« Je suis en guerre contre tous. Comme tous furent solidaires pour essayer de me réduire à rien. » Le propos est de 1937 et Céline l'adresse à Marie Canavaggia, l'amie qui lui sert de secrétaire. Il aurait pu le tenir en 40, jusqu'au bout de sa vie, dans l'apparent assagissement des années à Meudon. Il a tout fait pour être en guerre.
Les lettres choisies, relues et éditées par Henri Godard et Jean-Paul Louis couvrent les années 1907 à 1961, donnent à entendre les voix plutôt que la voix d'un écrivain extraordinaire, et d'un homme qui s'est égaré de la pire façon au pire moment de son siècle. Il y a donc autant de Céline que de destinataires, et surtout de périodes. « Céline est un aérolithe dont nous n'avons pas fini de faire le tour » écrit Godard dans sa préface.
[Mot illisible] d'abord un enfant sage, un patriote convaincu qui écrit à ses parents. Le Destouches des années vingt devient l'écrivain que l'on sait, l'auteur du Voyage au bout de la nuit, un « Goncourt dans un fauteuil » assure-t-il à son éditeur. Viennent les années du Front populaire conduit par « Zizi » (suggestif surnom de Léon Blum) et Céline entre dans une forme de délire qui ne le quittera plus guère jusqu'après la guerre. Les années d'exil au Danemark donnent lieu à des lettres pleines de ressentiment, dans lesquelles le solitaire qu'il n'a jamais cessé d'être se plaint de son sort et attend l'amnistie qui le ramènera en France. Ce qui se produit en 1951. Reclus à Meudon, tel qu'on le voit sur les photos et dans certains films, il passe son temps à écrire ses derniers romans, évitant les contacts. Il n'aura jamais eu le téléphone chez lui.
La peur du contact, de la salissure, c'est peut-être ce qui a travaillé l'enfant du passage des Bérézina tout au long de son existence. L'odeur de pâtes trop cuites, celle de l'urine devant la boutique maternelle, toutes les odeurs du corps, voilà sans doute ce qui a au fond dérangé ce médecin obsédé par l'hygiène et la bonne santé : « Nous périssons non seulement de raclée militaire, d'alcoolisme invétéré, de vinasserie inondante, d'égoïsme absolu, de juiverie forcenée, de boustifaille éperdue, mais surtout, avant tout, de notre haine de tout lyrisme. » On est en août 40.
Quand on lit certaines lettres sur la France des années trente finissant, voire des lettres évoquant les Allemands occupant la France, on retrouve ce dégoût pour les corps qui se tiennent mal, pour la saleté. Céline aimait la danse, l'aérien, et tout le ramène à la fange, à ce qui se délite ou se défait. La scatologie et le lexique argotique traduisent le tourment de notre épistolier. Et le lecteur qui suivrait le fil chronologique et s'attarderait sur les années quarante se noiera dans une autre boue, avec l'impression de n'en pouvoir sortir , on y reviendra.
Toutes les lettres n'ont pas un égal intérêt. Celles aux amis hommes sont souvent moins riches que celles qu'il adresse aux femmes. Dans les premières années, il est encore sentimental, capable de dire un amour. Il faut attendre l'après-guerre pour lire les meilleures lettres sur l'écriture émotive, l'un de ses motifs favoris, et pour retrouver ce style célinien, si souvent imité mais unique. Le côté appliqué que l'on trouvait dans les années de jeunesse et jusque 45 a disparu, comme si l'œuvre romanesque imprégnait le style épistolaire. Les lettres n'excluent aucun sujet , on retient toutefois quelques constantes, voire du ressassement. Céline doit souvent se défendre contre ce qu'il considère comme de la calomnie et il se présente à de très nombreuses reprises comme un ancien combattant médaillé. Il se pose en victime, rappelle combien il souffre. Sa maladie de Ménières, ses migraines, l'épuisement dans lequel il est. Il geint : l'argent lui manque, on l'a volé (surtout son éditeur), on l'a spolié (son appartement de la rue Girardon a été pillé), on le persécute. Il se sent seul mais se veut seul. Et ce depuis ces fameuses années trente, celles des pamphlets.
Ses biographes comme tous ceux qui ont écrit sur lui ont bien expliqué le virage qu'il a pris à partir de 1936 : le Front populaire lui fait horreur. Pacifiste, il est persuadé que les Juifs veulent la guerre contre Hitler. Ils forment un clan, sont solidaires. Et les Français sont assez veules pour suivre ce gouvernement. La publication de Bagatelles pour un massacre radicalise les positions, après celle de Mea Culpa. La machine est lancée et toutes les lettres qu'on lit alors contiennent des allusions ou des attaques. Il est rare que l'écrivain s'exprime sur le coeur de son oeuvre, sur les romans, sur le travail en cours. Ce n'est pas sans incidence sur notre lecture. Céline apparaît comme un monomaniaque sans envergure, un petit bonhomme mesquin, étroit. Parmi les lettres qu'il adresse aux figures de la collaboration ou autres correspondants, il en est de bien médiocres. L'une, en mars 41, dénonce Desnos s'en prenant à son physique, l'autre déplore qu' à l'exposition « Le Juif et la France » du palais Berlitz, on n'ait pas vendu ses pamphlets, « préférant une nuée de petits salsifis, avortons forcés de la 14e heure, cheveux sur la soupe ».
À la Libération, qu'il vit au Danemark, il ne cesse de vitupérer contre les épurateurs (en partie à raison, mais pas pour celles qu'il dit). Et il dénonce à tout-va les hommes forts de Vichy ou de la collaboration qui ont échappé à la prison ou pire, tel Paul Morand ou Montherlant. Céline reste incapable d'analyser la période et de saisir la portée de ses écrits. Sa ligne de défense est simple : il n'a jamais écrit pour la presse, il n'a pas publié le moindre article. Une lettre à Jean Lestandi, directeur du Pilori, l'un des pires journaux de l'époque, s'en prend, autant qu'aux Juifs, aux aryens « si vils, si veules, si dégénérés, si anti-racistes, si maçons, si dégueulasses, si enjuivés ». Et sous l'Occupation, il s'est fréquemment plaint de ce que les pamphlets ne soient pas traduits en allemand. La façon dont il évoque les occupants, et les nazis en général, montre qu'il n'a pas mesuré ce qui s'accomplissait. Il les voit comme des décadents, des pleutres, rappelle la maîtresse juive de l'un, les sympathies de l'autre pour la Résistance. À le lire, la Gestapo et ses officines ne travaillent guère dans la capitale. Quant aux persécutions antisémites... : « Les juifs ont toujours été parfaitement libres (comme je ne le suis pas) de leur personne et de leurs biens dans la Zone de Vichy pendant toute la guerre. Dans la zone nord ils ont dû arborer pendant quelques mois une petite étoile. (Quelle gloire ! Je veux bien en arborer dix !) » On est en mars 46 et il s'adresse à son avocat danois.
Sa prudence verbale des années cinquante est toute relative : les « palestiniens » Moch, Meyer ou Lecache ont remplacé les Juifs. Le thème antisémite s'estompe ou disparaît, mais pas la hargne, souvent drôle, envers les ennemis ou adversaires. On connait l'article s'en prenant à Sartre, « l'agité du bocal », on lira quelques passages ou dédicaces peu amènes pour François Mauriac. Il n'est pas plus aimable pour ses anciens comparses de l'Occupation et ne tient pas Montherlant, « écriveur de livres » ou Brasillach, pour ne citer qu'eux, en haute estime. Certaines lettres sur les années d'Occupation et sur Sigmaringen annoncent « la trilogie allemande » et surtout D'un château l'autre. La lettre à Galtier Boissière d'avril 53 sur Darquier de Pellepoix et De Brinon rappelle son goût pour les anecdotes de Tallemant des Réaux.
Céline est en toutes circonstances, un marginal et un révolté. La tragédie tient à la forme que cette révolte, saluée par Aragon ou Trotsky en ses débuts, a prise. Elle n'a pas concerné que lui, puisque bien des hommes de gauche, sincères, sont devenus nazis ou proches des nazis, par pacifisme ou pour d'autres motifs.
