Sous le pseudonyme de « François Vinneuil », Lucien Rebatet fut un critique cinématographique de talent. Philippe d’Hugues a eu l’idée de rassembler en un recueil les critiques parues, de 1941 à 1944, dans l’hebdomadaire Je suis partout. Quel rapport avec Céline ? C’est que dans l’une de ses chroniques parue le 7 février 1942, Rebatet relate une visite à l’auteur de Mort à crédit :
« Je suis allé voir, l’autre jour, notre admirable Céline. J’aimerais vous rapporter exactement ses propos. Mais je ne les ai pas sténographiés. On refait pas du Céline approximatif. Voici ce que m’a raconté, en substance, notre grand Ferdinand. L’autre jour, à sa radio, il a entendu une émission de la B.B.C. en anglais. Le speaker donnait le compte rendu d’un film récent, anglais ou hollywoodien de fabrication, qui fait actuellement fureur à Londres. Cette production se nomme : Paris tel qu’il était. On y voit d’abord, idylle et paradis, le délicieux temps de Léon Blum et du pernod pour Arthur : douceur de vivre, le peuple le plus spirituel de la terre, le poing gentiment fermé, l’accueil fraternel à Rebecca et Salomon, pauvres victimes de la barbarie raciste, la ferveur enthousiaste quand Sa Gracieuse Majesté britannique et M. Hore Belisha viennent voir si les chers petits soldats français sont bons pour leur service. La guerre éclate, dont pas un seul des doux démocrates, vous pensez bien, n’est coupable. Le brave petit Parisien Front popu, serrant les poings, va voler à la frontière. Mais, hélas ! il est subitement miné par les journalistes de la Cinquième Colonne (textuel). Sous l’action délétère de ces vénéneux personnages, le pauvre petit gars chancelle, il a les jambes en pâté de foie, toute sa valeur fiche le camp en brouillard. Contaminé, il ne peut plus opposer de résistance, et ce sont là les événements de juin 1940. Je ne doutais pas que le cinéma de langue anglaise était encore en train, par le temps qui court, de reculer les limites déjà si lointaines de l’imbécillité humaine. L’anecdote de Céline nous apporte, sur ce point, une précieuse lumière. »
...Où l’on voit Céline auditeur de la B.B.C. qu’il qualifie à la même époque de « poison français actuel » au point d’exiger la « suppression immédiate des appareils T.S.F. ».
Après la guerre, dans Féerie pour une autre fois, Céline mentionne Rebatet (sous le nom de « Robignol »), associé à ceux qui, comme lui, subissent les affres de l’épuration : « On est dans l’égout, moi Robignol et mille autres, et mille autres encore plus malheureux, qu’on parle plus, que personne ose, qui crèvent dans les geôles, qu’ont payé mille fois en douleur tous les crimes qu’ils ont pas commis ! ». Ce qui ne l’empêchera pas – pour se différencier de lui au moment de l’exil – de tenir des propos peu aimables sur « Rebatet si parfaitement vendu à la collaboration ».
On savait déjà que Lucien Rebatet est l’auteur d’un grand livre, Les Deux étendards (1951). On saura désormais que c’était aussi un critique cinématographique d’envergure, se battant avec talent pour imposer des films parfois contestés, comme Le Corbeau, Les Anges du péché, Les Inconnus dans la maison ou Les Visiteurs du soir. Salué par Raphaël Sorin (Libération), peu suspect de sympathie coupable pour l’auteur, ce livre sera sans doute boycotté par le reste de la grande presse. Rebatet n’en finit pas d’expier son engagement politique.
Marc LAUDELOUT
Lucien Rebatet, Quatre ans de cinéma (1940-1944). Textes réunis, présentés et annotés par Philippes d’Hugues. Avec la collaboration de Philippe Billé, Pascal Manuel Heu et Marc Laudelout, Éditions Pardès, (44 rue Wilson, 77880 Grez-sur-Loing), 2009. Voir aussi Louis-Ferdinand Céline, Lettres à Lucien Rebatet (préface de Nicolas d’Estienne d’Orves), Gallimard, 2005, 30 p.
