vendredi 21 janvier 2011

Sept ans de reflexion judiciaire

Le Canard enchaîné, 19/01/2011 : "Le procès de Céline, 1911-1951" (Du Lérot éditeur) raconté à travers son dossier d'instruction, publié pour la première fois.

Le 17 juin 1944, Louis-Ferdinand Céline quitte sa chère butte Montmartre pour l'Allemagne, craignant la Libération prochaine et une justice expéditive. Après ses tribulations de Baden Baden à Sigmaringen, il réussit enfin, en mars 1945, à passer à Copenhague, où il est arrêté en décembre et placé en détention, sous le coup d'une demande d'extradition lancée par Paris pour « intelligence avec l'ennemi ». « Toujours l'article 75 au cul ! » résume-t-il dans sa Correspondance, en se référant au Code pénal. Loin d'abjurer, il fulmine contre ce « procès Dreyfus à l'envers », et finit par menacer ses juges « épurateurs » d'un libelle accusateur intitulé « Poteau-sur-Seine ».
En refusant de l'extrader, « Le Danemark a-t-il sauvé Céline ? », se demandait jadis dans un livre l'ex-ministre de la Justice danoise Helga Pedersen... Mais la justice française n'aurait-elle pas paradoxalement contribué aussi à sauver l'auteur de « Bagatelles pour un massacre » ? Par ses lenteurs et ses négligences, une fois passées la fureur de 1945 et la condamnation à mort de Robert Brasillach. C'est la question inattendue que permet de soulever ce volume rassemblant les pièces (largement inédites) du procès Céline de 1944 à 1951.
Gaël Richard, qui a exhumé et annoté ces documents d'archives, souligne qu'il n'y a quasiment pas d'acte d'instruction entre 1945 et 1948, et que les commissaires du gouvernement successifs, au moment de requérir en 1949, se montrent plutôt indulgents, voire amusés par les lettres que Céline leur envoie !
Ce dossier d'instruction recèle quelques perles : tout le courrier en souffrance arrivé après le départ de Céline en 1944 est saisi par la PJ chez sa concierge. Dont des missives d'admirateurs français qui écrivent d'Allemagne en singeant la gouaille antisémite de leur grand homme : à donner le frisson... Mais aussi toutes les lettres de soutien envoyées par des témoins de moralité, d'Arletty à Henry Miller, à la veille du procès, en février 1950. Marcel Aymé explique ainsi que, si Céline a persévéré dans le pamphlet antisémite, c'est la faute de Robert Denoël, qui l'exploitait par un « contrat très dur » et « illégal » et pour des « raisons d'ordre commercial » : assassiné en 1945, l'éditeur n'était plus là pour se défendre.
Le fondateur du « Crapouillot », Jean Galtier-Boissière, prétend, lui, que, « pendant l'Occupation, Céline n'a publié aucun pamphlet politique »... En occultant « Les beaux draps », parus en 1941 ! dont les citations à charge constituent l'ossature du réquisitoire : « Bouffer du Juif ça ne suffit pas ( ... ) si on saisit pas leurs ficelles, qu'on les étrangle pas avec. » Enfin, son grand ami graveur Daragnès affirme que Céline n'a jamais dédicacé ses ouvrages à des Allemands... Oubliant, entre autres, son grand ami nazi Karl Epting, directeur de l'Institut allemand de Paris, à qui il demandait de débloquer des stocks de papier afin de faire réimprimer ses ouvrages !
Le 21 février 1950, Céline est finalement condamné par la cour de justice de la Seine à un an de prison. Une peine couverte par sa détention provisoire et en outre amnistiée un an plus tard en vertu de son statut d'ancien combattant médaillé de la guerre de 1914-1918 par le tribunal militaire, qui hérite du dossier et devant lequel son avocat Tixier-Vignancour a eu l'habileté de le présenter sous son seul nom d'état civil Destouches. Dépité, le garde des Sceaux René Mayer saisit alors, « dans l'intérêt de la loi », la Cour de cassation, qui casse l'amnistie, mais juste pour le principe... Entre-temps, Céline est rentré d'exil, le 1er juillet 1951.
Malgré quelques partis pris dans l'annotation, cette édition, illustrée de nombreux fac-similés, contribue ainsi à faire progressivement la lumière sur la face obscure des inédits céliniens.

David FONTAINE
Le Canard enchaîné, 19/01/2011.


Gaël Richard, Le procès Céline 1944-1951, Ed. du Lérot, 2010, 320 pages, 45€.

A signaler aussi, la publication de « L'accueil critique de "Bagatelles pour un massacre" », par André Derval (Ecriture, 308 p., 23 €). Cet édifiant recueil rassemble la soixantaine de comptes rendus parus à la sortie de cet ouvrage, en 1938. Où l'on voit Gide, amusé, prendre Céline pour un « maboul » littéraire, et son premier pamphlet antisémite pour du second degré... Tout comme nombre d'autres critiques de l'époque se montraient admiratifs et louangeurs, y compris Jules Rivet dans les colonnes du « Canard ». En plein délire de l'époque...

1 commentaire:

  1. Voilà un livre qui respire la liberté de penser, qui ne dit pas comment juger, mais vous laisse juge, sur pièces, libre de penser ce qu'on veut, à la lecture d'un dossier plein d'inédits, de surprises, de documents, d'archives... Un vrai roman policier, c'est le cas de le dire, non romancé celui-là... Un travail de bénédictin !

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