Comment un médecin a pu devenir progressivement antisémite.
Au cours du mois de janvier, nous avons assisté à une véritable polémique franco-française au moment du retrait, à la demande de Serge Klarsfeld, du cinquantenaire de la mort de Louis-Ferdinand Céline de la liste annuelle des célébrations de la République française. « Doit-on, peut-on célébrer Céline ?... Les objections sont trop évidentes. Il a été l'homme d'un antisémitisme virulent, qui, s'il n'était pas directement meurtrier, était d'une extrême violence verbale… » s’est alors justement demandé le professeur Henri Godard, éditeur de l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline dans « La Pléiade ». Saine interrogation à laquelle le ministre de la Culture et de la Communication Frédéric Mitterrand a répondu par la négative. Parmi les multiples réactions qui ont suivi, mon attention a été retenue par une phrase prononcée par notre collègue Richard Prasquier président du CRIF « Tous les colloques qu’il faut, bien au contraire, pour étudier Céline et savoir comment un grand écrivain peut être un salaud ». J’ai donc suivi son conseil et je me suis plongé dans les différentes biographies du docteur Destouches alias Céline afin de mieux comprendre comment un médecin et de surcroit un écrivain a pu devenir progressivement antisémite. On nous répète souvent que le point de départ a été l’antisémitisme qui régnait dans sa famille où son père désignait les juifs comme seuls responsables de sa faillite. Pourquoi pas ? Mais en me plongeant dans sa biographie, je me suis aperçu que son parcours professionnel a été jalonné de rencontres avec des médecins juifs dont certains ont été ses supérieurs hiérarchiques. Est-ce là qu’il faut rechercher les racines de l’antisémitisme virulent dont il a fait preuve ?
D’André Lwoff Prix Nobel de Médecine à Ludwig Rajchman fondateur de l’UNICEF
Le premier médecin juif que Louis-Ferdinand Céline a côtoyé André Lwoff alors qu’il s’était lancé dans la recherche scientifique à la station marine de Roscoff. Le futur Prix Nobel de Médecine en 1965 a dit de Céline : « Nul ne regrettera qu'il ait sacrifié le métier de chercheur à celui d'écrivain ... ». Sans préjugé des relations qui ont pu s’établir entre les deux hommes, on peut imaginer que leurs rapports n’ont pas été excellents.
Le second médecin qui a marqué la vie de Céline est Ludwig Rajchman. C’était un Juif polonais qui était directeur de l'Organisation d'hygiène de la Société Des Nations à Genève. C’est lui qui a soutenu la candidature de Louis-Ferdinand Céline comme candidat au poste de médecin au service d'hygiène internationale de la SDN en invoquant le fait qu'il est « a very intelligent and enthusiastic man ». Louis-Ferdinand Céline a donc travaillé sous les ordres de ce médecin juif qui l’a reçu de nombreuses fois à son domicile et qui a entretenu avec lui des relations amicales au cours des trois années qu’il a passées à Genève. Après son départ de Genève, Ludwig, Rajchman a continué à l’aider financièrement en lui confiant des missions pour la SDN sans lui réclamer des rapports. Louis-Ferdinand Céline n’a eu aucune reconnaissance envers lui et l’a décrit sous le nom de "Yudenzweck" dans L’Eglise et de "Yubelblat" dans Bagatelles pour un massacre. Ludwig Rajchman qui a créé l’UNICEF a rompu tous les contacts avec l’écrivain après 1933 quand il a pris connaissance des écrits de celui qu’il avait aidé, soutenu et estimé. Faut-t-il voir dans la difficulté à accepter d’être redevable à Rajchman un élément expliquant l’antisémitisme de Céline. Peut être ?
L’échec de l’installation libérale
Après avoir quitté Genève, Louis-Ferdinand Céline s’est installé comme médecin généraliste à Clichy en août 1927 où il a ouvert un premier cabinet qu'il a du rapidement fermer, faute de clientèle : « Depuis que j'ai ouvert mon cabinet, c'est la déche ! Pas de clientèle... Rien à foutre de la journée ... Faudra le temps de démarrer qu'on m'a dit (...) Faut il que je sois con de l'avoir cru ». Il s’est réinstallé à nouveau au 36 rue d'Alsace à Clichy inaugurant la légende mille fois ressassé de « Céline médecin des pauvres » voyant à longueur de journées défiler des pauvres gens à qui il n'osait souvent pas leur demander d'argent.