« Je suis allé voir, l’autre jour, notre admirable Céline. J’aimerais vous rapporter exactement ses propos. Mais je ne les ai pas sténographiés. On refait pas du Céline approximatif. Voici ce que m’a raconté, en substance, notre grand Ferdinand. L’autre jour, à sa radio, il a entendu une émission de la B.B.C. en anglais. Le speaker donnait le compte rendu d’un film récent, anglais ou hollywoodien de fabrication, qui fait actuellement fureur à Londres. Cette production se nomme : Paris tel qu’il était. On y voit d’abord, idylle et paradis, le délicieux temps de Léon Blum et du pernod pour Arthur : douceur de vivre, le peuple le plus spirituel de la terre, le poing gentiment fermé, l’accueil fraternel à Rebecca et Salomon, pauvres victimes de la barbarie raciste, la ferveur enthousiaste quand Sa Gracieuse Majesté britannique et M. Hore Belisha viennent voir si les chers petits soldats français sont bons pour leur service. La guerre éclate, dont pas un seul des doux démocrates, vous pensez bien, n’est coupable. Le brave petit Parisien Front popu, serrant les poings, va voler à la frontière. Mais, hélas ! il est subitement miné par les journalistes de la Cinquième Colonne (textuel). Sous l’action délétère de ces vénéneux personnages, le pauvre petit gars chancelle, il a les jambes en pâté de foie, toute sa valeur fiche le camp en brouillard. Contaminé, il ne peut plus opposer de résistance, et ce sont là les événements de juin 1940. Je ne doutais pas que le cinéma de langue anglaise était encore en train, par le temps qui court, de reculer les limites déjà si lointaines de l’imbécillité humaine. L’anecdote de Céline nous apporte, sur ce point, une précieuse lumière. »
...Où l’on voit Céline auditeur de la B.B.C. qu’il qualifie à la même époque de « poison français actuel » au point d’exiger la « suppression immédiate des appareils T.S.F. ».
Après la guerre, dans Féerie pour une autre fois, Céline mentionne Rebatet (sous le nom de « Robignol »), associé à ceux qui, comme lui, subissent les affres de l’épuration : « On est dans l’égout, moi Robignol et mille autres, et mille autres encore plus malheureux, qu’on parle plus, que personne ose, qui crèvent dans les geôles, qu’ont payé mille fois en douleur tous les crimes qu’ils ont pas commis ! ». Ce qui ne l’empêchera pas – pour se différencier de lui au moment de l’exil – de tenir des propos peu aimables sur « Rebatet si parfaitement vendu à la collaboration ».
On savait déjà que Lucien Rebatet est l’auteur d’un grand livre, Les Deux étendards (1951). On saura désormais que c’était aussi un critique cinématographique d’envergure, se battant avec talent pour imposer des films parfois contestés, comme Le Corbeau, Les Anges du péché, Les Inconnus dans la maison ou Les Visiteurs du soir. Salué par Raphaël Sorin (Libération), peu suspect de sympathie coupable pour l’auteur, ce livre sera sans doute boycotté par le reste de la grande presse. Rebatet n’en finit pas d’expier son engagement politique.
Marc LAUDELOUT
Lucien Rebatet, Quatre ans de cinéma (1940-1944). Textes réunis, présentés et annotés par Philippes d’Hugues. Avec la collaboration de Philippe Billé, Pascal Manuel Heu et Marc Laudelout, Éditions Pardès, (44 rue Wilson, 77880 Grez-sur-Loing), 2009. Voir aussi Louis-Ferdinand Céline, Lettres à Lucien Rebatet (préface de Nicolas d’Estienne d’Orves), Gallimard, 2005, 30 p.
>>> Voir aussi Rebatet alias Vinneuil :”Le cinéma est aussi une arme de guerre” par Pierre Assouline (22/7/2010).
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