Dépouillant la presse française des années trente et quarante, Henri Thyssens n’en finit pas de faire des découvertes. Sur son site internet entièrement voué à l’éditeur Robert Denoël ¹, il vient d’exhumer un intéressant écho littéraire paru le 26 juin 1936 dans l’hebdomadaire satirique Cyrano ². Cet écho annonce le programme des débats qui auront lieu le lendemain après-midi au « Club du Faubourg » ³ :
« Matinée sensationnelle avec Francis de Croisset, Lucien Descaves, Marcelle Tinayre, Irène Némirowsky, Paul de Cassagnac, Pierre Bonardi dans huit débats sur Duel ou Vendetta ?, Le Dragon blessé, Mort à crédit, Les Concours du Conservatoire, Jézabel, La Porte rouge, L’Anniversaire de Rouget de Lisle ».
Commentaire de Henri Thyssens : « Ce qui paraît aujourd'hui “sensationnel” est de retrouver sur une même affiche Mort à crédit et Lucien Descaves car si l'écrivain naturaliste fut, avec Léon Daudet et Jean Ajalbert, le meilleur défenseur de Voyage au bout de la nuit en décembre 1932, il s'abstint – croyait-on – de tout commentaire public sur Mort à crédit, qui lui était dédié, ce dont Céline se plaignait, le 29 mai 1936, à Henri Mahé : “Daudet et Descaves se sont cette fois foireusement dégonflés...” L'écho de Cyrano prouve le contraire. »
Lucien Descaves (1861-1949), auteur notamment des Sous-offs (1889), fut l’un des signataires du « Manifeste des cinq » par lequel, après La Terre, cinq romanciers naturalistes avaient rompu avec Zola. C’est pourtant lui qui, bien des années après, invita Céline à prononcer un hommage à l’auteur de L’Assommoir lors de la journée de Médan. Peu de temps auparavant, au sein de l’Académie Goncourt, Descaves avait été l’un des plus enthousiastes partisans de Céline. Il y a quatre ans, un colloque et une exposition relatifs au dédicataire de Mort à crédit ont été organisés par l’Université de Bretagne Occidentale et la Bibliothèque Municipale de Brest. Voici comment le présente l’auteur du catalogue : « Naturaliste de la première heure, mais co-signataire du Manifeste des Cinq, écrivain antimilitariste et antibelliciste, politiquement engagé, investi dans les questions sociales, proche de l’anarchisme et réhabilitant Barabbas contre Jésus, journaliste, âme de l’Académie Goncourt pendant près d’un demi-siècle (1901-1949), exécuteur testamentaire de Huÿsmans, homme de théâtre, Lucien Descaves est un écrivain divers, que la postérité devrait redécouvrir, marqué à la fois par une précocité (première œuvre écrite dès l’âge de seize ans) et une longévité (Souvenirs d’un ours, publié lorsque l’écrivain avait 85 ans) notables 4. » Cela lui faisait quelques points communs avec Céline. Sans doute y en eut-il d’autres. En 1942, Céline rappelait cette confidence de Descaves : « “L’aryen, voyez-vous Céline, c’est “Sans famille”... ». Et Céline d’ajouter, pour être sûr d’être bien compris : « La solidarité aryenne n’existe pas, sauf chez les “maçons”, et seulement pour l’usage “maçon”, et dans le sens juif. Une équipe où chacun ne joue que pour soi est une équipe battue d’avance 5. »
Marc LAUDELOUT
1. « Robert Denoël, éditeur » [www.thyssens.com]
2. Jean Desthieux, « Lettres à Roxane », Cyrano, 26 juin 1936.
3. Le Club du Faubourg, animé par Léopold Szeszler, dit Léo Poldès (1891-1970), invitait des personnalités de toutes tendances politiques à débattre sur des sujets divers. Voir le mémoire, disponible sur internet, que lui a consacré Claire Lemercier, « Le Club du Faubourg, tribune libre de Paris (1918-1939) ».
4. Jean de Palacio, « Préface » in Lucien Descaves, 1861-1949. De la Commune de Paris à l’Académie Goncourt, Bibliothèque municipale de Brest, 2005. Voir Brigitte Péron, « Lucien Descaves », Le Bulletin célinien, avril 2006.