Révolté, Céline l'est aussi en littérature et ses lettres nous donnent heureusement à le lire. C'est la meilleure part de ce gros volume qui reprend notamment ses lettres à Albert Paraz, à Pierre Monnier ou Roger Nimier, dans lesquelles s'exprime le plus nettement ses conceptions en matière de roman. Dans les premières années de sa carrière, il rend hommage à Zola, l'auteur le plus vilipendé avec lui. Il perçoit les Impressionnistes comme les vrais novateurs, inspirant son écriture : « Tu vois, écrit-il à Paraz, encore aujourd'hui les Impressionnistes sont mal piffrés ! on regrette le jour d'atelier - On regrette Chardin - on regrette Hellen on regrette Ingres -Comme on a pu haïr Manet ! Quant à Mozart ! »
Son écriture on le sait, est fondée sur l'émotion. « Toucher au nerf» est l'image qui revient le plus souvent dans ses lettres: « Je vous énonce ainsi la difficulté simplement : passer dans l'intimité même du langage, à l'intérieur de l'émotion et du langage, à l'aveugle pour ainsi dire comme le métro sans se préoccuper des fastidieux incidents de l'extérieur. » Toute la lettre à Brasillach de septembre 43 mériterait d'être citée. D'autres lettres disent aussi admirations et dégoûts. On ne sait pas toujours à quoi cela correspond, puisque Racine, Proust et Gide figurent parmi les seconds. Il vilipende dès les années trente le « français mort » et critique ceux qui imitent les Américains, et Faulkner par exemple. La pertinence du propos est à relativiser. Son Amérique a quelque chose de stéréotypé. On sera plus intéressé par sa façon de se décrire en petit artisan, besogneux, écrivant six mille pages pour n'en garder que six cents, souffrant mille maux pour trouver le rythme. Le souci de la ponctuation, emprunté au peintre Seurat qu'il admire, ne se limite pas aux points d'exclamation : il ne le quitte jamais. Pas plus que celui du mot juste. En cela, Céline a raison de se vouloir unique et révolutionnaire.
Les lettres choisies, relues et éditées par Henri Godard et Jean-Paul Louis couvrent les années 1907 à 1961, donnent à entendre les voix plutôt que la voix d'un écrivain extraordinaire, et d'un homme qui s'est égaré de la pire façon au pire moment de son siècle. Il y a donc autant de Céline que de destinataires, et surtout de périodes. « Céline est un aérolithe dont nous n'avons pas fini de faire le tour » écrit Godard dans sa préface.
[Mot illisible] d'abord un enfant sage, un patriote convaincu qui écrit à ses parents. Le Destouches des années vingt devient l'écrivain que l'on sait, l'auteur du Voyage au bout de la nuit, un « Goncourt dans un fauteuil » assure-t-il à son éditeur. Viennent les années du Front populaire conduit par « Zizi » (suggestif surnom de Léon Blum) et Céline entre dans une forme de délire qui ne le quittera plus guère jusqu'après la guerre. Les années d'exil au Danemark donnent lieu à des lettres pleines de ressentiment, dans lesquelles le solitaire qu'il n'a jamais cessé d'être se plaint de son sort et attend l'amnistie qui le ramènera en France. Ce qui se produit en 1951. Reclus à Meudon, tel qu'on le voit sur les photos et dans certains films, il passe son temps à écrire ses derniers romans, évitant les contacts. Il n'aura jamais eu le téléphone chez lui.
La peur du contact, de la salissure, c'est peut-être ce qui a travaillé l'enfant du passage des Bérézina tout au long de son existence. L'odeur de pâtes trop cuites, celle de l'urine devant la boutique maternelle, toutes les odeurs du corps, voilà sans doute ce qui a au fond dérangé ce médecin obsédé par l'hygiène et la bonne santé : « Nous périssons non seulement de raclée militaire, d'alcoolisme invétéré, de vinasserie inondante, d'égoïsme absolu, de juiverie forcenée, de boustifaille éperdue, mais surtout, avant tout, de notre haine de tout lyrisme. » On est en août 40.
