1932, dans « Voyage au bout de la nuit », l'invention de Proust : l'autofiction. Comme c'étaient deux grands masturbateurs, on pourrait dire l'autofriction. On se perd dans les biographies de ces auteurs, car leur vie inventée vient sans cesse parasiter leur vie réelle, tant la première ressemble, en mieux, à la seconde. Proust a éclairci le tableau et Céline a noirci le sien : chacun ses dégoûts. Deux athées, donc deux jouisseurs, donc deux désespérés. Célibataires ontologiques ( «... j'ai envie d'être seul, seul, ni dominé, ni en tutelle, ni aimé, libre. Je déteste le mariage, je l'abhorre...», Céline, lettre à Edith Follet), l'un finira avec sa bonne, l'autre avec sa bonne troisième femme. Malades : dans « La recherche », Proust atténue son asthme, alors que, dans la dernière partie de son oeuvre, Céline sublime ses acouphènes. Et se prétendra trépané, alors qu'il avait été opéré au bras, où ne siège le cerveau de personne, pas même celui des antisémites.

A 22 ans, Céline reste au Cameroun dix mois qui deviendront cinq chapitres dans le « Voyage ». Il attrapera la malaria et la dysenterie, refusant le principal remède local : le pastis pur. Il n'aura aucune maîtresse africaine, unique faiblesse de son oeuvre. Ses années les plus heureuses furent celles où il vécut rue Lepic avec la petite femme américaine de sa vie (Elisabeth Craig, 1,55 mètre), qui le quitta parce qu'elle ne voulait pas qu'il la voie vieillir. C'est pourtant, pour un homme amoureux, un spectacle charmant. Et, pour les jaloux, un bon remède : ils ont de moins en moins peur d'être trompés.

A lire:
>>> La réaction du Lapinos.

1 commentaire:

  1. Au plan politique c'est assez intéressant, car si Céline n'a presque plus que des ennemis, Houellebecq et Besson, écrivains sponsorisés par Lagardère étant deux exemples récents, ces attaques sournoises (au moins Sartre a pris le risque de récolter une réputation de ténia) illustrent qu'il n'y a plus de culture populaire en France, du moins de culture populaire qui ne puisse se passer de l'"imprimatur" des autorités gouvernementales.

    La haine du bourgeois vis-à-vis de Céline (l'indifférence de BHL est beaucoup plus rusée) m'évoque la haine des aristocrates russes blancs dégénérés vis-à-vis de Raspoutine. Ils imputent eux aussi toute la responsabilité de la catastrophe dans laquelle ils ont entraîné leur Empire à un homme du peuple, quasiment le seul pacifiste authentique qui a voué à l'enfer l'aristocratie belliciste russe.

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