jeudi 15 octobre 2009

Louis-Ferdinand Céline aux courses par Christophe Donner

Cheval.blog.lemonde.fr, 12/10/2009 : Depuis hier soir, ma femme s’est prise de passion pour Louis-Ferdinand Céline. Je lui avais pourtant recommandé Mort à Crédit, il y a quelques années, mais ça n’avait pas pris. Et là, sans crier gare, hier soir, la voilà ti pas qu’elle s’installe au lit avec mon Pléiade. « Voyage au bout de la nuit » l’enchante. Et page 55, comme de juste, elle s’écrie : « Oh, il parle des courses ». Je fais le malin, l’air de dire, bien sûr que Céline parle des courses, tous les écrivains un peu déniaisés parlent des courses. Comme si je connaissais le passage par cœur…

Mais à la relecture, je me rends compte de l’importance des courses dans l’œuvre et dans la vie de Céline. Comme cela apparaît dans l’extrait suivant, c’est bien à Longchamp, pendant la guerre, et grâce aux courses que Céline a séduit Lola, la jeune infirmière américaine…

« Nous allâmes ce jour-là vers le champ de courses. On rencontrait encore dans ces parages des fiacres nombreux et des enfants sur des ânes, et d’autres enfants à faire de la poussière et des autos bondés de permissionnaires qui n’arrêtaient pas de chercher en vitesse des femmes vacantes par de petites allées, entre deux trains, soulevant plus de poussière encore, pressés d’aller dîner et de faire l’amour, agités et visqueux, aux aguets, tracassés par l’heure implacable et le désir de vie. Ils en transpiraient de passion et de chaleur aussi. Le Bois était moins bien tenu qu’à l’habitude, négligé, administrativement en suspens.
« Cet endroit devait être bien joli avant la guerre, remarquait Lola. Elégant ? … Racontez-moi, Ferdinand ! Les courses ici ? … Etait-ce comme chez nous à New York ? …
»

A vrai dire, je n’y étais jamais allé, moi, aux courses, avant la guerre, mais j’inventais instantanément pour la distraire cent détails colorés sur le sujet, à l’aide des récits qu’on m’en avait faits, à droite et à gauche.Les robes… les élégantes… Les coupés étincelants… le départ… Les trompes allègres, et volontaires… le saut de la rivière, Le Président de la République… La fièvre ondulante des enjeux, etc.

Elle lui plut si fort ma description idéal que ce récit nous rapprocha. A partir de ce moment elle crut avoir découvert Lola que nous avions au moins un goût commun, chez moi bien dissimulé, celui des solennités mondaines. Elle m’en embrassa même spontanément d’émotion, ce qui lui arrivait rarement, je dois dire. Et puis la mélancolie des choses à la mode révolues la touchait. Chacun pleure à sa façon le temps qui passe. Lola c’était par les modes mortes qu’elle s’apercevait de la fuite des années.

« Ferdinand, demanda-t-elle, croyez-vous qu’il y en aura encore des courses dans ce champ-là ?
Quand la guerre sera finie, sans doute, Lola… Ce n’est pas certain, n’est-ce pas ? … Non, pas certain…
«Cette possibilité qu’il n’y eût plus jamais de courses à Longchamp la déconcertait. La tristesse du monde saisit des êtres comme elle peut, mais à les saisir elle semble parvenir presque toujours. »

On sait que Lola finira par le quitter, mais Céline aura eu cette expérience bien dans son caractère : raconter les courses sans y être allé, séduire sur un mensonge. Bel escroc.

1 commentaire:

  1. Le lecteur qui affiche publiquement être un fidèle célinien fera l’objet de remontrances, souvent basées par des fondements d’ignorants, dont le noyau est l’antisémitisme de Céline de par ses écrits pamphlétaires. Que m’importe ! Céline est encensé et détesté —et je partage les avis contraires— mais nul ne peut dénier son génie littéraire qui a bouleversé la littérature du vingtième siècle avec la parution du Voyage. Je ne partage évidemment pas certaines haines hallucinées de l’auteur mais son œuvre ne s’arrête pas à du racisme primaire. Céline en rajoutait beaucoup et aimait cultiver la confrontation et le mépris. Céline c’est surtout un phrasé incroyable, une musique particulière, un humour truculent, de la poésie, de la féérie et une vision magistrale de l’humain dans toute sa noirceur. Reproche-t-on les pensées de Lovecraft qui, à mon avis, distillait des idées xénophobes dans une cosmologie aryenne et mystique. Céline, le fossoyeur social, a surtout dérangé par un génie incommensurable. Ainsi, je suis célinien et fidèle depuis un saisissement inouï à la lecture de Mort à Crédit. La polémique sur le reste ne m’intéresse pas ou peu. Cessons de taper sur les morts et jugeons plutôt les politiques actuelles qui ne me semblent guère crédibles pour nous rendre une belle morale d’humanité et de fraternité.

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