samedi 6 novembre 2010

Féerie pour cette fois

Céline, encore une fois, avec sa verve, son panache, ses imprécations, son désir de légèreté, sa lourdeur parfois, ses erreurs sans nom, sa mauvaise foi et son désir de vérité. Peu d'hommes, peu d'écrivains auront porté à ce point d'excès les contradictions du XXè siècle. Ces Lettres de la Pléiade permettent une vision globale de l'homme Destouches et de l'écrivain Céline puisque les biographies sont généralement partiales et que les divers recueils de lettres ont, jusqu'ici, été consacrés à une période ou à un interlocuteur (Albert Paraz, Joseph Garcin, Gaston Gallimard et Nimier). C'était, chaque fois, une focalisation particulière, une rhétorique adaptée, une adresse à quelqu'un. Voir ainsi non pas la totalité, mais un choix dans la globalité de sa correspondance nous donne à voir les divers angles du feu d'artifice Céline, ses tirs en rase-mottes, ses effets shrapnel, ou son art de pointer au cœur.
C'est l'occasion aussi de mesurer la distance qui existe entre les événements vécus (en Angleterre adolescent, à la Guerre, en Afrique, etc.) et ceux relatés dans les romans, toute la trigonométrie entre la biographie événementielle, la vie ressentie et la transposition romanesque. Un grand écrivain doit tenir les trois points. On découvre un Destouches enfant plutôt bien élevé, attentionné avec ses parents. Puis à l'année où il s'est engagé, des lettres de camarades et d'officiers témoignent d'une certaine déprime et de ses difficultés d'adaptation. La guerre commencée, Destouches patriotique est confiant de revenir vite et « couvert de lauriers ». La situation s'enlise (« À la Meuse, que le chemin de la gloire est sale »); il est blessé d'une balle au bras. C'est le coeur du recueil Devenir Céline (lettres de 1912 à 1919). L'affaire du Goncourt, ce ratage qui fut une réussite commerciale; Céline anxieux et agacé par les critiques qui, décidément, n'y entendent goutte. Après le Voyage, il change de ton et de style dans ses lettres, la fiction ayant contaminé la correspondance. Par moments, on voit un Céline amical, familier et enjoué («Mon vieux », « mon lapin »), parodique (sur Chateaubriand), un autre attentionné et cru avec les femmes (auxquelles il prodigue des conseils sexuels qui sont autant ceux d'un amant ou ancien amant que d'un médecin, question d'éviter les enfants et les maladies: chacun jugera de la validité des méthodes...). Puis Céline le furieux, l'antisémite, qui condense sa rage du monde en un complot où le Juif est le diable, jusqu'à la confusion délirante: « Nulle clique plus noyautée de juifs et juivisants anxieux que le brelan antisémite! Fatalement! ». D'un Céline l'autre: le prisonnier, l'exilé, le reclus. Puis ces lettres de la fin, l'explosion de liberté lorsqu'il découvre en Nimier un éditeur admiratif et attentif. Partout, même dans les erreurs les plus lourdes, ce désir de dire la vérité du monde. Ainsi de cette phrase, chargée de sens: « C'est ainsi que je sens les gens et les choses. Tant pis pour eux. »

Olivier RENAULT, Librairie L'Arbre à Lettres, Paris 14è.
Page, Décembre 2009.
www.pagedeslibraires.fr


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