Quand on lit certaines lettres sur la France des années trente finissant, voire des lettres évoquant les Allemands occupant la France, on retrouve ce dégoût pour les corps qui se tiennent mal, pour la saleté. Céline aimait la danse, l'aérien, et tout le ramène à la fange, à ce qui se délite ou se défait. La scatologie et le lexique argotique traduisent le tourment de notre épistolier. Et le lecteur qui suivrait le fil chronologique et s'attarderait sur les années quarante se noiera dans une autre boue, avec l'impression de n'en pouvoir sortir , on y reviendra.
Toutes les lettres n'ont pas un égal intérêt. Celles aux amis hommes sont souvent moins riches que celles qu'il adresse aux femmes. Dans les premières années, il est encore sentimental, capable de dire un amour. Il faut attendre l'après-guerre pour lire les meilleures lettres sur l'écriture émotive, l'un de ses motifs favoris, et pour retrouver ce style célinien, si souvent imité mais unique. Le côté appliqué que l'on trouvait dans les années de jeunesse et jusque 45 a disparu, comme si l'œuvre romanesque imprégnait le style épistolaire. Les lettres n'excluent aucun sujet , on retient toutefois quelques constantes, voire du ressassement. Céline doit souvent se défendre contre ce qu'il considère comme de la calomnie et il se présente à de très nombreuses reprises comme un ancien combattant médaillé. Il se pose en victime, rappelle combien il souffre. Sa maladie de Ménières, ses migraines, l'épuisement dans lequel il est. Il geint : l'argent lui manque, on l'a volé (surtout son éditeur), on l'a spolié (son appartement de la rue Girardon a été pillé), on le persécute. Il se sent seul mais se veut seul. Et ce depuis ces fameuses années trente, celles des pamphlets.
Ses biographes comme tous ceux qui ont écrit sur lui ont bien expliqué le virage qu'il a pris à partir de 1936 : le Front populaire lui fait horreur. Pacifiste, il est persuadé que les Juifs veulent la guerre contre Hitler. Ils forment un clan, sont solidaires. Et les Français sont assez veules pour suivre ce gouvernement. La publication de Bagatelles pour un massacre radicalise les positions, après celle de Mea Culpa. La machine est lancée et toutes les lettres qu'on lit alors contiennent des allusions ou des attaques. Il est rare que l'écrivain s'exprime sur le coeur de son oeuvre, sur les romans, sur le travail en cours. Ce n'est pas sans incidence sur notre lecture. Céline apparaît comme un monomaniaque sans envergure, un petit bonhomme mesquin, étroit. Parmi les lettres qu'il adresse aux figures de la collaboration ou autres correspondants, il en est de bien médiocres. L'une, en mars 41, dénonce Desnos s'en prenant à son physique, l'autre déplore qu' à l'exposition « Le Juif et la France » du palais Berlitz, on n'ait pas vendu ses pamphlets, « préférant une nuée de petits salsifis, avortons forcés de la 14e heure, cheveux sur la soupe ».
À la Libération, qu'il vit au Danemark, il ne cesse de vitupérer contre les épurateurs (en partie à raison, mais pas pour celles qu'il dit). Et il dénonce à tout-va les hommes forts de Vichy ou de la collaboration qui ont échappé à la prison ou pire, tel Paul Morand ou Montherlant. Céline reste incapable d'analyser la période et de saisir la portée de ses écrits. Sa ligne de défense est simple : il n'a jamais écrit pour la presse, il n'a pas publié le moindre article. Une lettre à Jean Lestandi, directeur du Pilori, l'un des pires journaux de l'époque, s'en prend, autant qu'aux Juifs, aux aryens « si vils, si veules, si dégénérés, si anti-racistes, si maçons, si dégueulasses, si enjuivés ». Et sous l'Occupation, il s'est fréquemment plaint de ce que les pamphlets ne soient pas traduits en allemand. La façon dont il évoque les occupants, et les nazis en général, montre qu'il n'a pas mesuré ce qui s'accomplissait. Il les voit comme des décadents, des pleutres, rappelle la maîtresse juive de l'un, les sympathies de l'autre pour la Résistance. À le lire, la Gestapo et ses officines ne travaillent guère dans la capitale. Quant aux persécutions antisémites... : « Les juifs ont toujours été parfaitement libres (comme je ne le suis pas) de leur personne et de leurs biens dans la Zone de Vichy pendant toute la guerre. Dans la zone nord ils ont dû arborer pendant quelques mois une petite étoile. (Quelle gloire ! Je veux bien en arborer dix !) » On est en mars 46 et il s'adresse à son avocat danois.
