Un pavé in-quarto de 425 pages, intitulé Images d’exil. Louis-Ferdinand Céline, 1945-1951 (Copenhague-Korsør), est paru à l’été 2004. Du vrai bonheur pour les céliniens. Tout ce qu’ils ont toujours voulu savoir sur Céline au Danemark s’y trouve, et plus encore. La presse n’a pas salué comme il le mérite cet ouvrage de référence. Raison de plus pour y revenir six ans plus tard.
La biographie n’étant pas le domaine de prédilection des chercheurs, les études sur l’exil danois ne sont pas légion. Hormis le plaidoyer d’Helga Pedersen (1975) et les livres de François Gibault et de Philippe Alméras, il n’y avait rien ou presque. Un des premiers à avoir effectué des recherches sur place est Henri Thyssens : dans une série d’articles (« Au Royaume de Danemark », Bulletin célinien, 1988), il avait esquissé quelques portraits et s’était penché sur l’épineuse question de l’or.
Cet ouvrage, dû à Éric Mazet et Pierre Pécastaing, va au fond des choses en une dizaine de chapitres très denses : « Au pays des sirènes » ; « Ces Danois qui ont sauvé Céline » ; « Diplomates hostiles » ; « La filière française » ; « Lieux d’exil » ; « Des livres et des lettres » ; « Visiteurs en terre d’exil » ; «L’affaire Destouches»; « Calendrier d’exil ».
La première partie n’est assurément pas la moins intéressante, car elle éclaire deux personnages sans lesquels Céline n’aurait pu gagner le Danemark en mars 1945 : Hermann Bickler et Werner Best. Mais surtout elle rappelle en quoi la situation danoise fut particulière sous l’Occupation allemande : pour mémoire, cette étonnante « Forstålespolitik » (politique d’accommodements) qui vit un Premier ministre (Erik Scavenius) former un gouvernement en bonne entente avec Werner Best (plénipotentiaire du Reich au Danemark). Et de collaborer sans grands heurts jusqu’en septembre 1943, organisant même des élections parlementaires en mars de cette année ! Ce qui se passa lors de la Libération du territoire n’est pas moins surprenant : Scavenius nullement inquiété (rendant même visite à Best dans sa prison), et une épuration qui se limita à moins de cent personnes condamnées à mort, dont la moitié exécutées. Sans oublier une nette réserve de la population à l’égard des communistes auxquels elle reprocha de l’avoir mise en danger par leurs excès. La comparaison avec ce qui s’est passé dans d’autres pays occupés laisse rêveur.
L’intérêt de cet ouvrage est aussi de fournir d’intéressantes biographies critiques des personnalités ayant croisé la destinée de Céline au Danemark et dont on savait finalement peu de choses : Thorvald Mikkelsen, Per Federspiel, Herman Dedichen, Aage Seidenfaden, Henning Jensen, etc. (côté danois), et, dans des registres différents, Guy de Girard de Charbonnière, François Löchen, Jacques Mourlet, Gabrielle et Ercole Pirazzoli... (côté français).
L’iconographie n’est pas moins captivante : très belle collection de documents, inédits pour la plupart. Ainsi, ces photographies de Céline en compagnie de ses hôtes à Klarskovgaard. L’une d’entre elles figure en page de couverture.
Aucun aspect de l’exil n’a été omis : tout d’abord, les lieux où Céline a vécu, présentés de manière détaillée, du moins ceux de Korsør. On aurait aimé qu’il en soit de même pour ceux de Copenhague (20 Ved Stranden et 8 Kronprinsessegade) qui ne sont ni situés dans la ville, ni décrits. C’est pourtant là que Céline séjourna une dizaine de mois avant et après son arrestation. Sont aussi examinés ses moyens d’existence, ses lectures, sa correspondance, le relevé des amis français qui vinrent le voir et de ceux qui s’en abstinrent ou qu’il découragea de venir. La façon, rigoureuse et précise, dont ce livre est conçu en fait une véritable encyclopédie de l’exil danois.
Deux chapitres méritent encore qu’on s’y attarde ici : celui consacré à « l’affaire Hindus » dans lequel Éric Mazet montre bien le ressentiment et même la malveillance manifestés par l’auteur de Crippled Giant au moment même où Céline risquait gros, et le chapitre consacré au dossier de l’amnistie. Le rôle déterminant de Tixier-Vignancour et celui du colonel André Camadau (Commissaire du Gouvernement devant le Tribunal militaire de Paris) sont bien mis en valeur.
Tous ces chapitres sont agrémentés de documents du plus grand intérêt, d’autant qu’ils sont reproduits intégralement. Exemples : le réquisitoire de René Charrasse ou le témoignage du pasteur Löchen rédigé en faveur de Céline à l’intention de la presse.
L’ouvrage se clôt par un passionnant « Calendrier d’exil » qui égrène minutieusement, mois après mois, ce que fut la vie de l’exilé en regard de l’actualité de l’époque.
Saluons, pour conclure, la qualité de la présentation. Typographie, mise en page, iconographie, répartition de cette vaste matière en chapitres aérés : tout concourt à faire de cet apport un superbe ouvrage que chaque célinien se doit d’avoir dans sa bibliothèque.
Marc LAUDELOUT
Éric Mazet & Pierre Pécastaing, Images d’exil. Louis-Ferdinand Céline, 1945-1951 (Copenhague-Korsør), Du Lérot & La Sirène, 2004, 428 pages, 93 illustrations in-texte, noir et couleurs. Préface de Claude Duneton.
