samedi 16 janvier 2010

Céline, Garcin, Sollers...

Le Choc du mois, Janvier 2010 : Quel plumitif n'a pas son opinion arrêté sur Céline ? Des pseudo-filiations aux hommages féconds, chaque mois découvre de nouveaux commentateurs. Deux exemples parmi d'autres.

Deux bouquins Éditions de L'Écriture, octobre 2009, commençons par les Lettres à Joseph Garcin (1929-1938) réunies et présentées par Pierre Lainé... 129 pages. Superbe...
D'abord c'est du Céline, le type dont dix lignes vous en donnent déjà pour vos 15,95 euros TTC, ce qu'a compris depuis longtemps l'avisé Brami, responsable de la collection. Vingt-huit lettres à Garcin, honorable gérant de bordels, engagé volontaire en 14, blessé, un type «près de l'os », pas un bourge élevé en lycée, papa des aciéries et maman qui reçoit à cinq heures... Dois-je vous faire un dessin, le Bardamu et lui se comprenaient comme gros cochons, gros filous... Pas les avoir connus ça assombrit ma Ricoré ce matin... Les potes de la bande se faisaient descendre à Londres, bastos dans le buffet, glissaient rue Blondel, le crâne éclaté sans qu'il y eût plaque et fleurs séchées quand j'y traînais un peu plus tard...

Ensuite le travail de Pierre Lainé est au poil, il est costaud, il a fouillé, il ne juge pas... Fouiller, toujours sensationnel avec le Ferdinand, toujours mine d'or, toujours archéologie – il faut dire aujourd'hui archéo – Vous ramassez à poignées ce qu'il est allé chercher au bout du bout, Quinine et Sanogyl, Clichy et Bambola, Stalingrad et New-York, cuisses, entrecuisses jeunesse pas carte senior...

Ne pas juger, là c'est le point fort, l'essentiel. Ceux qui jugent Céline, j'allais écrire « sont des salauds » ce serait une faute, agressif, trop vague, contre productif... Gens emportés morale et routine, qui commettent une erreur de parallaxe, se laissent à la haine habillée de « logique », « morale », « raison »... La haine, normal, la faute « mécanique », intellectuelle, pas bien... Ne jugez pas, c'est pas moi qui le dis... Une balle dans la tête ça aurait évité pas mal de toutes ces conneries et c'est pas fini... Personne a osé. Tant mieux.

Donc le truc à lire, vous pouvez l'acheter... L'autre, pas pareil, inutile même de le voler... Il s'agit de Sollers – Céline, même éditeur, 14,95 euros – 108 pages.

Lui, il juge, pire il explique, il essaye, il se plante grave, exemples clairs, je cite: «... son biologisme – c'est ainsi qu'il faudrait définir son racisme – me paraissait en total désaccord avec son génie d'écrivain...» Propos consternant pour ce que l'on peut en entrevoir, entraver auraient dit Garcin, Gen et Mahé... Quel rapport entre «génie d'écrivain» et «morale»? Tragiquement obscur ou tragiquement clair... La morale, c'est pas marrant, c'est papa, c'est maman, l'épouse, le curé, Monsieur le Maire... Vous voyez de l'art dans cette équipe façon Domenech? Le «génie», pour ce qu'on peut en percevoir, c'est la bonde lâchée, cage ouverte, boulot et maîtrise, liberté, impossible à mettre en disserte avec plan, «valeurs», «savoir-vivre»... De toute façon Céline est bien davantage qu'un «simple» génial écrivain... Il porte dans les brumes de Pigalle et Klarskovmachin la houppelande de sang et de merde d'une espèce qu'on ose même pas regarder en face, la nôtre. Dos au mur il s'est vite sapé pour le bal des maudits. Harlequins, c'est bien aussi, moins de cors aux pieds, La Veillée des Chaumières, plus de dragées, Martial ou pas.

Mais le Professeur S... se raccroche aux branches, assène: «... il faut commencer par dire que Voyage au bout de la nuit est un chef d'oeuvre ». Effectivement... Apprenez cette phrase par coeur pour les dîners parisiens avec le poil de soufre qui ajouté à la disparition de la cravate et une barbe de trois jours vous ouvrira les guibolles de ces dames ou le grimpant de ces messieurs pour les mecs en pointe...

Un dernier route et je ne suis que page 10: «Mea Culpa, pamphlet publié à son retour d'URSS, à mon avis essentiel pour comprendre la suite de la trajectoire de Céline.» Effectivement, notre voyageur parti boulotter ses droits d'auteur au pays d'Elsa et Loulou a tout compris douze ans avant le procès Kravchenko, Palais de Justice de Paris pollué par des staliniens gibier de Légion d'Honneur. Il avait écrit : «La vérité n'est plus d'époque» . Il aimait prévoir... Ce n'est pas lui qui contesterait que nez sur le truc et mains dans le cambouis, je suis poli, sont nécessaires mais, Professeur Philippe, à quarante-deux ans, il a alors déjà fait quasiment le tour du monde des saloperies humaines... Vous vous trompez, remettons la question à l'endroit: «Inné» et «acquis», ses collections de bagages impedimenta divers lui ont tout fait piger illico ce qu'il savait... Son guide avait un si joli nom... Stalingrad, au bistrot, à l'hôtel, dans la rue, sur la tronche des gens, les nuages, les soviétiques nuages, partout le plomb, le flic, la mort... Gide avait senti comme un désagrément pour ses délicatesses dans l'oeil des jeunes porteurs à la gare... Grand chien truffier, c'est dire... Quant à Barbusse il y est carrément mort, vraiment le type qui ne fait pas de concessions... C'est comme ça qu'on les aime les littérateurs, mains calleuses, stupre Forts des Halles et Montmartre, pas les gandins du Flore, porte-cigarette, huit euros le chocolat... je sais, attaque facile.

Céline, ton œil mobile, ta main impitoyable vont donner dans les siècles à manger et à boire à beaucoup de monde. Bienfaiteur de l'Humanité, avoue que tu l'as cherché... Non, tu veux pas avouer? Décidément tu changeras jamais.

Bernard Gasco

>>> Céline, Lettres à Joseph Garcin, Éditions de l'Archipel, 2009.
>>> Philippe Sollers, Céline, Éditions de l'Archipel, 2009.

1 commentaire:

  1. pourquoi n’ai-je pas lu cet article plus tôt? deux mots sur ce Céline de Sollers. ne vous y trompez pas. l’avisé Brami qui dirige cette collection n’a pas fait son travail sur ce spécimen. inutile de le voler en effet. inutile d’aller au bout de sa lecture comme je l’ai fait. "tout doit être brutal..." s’intitule l’avant dernier chapitre de ce pitoyable Sollers, peut-être le plus mauvais, mais les avis seront partagés tant le champ de la médiocrité y est exploré. qu’à cela ne tienne. citations en veux-tu en voilà. certaines sont mêmes doublées, car Sollers se répète au fil des années avec les mêmes références. ce bouquin est un assemblage low cost (pas pour le lecteur, mais pour l’éditeur) sorti dans l'empressement et qu’il faut bien qualifier d’escroquerie à pas moins de 15 euros. un chichi trouducuesque qui me reste en travers de la gorge.

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