En vérité, c’est une légende savamment construite et entretenue par ceux qui ont voulu gommer le fait que Louis-Ferdinand Céline entretenait avec l’argent un rapport quasi obsessionnel en rapport avec une crainte quasi obsessionnelle de la misère. Le manque de clientèle l'a obligé à fermer son cabinet de médecine général début 1929. J’ai consulté le guide Rosenwald et non sans surprise on s’aperçoit qu’il s’était installé dans une ville qui comptait de nombreux médecins juifs. Faut-t-il voir dans cet échec un élément expliquant en partie l’antisémitisme de Céline. Peut être ?
Encore des médecins et toujours des médecins juifs
Parallèlement à cette installation « ratée », le docteur Destouches a été obligé de multiplier les activités annexes pour trouver d'autres sources de revenus. Il a travaillé dans le service de pneumologie de l’hôpital Laennec dirigé par le professeur Léon Bernard secondé par le professeur Robert Debré. Encore une fois, Louis-Ferdinand Céline a été contraint de travailler dans un service dirigé par deux Juifs. Robert Debré a relaté dans une interview que l’écrivain « donnait l'impression d'être triste et malheureux ». Au même moment, en 1928, il a posé sa candidature de membre à la Société de Médecine de Paris. Au cours de la séance du 24 mars 1928, le rapporteur, a demandé à ses collègues de faire un « bon accueil à la candidature du docteur Destouches, en raison de ses titres militaires et civils ». Quel est le nom du rapporteur ? Il s’agit du docteur Georges Rosenthal. Faut-t-il voir dans la succession de ses contacts avec des médecins juifs à un moment difficile de sa carrière un élément expliquant en partie l’antisémitisme de Céline ? Peut être.
Un médecin juif préféré à lui
En janvier 1929 Céline a trouvé un emploi dans le dispensaire qui venait jusqu’à ouvrir rue Fanny à Clichy grâce à l’appui du docteur Rajchman et du professeur Bernard. Contrairement à ce qu’il espérait il n’a pas été nommé médecin chef. Le choix s’est porté sur le docteur Grégoire Ichok ce qui a immédiatement exaspéré Louis-Ferdinand Céline qui n’a jamais digéré qu'on ait préféré nommer un Juif à sa place. D’emblée la haine s’est installé entre les deux hommes que tout opposait. Grégoire Ichok était travailleur, rigoureux, sérieux et intelligent qui assurait la gestion du dispensaire. Il était conseiller technique au ministère de la Santé publique et professeur à l'Institut statistique de Paris. Il tenait une rubrique « Hippocrate vous dit » dans le Prolétaire de Clichy. Il était l’auteur de nombreux rapports sur la santé publique et de nombreux articles dans des revues médicales. Il était également membre actif de la L.I.C.A. (Ligue internationale contre l'antisémitisme). Il était ami avec Marc Chagall, Julien Caïn, administrateur général de la Bibliothèque nationale, Charles Gombault de France-Soir, Pierre Comert, directeur de la presse au Quai d'Orsay et surtout Salomon Grumbach, qui était président de la Commission des Affaires étrangères à la Chambre des députés... Cela exaspérait Céline qui en faisait son abcès de fixation. Il a fait courir le bruit qu’il avait usurpé le titre de docteur en médecine. Mais surtout, Ichok avait le tort de ne pas être français, mais surtout il était juif... Céline l’a décrit en ces termes injurieux : « Au dispensaire municipal sur lequel je m'étais rabattu, je vis arriver un certain Idouc (sic), lithuanien (...) imposé par les dirigeants communistes (...) La direction du dispensaire, confiée à ce médecin probablement faux, n'étant sans doute qu'un camouflage ». Cette relation tendue entre les deux médecins a dégénéré en un véritable conflit dans le dispensaire. La plupart des autres médecins du dispensaire étaient juifs. Deux d’entre eux Medioni et Gozlan avaient des relations d’amitié avec l’écrivain. Ils étaient d’ailleurs présents avec lui dans un bistrot au moment des délibérations du prix Goncourt. L’atmosphère dans le dispensaire est devenu véritablement explosive quand Céline a commencé à émettre des propos haineux contre l’Union soviétique (Clichy était alors une municipalité communiste) et surtout après la sortie de « Bagatelles pour un massacre » qui regorgeait de propos antisémites. Le 10 décembre 1937 Louis-Ferdinand Céline a présenté sa démission à la municipalité de Clichy qui l’a accepté dès le lendemain en le remerciant de la collaboration qu'il avait apportée « pendant de si nombreuses années ». Céline a d’ailleurs déclaré par la suite « [...] Je me démis aussi de mes fonctions au dispensaire à cause d'Idouc, et parce que mes confrères me battaient froid, comme " médecin-littérateur ". »
Faut-t-il voir dans les rapports conflictuels qu’il a eu avec Grégoire Ichok un élément expliquant en partie l’antisémitisme de Céline ? Surement.