5. « Lettre à Jacques Doriot », Cahiers de l’émancipation nationale, mars 1942. Repris in Cahiers Céline 7.
« Matinée sensationnelle avec Francis de Croisset, Lucien Descaves, Marcelle Tinayre, Irène Némirowsky, Paul de Cassagnac, Pierre Bonardi dans huit débats sur Duel ou Vendetta ?, Le Dragon blessé, Mort à crédit, Les Concours du Conservatoire, Jézabel, La Porte rouge, L’Anniversaire de Rouget de Lisle ».
Commentaire de Henri Thyssens : « Ce qui paraît aujourd'hui “sensationnel” est de retrouver sur une même affiche Mort à crédit et Lucien Descaves car si l'écrivain naturaliste fut, avec Léon Daudet et Jean Ajalbert, le meilleur défenseur de Voyage au bout de la nuit en décembre 1932, il s'abstint – croyait-on – de tout commentaire public sur Mort à crédit, qui lui était dédié, ce dont Céline se plaignait, le 29 mai 1936, à Henri Mahé : “Daudet et Descaves se sont cette fois foireusement dégonflés...” L'écho de Cyrano prouve le contraire. »
Lucien Descaves (1861-1949), auteur notamment des Sous-offs (1889), fut l’un des signataires du « Manifeste des cinq » par lequel, après La Terre, cinq romanciers naturalistes avaient rompu avec Zola. C’est pourtant lui qui, bien des années après, invita Céline à prononcer un hommage à l’auteur de L’Assommoir lors de la journée de Médan. Peu de temps auparavant, au sein de l’Académie Goncourt, Descaves avait été l’un des plus enthousiastes partisans de Céline. Il y a quatre ans, un colloque et une exposition relatifs au dédicataire de Mort à crédit ont été organisés par l’Université de Bretagne Occidentale et la Bibliothèque Municipale de Brest. Voici comment le présente l’auteur du catalogue : « Naturaliste de la première heure, mais co-signataire du Manifeste des Cinq, écrivain antimilitariste et antibelliciste, politiquement engagé, investi dans les questions sociales, proche de l’anarchisme et réhabilitant Barabbas contre Jésus, journaliste, âme de l’Académie Goncourt pendant près d’un demi-siècle (1901-1949), exécuteur testamentaire de Huÿsmans, homme de théâtre, Lucien Descaves est un écrivain divers, que la postérité devrait redécouvrir, marqué à la fois par une précocité (première œuvre écrite dès l’âge de seize ans) et une longévité (Souvenirs d’un ours, publié lorsque l’écrivain avait 85 ans) notables 4. » Cela lui faisait quelques points communs avec Céline. Sans doute y en eut-il d’autres. En 1942, Céline rappelait cette confidence de Descaves : « “L’aryen, voyez-vous Céline, c’est “Sans famille”... ». Et Céline d’ajouter, pour être sûr d’être bien compris : « La solidarité aryenne n’existe pas, sauf chez les “maçons”, et seulement pour l’usage “maçon”, et dans le sens juif. Une équipe où chacun ne joue que pour soi est une équipe battue d’avance 5. »
Marc LAUDELOUT
1. « Robert Denoël, éditeur » [www.thyssens.com]
2. Jean Desthieux, « Lettres à Roxane », Cyrano, 26 juin 1936.
3. Le Club du Faubourg, animé par Léopold Szeszler, dit Léo Poldès (1891-1970), invitait des personnalités de toutes tendances politiques à débattre sur des sujets divers. Voir le mémoire, disponible sur internet, que lui a consacré Claire Lemercier, « Le Club du Faubourg, tribune libre de Paris (1918-1939) ».
4. Jean de Palacio, « Préface » in Lucien Descaves, 1861-1949. De la Commune de Paris à l’Académie Goncourt, Bibliothèque municipale de Brest, 2005. Voir Brigitte Péron, « Lucien Descaves », Le Bulletin célinien, avril 2006.
5. « Lettre à Jacques Doriot », Cahiers de l’émancipation nationale, mars 1942. Repris in Cahiers Céline 7.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire