mardi 8 juin 2010

Le petit monde des céliniens

Ce n’est pas la première fois que le microcosme célinien est dépeint dans un roman. Mais là où Marc-Édouard Nabe était fielleux ¹, Émile Brami porte un regard à la fois ironique et débonnaire sur cette faune composite. Certes il s’agit d’une pochade mais ce polar au titre convenu, Massacre pour une bagatelle, est bien enlevé et se lit agréablement ². Tout part d’un double meurtre : celui d’un avocat d’affaires, puis d’un libraire d’ancien. La police découvre assez vite que ces crimes sont liés à la découverte d’un manuscrit inédit de Céline. Prétexte pour évoquer le milieu de l’édition et celui des céliniens, tout aussi pittoresques l’un que l’autre. L’une des caractéristiques du roman étant que la plupart des personnages ont un patronyme emprunté à l’univers de Céline lui-même. De l’avocat Pamphile Pollet à l’inspecteur Raoul Marquis en passant par son adjoint Jean-Marc Bénédictus ou le commissaire Pulicani — le petit jeu pour les néophytes consistant à débusquer les personnages ayant réellement existé. En ce qui concerne les céliniens, rares sont ceux qui, tels François Gibault, président de la « Ligue des Fervents Céliniens » (!) et Henri Godard, apparaissent sous leur véritable nom ³. Le lecteur s’amusera dès lors à reconnaître les autres : Hubert-Gaston Héritier, « créateur du premier fonds Céline » ; Achille Beretta, « un Corse vivant au Danemark, professeur émérite et titulaire d’une chaire de français à l’université de Copenhague » ; Pierrick Mazur, « réputé savoir pratiquement tout sur Céline et en être l’un des collectionneurs les plus importants » ; Jean-Pierre PierreJean, « anarcho-syndicaliste et imprimeur-éditeur à l’enseigne de La Marmotte songeuse » ; Dagobert Source, « journaliste au Canard enchaîné et spécialiste de la période de l’exil danois » ; Luc Pasdeloup, « un Belge qui depuis plus de vingt ans écrit, met en pages, imprime, distribue quasi seul une revue mensuelle vendue uniquement par abonnement, tirée à quatre cents exemplaires, entièrement consacrée à Céline, La Chronique de Bardamu » ; etc. Nul doute qu’Émile Brami s’est diverti à dépeindre ce petit milieu mais aussi à asséner quelques sentences sur le monde de l’édition auquel il appartient désormais : « Les lecteurs sont manipulés, ils vont vers ce qu’on leur agite sous le nez, aiment ce qu’ils ont vu à la télévision à la condition que l’auteur passe bien comme on dit ou, plus rarement, ce qu’ils ont lu dans les journaux en attendant leur tour chez le coiffeur… Sinon certains succès et quelques carrières seraient absolument inexplicables. Ils sont tellement conditionnés que, pour reprendre un vieux slogan publicitaire : « Ils font là où on leur dit de faire. » Et si on devait se préoccuper du goût réel de la grande majorité du public, on ne publierait que du roman sentimental. » Comment ne pas songer aux propos dévastateurs de Céline sur le même thème dans un livre fameux dont le titre a inspiré celui-ci ? En revanche, Céline n’a jamais tenu aucun propos dithyrambique sur le jazz, à la différence de Brami. Son éloge de Charlie Parker, c’est la cerise sur le gâteau.

Marc LAUDELOUT

• Émile Brami, Massacre pour une bagatelle, L’Éditeur, 2010.


Notes
1. Marc-Édouard Nabe, Lucette, Gallimard, 1995.
2. Un bémol : sa connaissance des particularismes belges laisse franchement à désirer (p. 83). Ainsi, c’est le Bruxellois (et non le Wallon) qui ponctue sa phrase par « une fois ». Et l’exclamation « Gottferdom » ne sera jamais utilisée par un Wallon mais bien par un Flamand.
3. « Deux brillantes universitaires », Isabelle Blondiaux et Christine Sautermeister, sont également citées. Il aurait pu tout aussi bien citer Denise Aebersold, auteur d’une passionnante Goétie de Céline (2008), qui a en outre également étudié les ballets céliniens dont il est question dans ce numéro.

