vendredi 31 décembre 2010

Les souvenirs de Maurice Gabolde

Sous le titre Écrits d’exil. Contribution à l’histoire de la période 1939-1945, les souvenirs posthumes de Maurice Gabolde sont ceux d’un dignitaire du régime de Vichy, figurant, comme d’autres, dans la galerie de personnages d’Un château l’autre. Nommé procureur général à Chambéry en 1938, appelé ensuite à Riom (avocat général à la Cour Suprême chargée de juger les « responsables de la défaite »), puis à Paris (procureur, puis procureur général), Maurice Gabolde fut nommé garde des Sceaux en avril 1943 dans le second gouvernement Laval. Peu actif à Sigmaringen, il parvint à gagner l’Espagne et fut condamné à mort par contumace en mars 1946. Il décéda en exil en 1972. Dans ses souvenirs, il évoque la figure de Céline avec sympathie. Quelques extraits.

« “Je suis parti parce que j’avais une mitrailleuse au c...”, disait dans son langage savoureux le bon Céline. (…) De braves gens comme Georges Claude, Paul Rives et Céline furent injustement confondus avec des arrivistes, des visionnaires et des extrémistes, alors que, pour prendre l’exemple de Céline que j’ai mieux connu en Allemagne, il n’existait entre lui et le nazisme qu’un seul point de contact, l’antisémitisme. » (…) « Fernand de Brinon était surnommé “ l’Usurpateur ” par « les intellectuels de l’émigration, gens de lettres incorrigibles et frondeurs (Céline, Rebatet) » (…) « Notre collègue, Paul Marion, toujours gavroche, s’exprimait en termes peu protocolaires à l’égard de “ l’Usurpateur ” dans le petit cercle d’intellectuels frondeurs et primesautiers qu’il fréquentait, Céline, Crouzet, Rebatet et Lalouelle. » Un autre intérêt du livre est de donner des précisions sur le conseiller d’ambassade Amilcar Hoffmann, « issu d’une grande famille bavaroise », qui s’est également retrouvé à Sigmaringen. Il fit partie des commensaux de Maurice Gabolde : « Ils furent peu nombreux et soigneusement choisis pour ne donner prise à aucune interprétation malveillante de la part des “Actifs” [NDLR : ce terme désigne ceux qui, à l’instar de Brinon ou de Luchaire, assumaient des responsabilités politiques en exil] : l’administration du Château (ménage Hoffmann, Salza et la comtesse Sailern) qui avait coutume de partager notre repas du dimanche, le littérateur Céline et sa femme, Lalouelle, professeur à la Faculté de Nancy, les diplomates japonais, le Consul général d’Italie Longhini, Alphonse de Chateaubriant et son égérie. »
Plus intéressant encore est le portrait, très bienveillant, que fait Maurice Gabolde de son ami Jean Bichelonne, ministre du Travail, qui mourra d’une embolie pulmonaire à Sigmaringen : « Ce n’était pas seulement une machine cérébrale extraordinaire de précision, de mémoire et de capacité scientifique ; c’était aussi, quand il se livrait à une confiante amitié, une âme d’élite transparente et fraîche, une âme de grand enfant affectueux et rêveur. Il n’avait aucune malice, pas la moindre duplicité ; sa naïveté était charmante ; son rire sonnait clair et ses bons yeux de nordique étaient le miroir de ses pensées. Il n’était pas fait pour la politique et encore moins pour celle de Vichy, rendue tortueuse par l’occupant. Son impréparation à jouer le jeu machiavélique de la fin du régime du Maréchal m’était apparue quand il signa, quelque temps avant la débâcle, le factum où Déat, Benoist-Méchin et d’autres “boutefeux” demandaient le remplacement de Laval pour déclarer la guerre aux États-Unis, mobiliser une armée qui n’existait pas et pousser la politique de collaboration à ses conséquences extrêmes. Il avait donné sa signature, confiant dans les explications inexactes qui lui avaient été données et cru apostiller un papier sans importance, quelque chose, disait-il, comme une de ces attestations que l’on donne à l’inventeur d’un nouveau produit pharmaceutique. »

• Maurice Gabolde, Écrits d’exil. Contribution à l’histoire de la période 1939-1945, Les Éditions Emmanuel Gabolde, 2009, 600 p.


Illustrations : Bichelonne sur son lit de mort ; Le château de Sigmaringen en 1944.

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