Sa prudence verbale des années cinquante est toute relative : les « palestiniens » Moch, Meyer ou Lecache ont remplacé les Juifs. Le thème antisémite s'estompe ou disparaît, mais pas la hargne, souvent drôle, envers les ennemis ou adversaires. On connait l'article s'en prenant à Sartre, « l'agité du bocal », on lira quelques passages ou dédicaces peu amènes pour François Mauriac. Il n'est pas plus aimable pour ses anciens comparses de l'Occupation et ne tient pas Montherlant, « écriveur de livres » ou Brasillach, pour ne citer qu'eux, en haute estime. Certaines lettres sur les années d'Occupation et sur Sigmaringen annoncent « la trilogie allemande » et surtout D'un château l'autre. La lettre à Galtier Boissière d'avril 53 sur Darquier de Pellepoix et De Brinon rappelle son goût pour les anecdotes de Tallemant des Réaux.
Céline est en toutes circonstances, un marginal et un révolté. La tragédie tient à la forme que cette révolte, saluée par Aragon ou Trotsky en ses débuts, a prise. Elle n'a pas concerné que lui, puisque bien des hommes de gauche, sincères, sont devenus nazis ou proches des nazis, par pacifisme ou pour d'autres motifs.
Révolté, Céline l'est aussi en littérature et ses lettres nous donnent heureusement à le lire. C'est la meilleure part de ce gros volume qui reprend notamment ses lettres à Albert Paraz, à Pierre Monnier ou Roger Nimier, dans lesquelles s'exprime le plus nettement ses conceptions en matière de roman. Dans les premières années de sa carrière, il rend hommage à Zola, l'auteur le plus vilipendé avec lui. Il perçoit les Impressionnistes comme les vrais novateurs, inspirant son écriture : « Tu vois, écrit-il à Paraz, encore aujourd'hui les Impressionnistes sont mal piffrés ! on regrette le jour d'atelier - On regrette Chardin - on regrette Hellen on regrette Ingres -Comme on a pu haïr Manet ! Quant à Mozart ! »
Son écriture on le sait, est fondée sur l'émotion. « Toucher au nerf» est l'image qui revient le plus souvent dans ses lettres: « Je vous énonce ainsi la difficulté simplement : passer dans l'intimité même du langage, à l'intérieur de l'émotion et du langage, à l'aveugle pour ainsi dire comme le métro sans se préoccuper des fastidieux incidents de l'extérieur. » Toute la lettre à Brasillach de septembre 43 mériterait d'être citée. D'autres lettres disent aussi admirations et dégoûts. On ne sait pas toujours à quoi cela correspond, puisque Racine, Proust et Gide figurent parmi les seconds. Il vilipende dès les années trente le « français mort » et critique ceux qui imitent les Américains, et Faulkner par exemple. La pertinence du propos est à relativiser. Son Amérique a quelque chose de stéréotypé. On sera plus intéressé par sa façon de se décrire en petit artisan, besogneux, écrivant six mille pages pour n'en garder que six cents, souffrant mille maux pour trouver le rythme. Le souci de la ponctuation, emprunté au peintre Seurat qu'il admire, ne se limite pas aux points d'exclamation : il ne le quitte jamais. Pas plus que celui du mot juste. En cela, Céline a raison de se vouloir unique et révolutionnaire.
Les voix de Céline sont nombreuses, contradictoires à un point qui nous est insupportable. C'est un homme mal élevé, pas un élégant à la Paul Morand (dont le Journal inutile a toutefois montré la médiocrité) ni un poète comme Brasillach. Seule le sauve son œuvre, cette écriture unique qui touche au nerf et qui émeut. On aurait voulu que cela seul demeure.
À signaler la parution de Lettres à Joseph Garcin (1929-1938) chez Écriture. La parution de ce livre a précédé de quelques semaines la Pléiade qui propose quelques lettres à Garcin. L'essai de Pierre Lainé qui suit ces lettres mérite qu'on s'y arrête.
Norbert CZARNY
La Quinzaine littéraire n°1006, 1-15 janvier 2010.
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