4 commentaires:

  1. J'ai jamais compris ces "céliniens" Jazzophiles, le Jazz (la peste musicale que Céline dans le Voyage qualifiait de musique "judéo-negro-saxonne")...

    En vérité ce sont des minus ces "céliRiens", des rien du tout... J'aime à imaginer Céline détruire ces personnages cabotins qui se foutent de lui en le prenant comme référence. J'imagine Céline parler comme ça :

    "Il sort de mon entre-jambe Nabe ! Fumeuse fiente oriento-phile... Y a bien un chromosome de mésopotamie qui le taraude. Et les celtes, il en fait quoi ? Sa race ? C'est où ?... Saint-Jean du onze septembre... Il peut pas en sortir de sa bible, de ses maîtres. La celtie, rien, il s'en fout... Pas une peine qui lui remonte sur le désastre Blanc... Il veut nous mettre en pile, à ériger un minaret en pleine Celtie, avec nos corps superposés, en pièce montée en offrande pour le vaux d'or... Il se revendique de moi... Le vilain. Il est même allé voir ma Luce, l'imposteur. Voyou mondain. Il nous taille un costard comme ses cousins, sur la "collaboration" n'a t'il rien compris à mes beaux draps ? J'ai bien expliqué pourtant cette affaire de débâcle populaire. Qu'est-ce qu'il aurait fait cet estron gastronomique au bleuf astronomique ?... Il n'y a pas de "céliniens", il n'y a que Céline, moi ! Et tout est dans mon verbe. Aller, je veux bien accorder qu'il exista des "célinards" mais alors qu'ils montrent autant de pages couillues que j'en ai fait... C'est le tarif minimum. Célinien sans risque, sans chiens au cul... C'est du Célinette, célinouille, Célinaze, Céli... Jazz ! Ils veulent un Céline selon le paradigme de saint-jean et paul, mais pas l'inverse ! Célinien pour se la couler douce en mimant le loup... Le risque de salons ! Faire danser mes fées sacrées sur Jazz ! Infamie ! Foutre du sable oriental sur le trou d'balle des celtes ! La témérité au champagne ! Ecrivains maudits mais sans perdre la place sur les plateaux télé ! Rages de caniches ! Verves de piliers de comptoirs vinassés !...

    Bon, je retourne à mes fées, et méfiez vous des contrefaçons !"

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  2. Céline a lui-même parlé de jazz en évoquant son style...

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  3. Je savais pas, et en même temps ça m'étonne pas, le côté création d'accords à vif, on sent l'impro de ses pensées, sur le moment, même si c'est retravaillé après, enfin je le vois comme ça.

    Puis, il a voulu collé à un registre populaire, malgré sa science, le style jazz comporte ça aussi, pas très académique.

    Cela dit je ne pense pas qu'il voyait ça comme une sainteté à adopter par sa race.

    Mon post, c'était aussi un moyen de lâcher mon petit venin, c'est tout, après on s'en bat les couilles, c'est un avis parmi d'autres.

    Merci pour votre réaction.

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  4. Pierre CHALMIN9 juin 2010 à 23:26

    Céline a en effet dit de Morand, faisant allusion à "Tendres Stocks" (préfacé par Proust), qu'il était "le premier à avoir fait jazzer la langue". Il est permis d'en douter… De là à prêter à Céline le goût du jazz… invention française pourtant ! de la Nouvelle-Orléans… ne pas confondre les goûts de Nabe avec ceux de Céline, se méfier des contrefaçons, Rouge le Renard a mille fois raison !

    P.C.

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