Tirage limité à 520 exemplaires, soit 50 exemplaires hors commerce, 20 exemplaires sur Mémoire de papier et 450 exemplaires sur vergé Perle.
La biographie n’étant pas le domaine de prédilection des chercheurs, les études sur l’exil danois ne sont pas légion. Hormis le plaidoyer d’Helga Pedersen (1975) et les livres de François Gibault et de Philippe Alméras, il n’y avait rien ou presque. Un des premiers à avoir effectué des recherches sur place est Henri Thyssens : dans une série d’articles (« Au Royaume de Danemark », Bulletin célinien, 1988), il avait esquissé quelques portraits et s’était penché sur l’épineuse question de l’or.
Cet ouvrage, dû à Éric Mazet et Pierre Pécastaing, va au fond des choses en une dizaine de chapitres très denses : « Au pays des sirènes » ; « Ces Danois qui ont sauvé Céline » ; « Diplomates hostiles » ; « La filière française » ; « Lieux d’exil » ; « Des livres et des lettres » ; « Visiteurs en terre d’exil » ; «L’affaire Destouches»; « Calendrier d’exil ».
La première partie n’est assurément pas la moins intéressante, car elle éclaire deux personnages sans lesquels Céline n’aurait pu gagner le Danemark en mars 1945 : Hermann Bickler et Werner Best. Mais surtout elle rappelle en quoi la situation danoise fut particulière sous l’Occupation allemande : pour mémoire, cette étonnante « Forstålespolitik » (politique d’accommodements) qui vit un Premier ministre (Erik Scavenius) former un gouvernement en bonne entente avec Werner Best (plénipotentiaire du Reich au Danemark). Et de collaborer sans grands heurts jusqu’en septembre 1943, organisant même des élections parlementaires en mars de cette année ! Ce qui se passa lors de la Libération du territoire n’est pas moins surprenant : Scavenius nullement inquiété (rendant même visite à Best dans sa prison), et une épuration qui se limita à moins de cent personnes condamnées à mort, dont la moitié exécutées. Sans oublier une nette réserve de la population à l’égard des communistes auxquels elle reprocha de l’avoir mise en danger par leurs excès. La comparaison avec ce qui s’est passé dans d’autres pays occupés laisse rêveur.
L’intérêt de cet ouvrage est aussi de fournir d’intéressantes biographies critiques des personnalités ayant croisé la destinée de Céline au Danemark et dont on savait finalement peu de choses : Thorvald Mikkelsen, Per Federspiel, Herman Dedichen, Aage Seidenfaden, Henning Jensen, etc. (côté danois), et, dans des registres différents, Guy de Girard de Charbonnière, François Löchen, Jacques Mourlet, Gabrielle et Ercole Pirazzoli... (côté français).
L’iconographie n’est pas moins captivante : très belle collection de documents, inédits pour la plupart. Ainsi, ces photographies de Céline en compagnie de ses hôtes à Klarskovgaard. L’une d’entre elles figure en page de couverture.
Aucun aspect de l’exil n’a été omis : tout d’abord, les lieux où Céline a vécu, présentés de manière détaillée, du moins ceux de Korsør. On aurait aimé qu’il en soit de même pour ceux de Copenhague (20 Ved Stranden et 8 Kronprinsessegade) qui ne sont ni situés dans la ville, ni décrits. C’est pourtant là que Céline séjourna une dizaine de mois avant et après son arrestation. Sont aussi examinés ses moyens d’existence, ses lectures, sa correspondance, le relevé des amis français qui vinrent le voir et de ceux qui s’en abstinrent ou qu’il découragea de venir. La façon, rigoureuse et précise, dont ce livre est conçu en fait une véritable encyclopédie de l’exil danois.
Deux chapitres méritent encore qu’on s’y attarde ici : celui consacré à « l’affaire Hindus » dans lequel Éric Mazet montre bien le ressentiment et même la malveillance manifestés par l’auteur de Crippled Giant au moment même où Céline risquait gros, et le chapitre consacré au dossier de l’amnistie. Le rôle déterminant de Tixier-Vignancour et celui du colonel André Camadau (Commissaire du Gouvernement devant le Tribunal militaire de Paris) sont bien mis en valeur.
Tous ces chapitres sont agrémentés de documents du plus grand intérêt, d’autant qu’ils sont reproduits intégralement. Exemples : le réquisitoire de René Charrasse ou le témoignage du pasteur Löchen rédigé en faveur de Céline à l’intention de la presse.
L’ouvrage se clôt par un passionnant « Calendrier d’exil » qui égrène minutieusement, mois après mois, ce que fut la vie de l’exilé en regard de l’actualité de l’époque.
Saluons, pour conclure, la qualité de la présentation. Typographie, mise en page, iconographie, répartition de cette vaste matière en chapitres aérés : tout concourt à faire de cet apport un superbe ouvrage que chaque célinien se doit d’avoir dans sa bibliothèque.
Marc LAUDELOUT
Éric Mazet & Pierre Pécastaing, Images d’exil. Louis-Ferdinand Céline, 1945-1951 (Copenhague-Korsør), Du Lérot & La Sirène, 2004, 428 pages, 93 illustrations in-texte, noir et couleurs. Préface de Claude Duneton.
Tirage limité à 520 exemplaires, soit 50 exemplaires hors commerce, 20 exemplaires sur Mémoire de papier et 450 exemplaires sur vergé Perle.
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