En tout cas, il est intéressant que parallèlement à ses activités au dispensaire, il a travaillé comme conseilleur médical dans le laboratoire de biothérapie, fondé par le pharmacien Charles Weisbram en 1921 et dirigé par Abraham Alpérine qui était comme par hasard juifs.
Louis-Ferdinand Céline délateur
On l’aura compris, la mise en place des législations contre les médecins étrangers a suscité une certaine satisfaction de la part de Louis-Ferdinand Céline qui n’a pas hésité à écrire aux autorités « La [sic] poste de Médecin du dispensaire municipal de Bezons (Seine-et-Oise) est actuellement occupé par un médecin étranger juif non naturalisé. En vertu des récents décrets ce médecin doit être licencié. Le Dr Destouches présente sa candidature à ce poste — Le Dr Destouches a pratiqué depuis 1924 dans les dispensaires municipaux de la banlieue. Il est pleinement qualifié pour ce poste. » (Coll. Pécastaing, inédit.)
On l’a bien compris, les racines de l’antisémitisme de Louis-Ferdinand Céline s’ancrent dans le ressentiment qu’il a nourri en fréquentant des médecins juifs. Pour la petite histoire, on retiendra toutefois qu’il a fait la connaissance à la fin de sa vie, d’un cardiologue juif, le docteur Robert Brami qui était son voisin à Meudon. Ce dernier a diagnostiqué chez l’écrivain une fracture du rocher à l’origine de ses névralgies et de ses troubles de l’équilibre.
Conclusion
En guise de conclusion, je voudrais rappeler à ceux qui ont fustigé le soit disant lobby sioniste à l’origine du retrait, du cinquantenaire de la mort de Louis-Ferdinand Céline de la liste annuelle des célébrations de la République française ce qu’a écrit Céline le 13 mai 1949 à propos du conflit israélo-arabe« En douce il y a paraît-il 800000 arabes pourchassés et mitraillés par les youtres à crever dans le Néguev. Mais je m'en fous ô diantre ! Arabes et youtres conjointement sont prêts à m'étriper — et Durant et Dupont ! C'est pas demain que je vais faire des préférences entre les cannibales ! Noirs Verts Blancs ou Résédas ! Oh la merde ! » (A Paraz, [13 mai 1949].)
Bruno HALIOUA
www.crif.org, 22/2/2011
Bruno Halioua est secrétaire général de l'AMIF, Association des Médecins Israélites de France, association membre du CRIF que préside le professeur Robert Haïat, et délégué de l’AMIF à l’Assemblée Générale du CRIF
Au cours du mois de janvier, nous avons assisté à une véritable polémique franco-française au moment du retrait, à la demande de Serge Klarsfeld, du cinquantenaire de la mort de Louis-Ferdinand Céline de la liste annuelle des célébrations de la République française. « Doit-on, peut-on célébrer Céline ?... Les objections sont trop évidentes. Il a été l'homme d'un antisémitisme virulent, qui, s'il n'était pas directement meurtrier, était d'une extrême violence verbale… » s’est alors justement demandé le professeur Henri Godard, éditeur de l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline dans « La Pléiade ». Saine interrogation à laquelle le ministre de la Culture et de la Communication Frédéric Mitterrand a répondu par la négative. Parmi les multiples réactions qui ont suivi, mon attention a été retenue par une phrase prononcée par notre collègue Richard Prasquier président du CRIF « Tous les colloques qu’il faut, bien au contraire, pour étudier Céline et savoir comment un grand écrivain peut être un salaud ». J’ai donc suivi son conseil et je me suis plongé dans les différentes biographies du docteur Destouches alias Céline afin de mieux comprendre comment un médecin et de surcroit un écrivain a pu devenir progressivement antisémite. On nous répète souvent que le point de départ a été l’antisémitisme qui régnait dans sa famille où son père désignait les juifs comme seuls responsables de sa faillite. Pourquoi pas ? Mais en me plongeant dans sa biographie, je me suis aperçu que son parcours professionnel a été jalonné de rencontres avec des médecins juifs dont certains ont été ses supérieurs hiérarchiques. Est-ce là qu’il faut rechercher les racines de l’antisémitisme virulent dont il a fait preuve ?
