Les lecteurs de ce blog connaissent assurément le remarquable travail que Henri Thyssens consacre au premier éditeur de Céline. Son site internet constitue une somme impressionnante sur la vie (privée et surtout professionnelle) de Robert Denoël mais aussi sur les circonstances de son assassinat survenu le 2 décembre 1945, à proximité de l’esplanade des Invalides. Ce que l’on sait moins, c’est que Thyssens revoit, corrige et complète en permanence les informations figurant sur son site. Il s’agit donc d’une œuvre éditoriale sans cesse en mouvement – « work in progress », comme on dit outre-Manche – grâce aux recherches effectuées par son auteur. Lequel apporte des trouvailles du plus grand intérêt, notamment par un travail de dépouillement de la presse française du XXe siècle. Céline a naturellement toute sa place sur ce site puisqu’il fut incontestablement l’auteur majeur de cette maison d’édition créée à la fin des années vingt. Le site (1) comprend une passionnante chronologie allant de l’année de la naissance de Denoël à nos jours.
Prenons, par exemple, l’année 1933 pour nous intéresser à l’édition en langue allemande de Voyage au bout de la nuit. En décembre de l’année précédente, Robert Denoël a signé un contrat avec le Berliner Tageblatt pour la publication en feuilleton du roman. Il a également conclu un accord avec l’éditeur Reinhard Piper, à Munich, pour la parution du livre en volume. En février 1933, cet éditeur contacte Denoël pour lui signifier qu’il considère non satisfaisante la traduction due à Isak Grünberg, et que, par conséquent, il souhaite la confier à un autre traducteur, Ferdinand Hardekopf. Denoël s’insurge, défend le travail de Grünberg, appuyé en cela par Céline qui prend, lui aussi, fait et cause pour le traducteur juif autrichien (2). D’autant que celui-ci s’était lui-même proposé pour traduire Voyage en allemand après lui avoir consacré un article élogieux dans le Berliner Tageblatt. En réalité, précise Thyssens, l’éditeur allemand a vu le vent tourner : le parti national-socialiste est au pouvoir depuis février 1933 et cette traduction n’est plus du tout à l’ordre du jour. Aussi cède-t-il le contrat à Julius Kittls, un confrère éditeur installé à Mährisch-Ostrau, près de Prague, qui l’éditera en décembre 1933. Le 17 mai, L'Intransigeant publie un écho étonnant à propos du Voyage, mais ne cite pas ses sources. Il prélude, en tout cas, au refus du Berliner Tageblatt de publier le roman en feuilleton, conformément au contrat signé en décembre 1932 (3). Titré « Céline au bûcher », tel est cet écho : « Le Voyage au bout de la nuit, de M. Louis-Ferdinand Céline, a été, par ordre gouvernemental, retiré de toutes les librairies allemandes et brûlé la semaine dernière avec les autres ouvrages que condamne le régime hitlérien » (4). Cet autodafé de Céline par l’Allemagne hitlérienne est-il confirmé par une autre source ? Si son livre fut effectivement détruit par les nationaux-socialistes, voilà assurément un fait que Céline aurait pu mentionner dans son mémoire en défense de 1946 !
Marc LAUDELOUT
1. « Robert Denoël, éditeur » : www.thyssens.com.
2. Marc Laudelout, « Quand Céline et Denoël défendaient Isak Grünberg », Le Bulletin célinien, n° 293, janvier 2008, pp. 8-9.
3. Le 15 juin, L'Intransigeant annonce que les Éditions Denoël et Steele viennent d'assigner le Berliner Tageblatt, pour rupture de contrat. Le journal allemand, « se retranchant derrière le cas de force majeure (le changement de régime) », a renoncé à publier en feuilleton Voyage au bout de la nuit.
4. C’est effectivement le 10 mai 1933 que le ministre de la Propagande, Joseph Goebbels, préside à Berlin une nuit d’autodafé pendant laquelle des milliers de « mauvais livres » d'auteurs juifs, marxistes, démocrates ou psychanalystes sont brûlés pêle-mêle en public par des étudiants nazis ; la même scène se tiendra ensuite dans d’autres grandes villes, comme Brême, Dresde, Francfort, Munich et Nuremberg.
Prenons, par exemple, l’année 1933 pour nous intéresser à l’édition en langue allemande de Voyage au bout de la nuit. En décembre de l’année précédente, Robert Denoël a signé un contrat avec le Berliner Tageblatt pour la publication en feuilleton du roman. Il a également conclu un accord avec l’éditeur Reinhard Piper, à Munich, pour la parution du livre en volume. En février 1933, cet éditeur contacte Denoël pour lui signifier qu’il considère non satisfaisante la traduction due à Isak Grünberg, et que, par conséquent, il souhaite la confier à un autre traducteur, Ferdinand Hardekopf. Denoël s’insurge, défend le travail de Grünberg, appuyé en cela par Céline qui prend, lui aussi, fait et cause pour le traducteur juif autrichien (2). D’autant que celui-ci s’était lui-même proposé pour traduire Voyage en allemand après lui avoir consacré un article élogieux dans le Berliner Tageblatt. En réalité, précise Thyssens, l’éditeur allemand a vu le vent tourner : le parti national-socialiste est au pouvoir depuis février 1933 et cette traduction n’est plus du tout à l’ordre du jour. Aussi cède-t-il le contrat à Julius Kittls, un confrère éditeur installé à Mährisch-Ostrau, près de Prague, qui l’éditera en décembre 1933. Le 17 mai, L'Intransigeant publie un écho étonnant à propos du Voyage, mais ne cite pas ses sources. Il prélude, en tout cas, au refus du Berliner Tageblatt de publier le roman en feuilleton, conformément au contrat signé en décembre 1932 (3). Titré « Céline au bûcher », tel est cet écho : « Le Voyage au bout de la nuit, de M. Louis-Ferdinand Céline, a été, par ordre gouvernemental, retiré de toutes les librairies allemandes et brûlé la semaine dernière avec les autres ouvrages que condamne le régime hitlérien » (4). Cet autodafé de Céline par l’Allemagne hitlérienne est-il confirmé par une autre source ? Si son livre fut effectivement détruit par les nationaux-socialistes, voilà assurément un fait que Céline aurait pu mentionner dans son mémoire en défense de 1946 !
Marc LAUDELOUT
1. « Robert Denoël, éditeur » : www.thyssens.com.
2. Marc Laudelout, « Quand Céline et Denoël défendaient Isak Grünberg », Le Bulletin célinien, n° 293, janvier 2008, pp. 8-9.
3. Le 15 juin, L'Intransigeant annonce que les Éditions Denoël et Steele viennent d'assigner le Berliner Tageblatt, pour rupture de contrat. Le journal allemand, « se retranchant derrière le cas de force majeure (le changement de régime) », a renoncé à publier en feuilleton Voyage au bout de la nuit.
4. C’est effectivement le 10 mai 1933 que le ministre de la Propagande, Joseph Goebbels, préside à Berlin une nuit d’autodafé pendant laquelle des milliers de « mauvais livres » d'auteurs juifs, marxistes, démocrates ou psychanalystes sont brûlés pêle-mêle en public par des étudiants nazis ; la même scène se tiendra ensuite dans d’autres grandes villes, comme Brême, Dresde, Francfort, Munich et Nuremberg.
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