
Attentif et vindicatif
Une correspondance miroir qui tour à tour offre un puissant démenti aux mythologies inlassablement répétées sur sa personne et réorchestre les obsessions lancinantes des romans : on découvre un jeune garçon un peu gauche et déjà lyrique qui s'adresse avec respect à ses parents, un soldat envoyé sur le front avec une ferveur toute patriotique, un carabin obsédé d'hygiène et d'asepsie, un voyageur infatigable missionné par la SDN, un confident doux et protecteur auprès de ses amies femmes, un gouailleur obscène lorsqu'il parle aux hommes des « affaires romantico-génitales », un mari tendre et affectueux lorsqu'il écrit de sa prison danoise à Lucette, un admirateur sensible pour tous les écrivains qu'il tient en estime et un professeur délicat quand il en vient à parler de son art, mais aussi un vindicatif, le plus redoutable des vindicatifs, quand il se sent attaqué et dénigré. Une correspondance qui retrace chronologiquement une vie d'errances et de cataclysmes : les déconvenues du couple parental « déclassé socialement », les années de guerre, le refus scandaleux du Goncourt, l'hallali contre « Mort à crédit », les inacceptables prises de position idéologiques, l'antisémitisme, l'exil, les onze mois de prison, l'assignation à résidence sur les rives glacées de la Baltique, l'indignité nationale, les campagnes de presse contre son retour en France et enfin la longue conspiration du silence.
Sous les rafales infaillibles se révèle un épistolier de génie qui maintient dans ses lettres une vision aiguë de la détresse humaine et un effort de stylisation. Pour ceux qui voudraient tenter l'expérience sans rien savoir du sacerdoce qu'est l'écriture, Céline avertit : « Chie pas juste qui veut ! » Cette correspondance, dans son intensité et son électricité, rappelle celle de Voltaire.
(1) Ainsi appelait-il Jean-Paul Sartre.
Isabelle Bunisse
« Céline, Lettres (1907-1961) », Bibliothèque de La Pléiade, éd. Gallimard, 2080 p., 2009.
Soutenez Le Petit Célinien en passant commande via Amazon.fr.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire