vendredi 17 décembre 2010

Alphone Boudard - L'hôpital

«… les pavés ronds, les arcades, je traverse la cour, j’entre à l’hosto. C’est l’été et c’est Bicêtre. Ils partent les autres au bronzage sur les rives d’Azur. Qu’ils se tirent tous, grand bien leur fasse… mémères, lardons, pin-up… Nationale 7… Saint-Trop les miches ! Tellement je suis pompé, crouni, qu’ils peuvent se gaver tous les soleils, ça ne me démange pas la jalousie. J’ai la tête lourde, les cannes tristes et encore ce goût fade de sang dans le fond de la gorge. Je me pointe tout sage aux admissions, bien docile, bien réfléchi. J’ai ma valoche carton bouilli, ma brosse à dents, mon nécessaire, juste ce qu’il me faut. La canicule, le ciel d’ardoise, l’étouffement que c’est !… chez Géo, l’usine en bas vers la Bascule, les effluves qui montent à vous dégoûter de la saucisse pour le restant de vos repas. Je retire mes pompes. La préposée, la dame en blanc, toujours l’exige. Trop souvent qu’elle en a vus, depuis vingt piges et des poussières qu’elle officie à l’Assistance, de ces messieurs bien sous tous rapports – le col à becter de la tarte, les manchettes à boutons dorés – et cependant les panards cradingues puants. Elle se défie des apparences, elle connaît la vie, les êtres, les plaies profondes, le cœur humain. […]»

Alphonse Boudard, L’Hôpital, 1972, Ed. La Table Ronde.

1 commentaire:

  1. Nous voilà aujourd'hui à des années-lumière de tout ça. Tant mieux pour ce qui est de la tubardise, tant pis pour d'autres choses, notamment cette langue dite verte désormais moribonde, sinon déjà morte, que les tristes ersatz des banlieues "défavorisées" ne remplaceront, et c'est heureux, jamais.
    Sans doute as-tu plié ton pébroque au bon moment, Alphonse.

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