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Yves Buin est psychiatre. Pour Céline, c'est mieux. Il suit, avec une vague stupeur amusée, les pérégrinations du cuirassier endurci Destouches. Céline a repris en 1932, dans « Voyage au bout de la nuit », l'invention de Proust : l'autofiction. Comme c'étaient deux grands masturbateurs, on pourrait dire l'autofriction. On se perd dans les biographies de ces auteurs, car leur vie inventée vient sans cesse parasiter leur vie réelle, tant la première ressemble, en mieux, à la seconde. Proust a éclairci le tableau et Céline a noirci le sien : chacun ses dégoûts. Deux athées, donc deux jouisseurs, donc deux désespérés. Célibataires ontologiques ( «... j'ai envie d'être seul, seul, ni dominé, ni en tutelle, ni aimé, libre. Je déteste le mariage, je l'abhorre...», Céline, lettre à Edith Follet), l'un finira avec sa bonne, l'autre avec sa bonne troisième femme. Malades : dans « La recherche », Proust atténue son asthme, alors que, dans la dernière partie de son oeuvre, Céline sublime ses acouphènes. Et se prétendra trépané, alors qu'il avait été opéré au bras, où ne siège le cerveau de personne, pas même celui des antisémites.
A 22 ans, Céline reste au Cameroun dix mois qui deviendront cinq chapitres dans le « Voyage ». Il attrapera la malaria et la dysenterie, refusant le principal remède local : le pastis pur. Il n'aura aucune maîtresse africaine, unique faiblesse de son oeuvre. Ses années les plus heureuses furent celles où il vécut rue Lepic avec la petite femme américaine de sa vie (Elisabeth Craig, 1,55 mètre), qui le quitta parce qu'elle ne voulait pas qu'il la voie vieillir. C'est pourtant, pour un homme amoureux, un spectacle charmant. Et, pour les jaloux, un bon remède : ils ont de moins en moins peur d'être trompés.
A lire:
>>> La réaction du Lapinos.
Au plan politique c'est assez intéressant, car si Céline n'a presque plus que des ennemis, Houellebecq et Besson, écrivains sponsorisés par Lagardère étant deux exemples récents, ces attaques sournoises (au moins Sartre a pris le risque de récolter une réputation de ténia) illustrent qu'il n'y a plus de culture populaire en France, du moins de culture populaire qui ne puisse se passer de l'"imprimatur" des autorités gouvernementales.
RépondreSupprimerLa haine du bourgeois vis-à-vis de Céline (l'indifférence de BHL est beaucoup plus rusée) m'évoque la haine des aristocrates russes blancs dégénérés vis-à-vis de Raspoutine. Ils imputent eux aussi toute la responsabilité de la catastrophe dans laquelle ils ont entraîné leur Empire à un homme du peuple, quasiment le seul pacifiste authentique qui a voué à l'enfer l'aristocratie belliciste russe.