D’André Lwoff Prix Nobel de Médecine à Ludwig Rajchman fondateur de l’UNICEF
Le premier médecin juif que Louis-Ferdinand Céline a côtoyé André Lwoff alors qu’il s’était lancé dans la recherche scientifique à la station marine de Roscoff. Le futur Prix Nobel de Médecine en 1965 a dit de Céline : « Nul ne regrettera qu'il ait sacrifié le métier de chercheur à celui d'écrivain ... ». Sans préjugé des relations qui ont pu s’établir entre les deux hommes, on peut imaginer que leurs rapports n’ont pas été excellents.
Le second médecin qui a marqué la vie de Céline est Ludwig Rajchman. C’était un Juif polonais qui était directeur de l'Organisation d'hygiène de la Société Des Nations à Genève. C’est lui qui a soutenu la candidature de Louis-Ferdinand Céline comme candidat au poste de médecin au service d'hygiène internationale de la SDN en invoquant le fait qu'il est « a very intelligent and enthusiastic man ». Louis-Ferdinand Céline a donc travaillé sous les ordres de ce médecin juif qui l’a reçu de nombreuses fois à son domicile et qui a entretenu avec lui des relations amicales au cours des trois années qu’il a passées à Genève. Après son départ de Genève, Ludwig, Rajchman a continué à l’aider financièrement en lui confiant des missions pour la SDN sans lui réclamer des rapports. Louis-Ferdinand Céline n’a eu aucune reconnaissance envers lui et l’a décrit sous le nom de "Yudenzweck" dans L’Eglise et de "Yubelblat" dans Bagatelles pour un massacre. Ludwig Rajchman qui a créé l’UNICEF a rompu tous les contacts avec l’écrivain après 1933 quand il a pris connaissance des écrits de celui qu’il avait aidé, soutenu et estimé. Faut-t-il voir dans la difficulté à accepter d’être redevable à Rajchman un élément expliquant l’antisémitisme de Céline. Peut être ?
L’échec de l’installation libérale
Après avoir quitté Genève, Louis-Ferdinand Céline s’est installé comme médecin généraliste à Clichy en août 1927 où il a ouvert un premier cabinet qu'il a du rapidement fermer, faute de clientèle : « Depuis que j'ai ouvert mon cabinet, c'est la déche ! Pas de clientèle... Rien à foutre de la journée ... Faudra le temps de démarrer qu'on m'a dit (...) Faut il que je sois con de l'avoir cru ». Il s’est réinstallé à nouveau au 36 rue d'Alsace à Clichy inaugurant la légende mille fois ressassé de « Céline médecin des pauvres » voyant à longueur de journées défiler des pauvres gens à qui il n'osait souvent pas leur demander d'argent.
En vérité, c’est une légende savamment construite et entretenue par ceux qui ont voulu gommer le fait que Louis-Ferdinand Céline entretenait avec l’argent un rapport quasi obsessionnel en rapport avec une crainte quasi obsessionnelle de la misère. Le manque de clientèle l'a obligé à fermer son cabinet de médecine général début 1929. J’ai consulté le guide Rosenwald et non sans surprise on s’aperçoit qu’il s’était installé dans une ville qui comptait de nombreux médecins juifs. Faut-t-il voir dans cet échec un élément expliquant en partie l’antisémitisme de Céline. Peut être ?
