samedi 19 juin 2010

Céline, auteur de ballets

« Je suis particulièrement fier de mes ballets. Autant mes livres, mon Dieu, je les trouve pas mal, mais les ballets, je les trouve très bien (1). » Dixit Céline, sur un ton gouailleur, dans un entretien accordé à Georges Conchon en 1958, année précédant la parution de ses Ballets chez Gallimard. On sait combien Céline était fasciné par la danse et les danseuses. Dans Bagatelles pour un massacre, il publie trois arguments de ballet qu’il n’aura de cesse de soumettre à des directeurs de théâtre. À son grand dam, ces ballets ne seront jamais mis en scène. Toutes ses tentatives ne sont pas encore connues. Ainsi, sait-on qu’il avait prié une danseuse russe de proposer Voyou Paul. Brave Virginie au Théâtre Royal de la Monnaie, à Bruxelles ? Vainement, une fois encore… Après la guerre, réunir en un recueil l’ensemble de ses ballets est un projet qui lui tient à cœur. Il s’en ouvre auprès de Roger Nimier en juin 1958. D’emblée il envisage une édition de luxe illustrée. Au départ, il avait songé à Édith Lebon, née Follet, sa deuxième épouse, pour illustrer ces textes. À son propos, les éditeurs de la correspondance de Céline dans la Pléiade indiquent qu’elle avait collaboré à une revue enfantine, La Semaine de Suzette. Certes, mais elle avait aussi illustré avec talent avant-guerre L’Art d’aimer, La Princesse de Clèves, Les voyages de Gulliver et Le Spleen de Paris. Las ! Elle déclina la proposition de Céline qui songe alors à Éliane Bonabel. D’autant qu’en 1937, elle avait réalisé une vingtaine de jolies aquarelles pour les costumes de tous les personnages du ballet Naissance d’une fée (2). « Je me suis assuré le talent de ma très ancienne petite cliente (de Clichy) Éliane Bonabelle [sic] elle est disposée et ravie d’illustrer mes quatre ballets et le film. », écrit-il à Roger Nimier le 13 août 1958 (3). Il y a quelques années, Gallimard a réédité en un volume les Œuvres pour la scène et l’écran avec, pour Secrets dans l’île [1936], Scandale aux Abysses [1950] et Foudres et flèches [1948], les variantes apparaissant sur les manuscrits (4). Le préfacier relève que « dans La Naissance d’une fée, on retrouve la tragique jalousie [apparaissant déjà dans Secrets dans l’île, ndlr] d’une femme envers une rivale, danseuse cette fois. Mais tout le ballet est féerique. Dans Voyou Paul. Brave Virginie, Céline donne une nouvelle fin au roman. Paul est envoûté par une sorcière mais c’est pour Virginie que l’histoire se termine mal. Dans Van Bagaden les danseuses-parfumeuses introduisent le personnage principal, l’armateur Van Bagaden qui n’est pas sans annoncer Van Claben, le « prêteur sur gages et sur parole » et les docks de Guignol’s band. » Voilà pour l’aspect factuel des trois ballets issus de Bagatelles. Bien évidemment, ils n’ont pas manqué de faire l’objet de savantes interprétations par les exégètes de l’œuvre : « Les arguments de ballets sont assez déroutants à première lecture, mais trouvent une fonction dans cet édifice. Les premiers sont des lettres d’accréditation. Garants du raffinement authentique de Ferdinand, preuves de sa candeur et de son innocence foncières. Le dernier : un bouquet agité en direction d’un monde jugé aussi alcoolique qu’enjuivé, la pirouette du cacographe (5). ». Ces ballets ne seraient donc pas seulement des fantaisies poétiques mais aussi des apologues antisémites d’un symbolisme aveuglant de clarté. Où l’on voit que Céline auteur de ballets serait également mal-pensant !

Marc LAUDELOUT


1. Entretien avec Georges Conchon, 1958 in Cahiers Céline, 2, Gallimard, 1976, p. 99.
2. Quelques unes de ses aquarelles sont reproduites dans le Dictionnaire des personnages dans l’œuvre romanesque de Louis-Ferdinand Céline de Gaël Richard (Du Lérot, 2008) et dans Études céliniennes, n° 4, hiver 2008.
3. Louis-Ferdinand Céline, Lettres, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2009, p. 1549. Ce n’était pas la première fois qu’Éliane Bonabel travailla pour Gallimard ; deux ans auparavant, elle avait illustré Aile d’argent la magique de Philippe de Rothschild.
4. Progrès suivi de Œuvres pour la scène et l’écran, Gallimard, coll. « Cahiers Céline », n° 8, 1988. Réédité en 2001 dans la collection « L’Imaginaire », chez le même éditeur. Édition établie et préfacée par Pascal Fouché.
5. Philippe Alméras, Les idées de Céline, Berg International, coll. « Pensée Politique et Sciences Sociales », 1992, p. 131. Voir aussi Albert Chesneau, Essai de psychocritique de L.-F. Céline, Lettres modernes, 1971, p. 71. D’une manière générale, les ballets ont peu fait l’objet d’études. Signalons celle de Tonia Tinsley, « Le chant des sirènes : la subversion des personnages de la mythologie classique dans Scandale aux abysses », Études céliniennes, n° 3.

Illustration : Evelyne, personnage principal de Naissance d'une fée, aquarelle d'Eliane Bonabel.

3 commentaires:

  1. Et comment ou où peut-on trouver ses ballets ?

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  2. Sur Amazon :
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    ou dans toutes les bonnes librairies...

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