Encore des médecins et toujours des médecins juifs
Parallèlement à cette installation « ratée », le docteur Destouches a été obligé de multiplier les activités annexes pour trouver d'autres sources de revenus. Il a travaillé dans le service de pneumologie de l’hôpital Laennec dirigé par le professeur Léon Bernard secondé par le professeur Robert Debré. Encore une fois, Louis-Ferdinand Céline a été contraint de travailler dans un service dirigé par deux Juifs. Robert Debré a relaté dans une interview que l’écrivain « donnait l'impression d'être triste et malheureux ». Au même moment, en 1928, il a posé sa candidature de membre à la Société de Médecine de Paris. Au cours de la séance du 24 mars 1928, le rapporteur, a demandé à ses collègues de faire un « bon accueil à la candidature du docteur Destouches, en raison de ses titres militaires et civils ». Quel est le nom du rapporteur ? Il s’agit du docteur Georges Rosenthal. Faut-t-il voir dans la succession de ses contacts avec des médecins juifs à un moment difficile de sa carrière un élément expliquant en partie l’antisémitisme de Céline ? Peut être.
Un médecin juif préféré à lui
En janvier 1929 Céline a trouvé un emploi dans le dispensaire qui venait jusqu’à ouvrir rue Fanny à Clichy grâce à l’appui du docteur Rajchman et du professeur Bernard. Contrairement à ce qu’il espérait il n’a pas été nommé médecin chef. Le choix s’est porté sur le docteur Grégoire Ichok ce qui a immédiatement exaspéré Louis-Ferdinand Céline qui n’a jamais digéré qu'on ait préféré nommer un Juif à sa place. D’emblée la haine s’est installé entre les deux hommes que tout opposait. Grégoire Ichok était travailleur, rigoureux, sérieux et intelligent qui assurait la gestion du dispensaire. Il était conseiller technique au ministère de la Santé publique et professeur à l'Institut statistique de Paris. Il tenait une rubrique « Hippocrate vous dit » dans le Prolétaire de Clichy. Il était l’auteur de nombreux rapports sur la santé publique et de nombreux articles dans des revues médicales. Il était également membre actif de la L.I.C.A. (Ligue internationale contre l'antisémitisme). Il était ami avec Marc Chagall, Julien Caïn, administrateur général de la Bibliothèque nationale, Charles Gombault de France-Soir, Pierre Comert, directeur de la presse au Quai d'Orsay et surtout Salomon Grumbach, qui était président de la Commission des Affaires étrangères à la Chambre des députés... Cela exaspérait Céline qui en faisait son abcès de fixation. Il a fait courir le bruit qu’il avait usurpé le titre de docteur en médecine. Mais surtout, Ichok avait le tort de ne pas être français, mais surtout il était juif... Céline l’a décrit en ces termes injurieux : « Au dispensaire municipal sur lequel je m'étais rabattu, je vis arriver un certain Idouc (sic), lithuanien (...) imposé par les dirigeants communistes (...) La direction du dispensaire, confiée à ce médecin probablement faux, n'étant sans doute qu'un camouflage ». Cette relation tendue entre les deux médecins a dégénéré en un véritable conflit dans le dispensaire. La plupart des autres médecins du dispensaire étaient juifs. Deux d’entre eux Medioni et Gozlan avaient des relations d’amitié avec l’écrivain. Ils étaient d’ailleurs présents avec lui dans un bistrot au moment des délibérations du prix Goncourt. L’atmosphère dans le dispensaire est devenu véritablement explosive quand Céline a commencé à émettre des propos haineux contre l’Union soviétique (Clichy était alors une municipalité communiste) et surtout après la sortie de « Bagatelles pour un massacre » qui regorgeait de propos antisémites. Le 10 décembre 1937 Louis-Ferdinand Céline a présenté sa démission à la municipalité de Clichy qui l’a accepté dès le lendemain en le remerciant de la collaboration qu'il avait apportée « pendant de si nombreuses années ». Céline a d’ailleurs déclaré par la suite « [...] Je me démis aussi de mes fonctions au dispensaire à cause d'Idouc, et parce que mes confrères me battaient froid, comme " médecin-littérateur ". »
Faut-t-il voir dans les rapports conflictuels qu’il a eu avec Grégoire Ichok un élément expliquant en partie l’antisémitisme de Céline ? Surement.
En tout cas, il est intéressant que parallèlement à ses activités au dispensaire, il a travaillé comme conseilleur médical dans le laboratoire de biothérapie, fondé par le pharmacien Charles Weisbram en 1921 et dirigé par Abraham Alpérine qui était comme par hasard juifs.
Louis-Ferdinand Céline délateur
On l’aura compris, la mise en place des législations contre les médecins étrangers a suscité une certaine satisfaction de la part de Louis-Ferdinand Céline qui n’a pas hésité à écrire aux autorités « La [sic] poste de Médecin du dispensaire municipal de Bezons (Seine-et-Oise) est actuellement occupé par un médecin étranger juif non naturalisé. En vertu des récents décrets ce médecin doit être licencié. Le Dr Destouches présente sa candidature à ce poste — Le Dr Destouches a pratiqué depuis 1924 dans les dispensaires municipaux de la banlieue. Il est pleinement qualifié pour ce poste. » (Coll. Pécastaing, inédit.)
On l’a bien compris, les racines de l’antisémitisme de Louis-Ferdinand Céline s’ancrent dans le ressentiment qu’il a nourri en fréquentant des médecins juifs. Pour la petite histoire, on retiendra toutefois qu’il a fait la connaissance à la fin de sa vie, d’un cardiologue juif, le docteur Robert Brami qui était son voisin à Meudon. Ce dernier a diagnostiqué chez l’écrivain une fracture du rocher à l’origine de ses névralgies et de ses troubles de l’équilibre.
Conclusion
En guise de conclusion, je voudrais rappeler à ceux qui ont fustigé le soit disant lobby sioniste à l’origine du retrait, du cinquantenaire de la mort de Louis-Ferdinand Céline de la liste annuelle des célébrations de la République française ce qu’a écrit Céline le 13 mai 1949 à propos du conflit israélo-arabe« En douce il y a paraît-il 800000 arabes pourchassés et mitraillés par les youtres à crever dans le Néguev. Mais je m'en fous ô diantre ! Arabes et youtres conjointement sont prêts à m'étriper — et Durant et Dupont ! C'est pas demain que je vais faire des préférences entre les cannibales ! Noirs Verts Blancs ou Résédas ! Oh la merde ! » (A Paraz, [13 mai 1949].)
Bruno HALIOUA
www.crif.org, 22/2/2011
Bruno Halioua est secrétaire général de l'AMIF, Association des Médecins Israélites de France, association membre du CRIF que préside le professeur Robert Haïat, et délégué de l’AMIF à l’Assemblée Générale du CRIF
Une question naïve : quel intérêt avons-nous, sans cesse, à diagnostiquer l'antisémitisme de Louis-Ferdinand Céline ? La question du fondement relève, à mon sens, du négligeable. Les raisons, on le sait, sont très certainement multiples et chacun peut, en fonction d'intérêts propres ou à l'issue de recherches minutieuses, avancer des réponses pertinentes. Et alors ? Y-a-t-il eu un élément déclencheur ? Est-ce un héritage culturel prégnant ? Un opportunisme ? Un bouillon ? Des questions qui resteront sans réponses définitives et qui continueront d'alimenter les débats, dans une autre vie. Identifier la nature intrinsèque de son antisémitisme me semble autrement plus audacieux. Quelles en sont les caractéristiques ? A quelle mouvance est-il possible de le rapprocher, voire de l'intégrer ? Il me paraît toujours hasardeux de travailler à partir d'un postulat et d'en tirer des conclusions indubitables.
RépondreSupprimerE C-G
Gageons que les postulats soumis au lecteur par nos bons analystes du CRIF - comme celui-ci - se garderont bien d'observer à travers l'œuvre célinienne ce qui pourrait les questionner eux-même. Il convient plutôt de prouver que la haine de Céline fut dictée par le ressentiment et l'humiliation infligée à ce dernier par de plus grands savants. Qu'il n'y avait là que délire et hallucination, fussent-ils partagés de beaucoup d'esprits aguerris. Donc des histoires personnelles, intimes, qui se sont raccrochées à l'Histoire par un malheureux hasard. Que les regrettées victimes de la hargne de Céline étaient bien innocentes et qu'il n'est pas sérieux d'en discuter. Elles ont trébuchées sur un salaud, un aigri, un esprit fantasque, voilà tout.
RépondreSupprimerLe premier médecin juif que Céline, enfant, a croisé, admiré, c'est le Docteur Proust, père de l'écrivain.
RépondreSupprimerAndré Lwoof a été le premier président de la Société des études céliniennes.
Point barre et CQFD.
A ma connaissance, le docteur Proust n'était pas juif.
SupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
SupprimerMarcel PROUST fut catholique par son père et juif par sa mère.
SupprimerSa mère, née Jeanne Clémence Weil (Paris, 1849 - Paris, 1905), fille de Nathé Weil (Paris, 1814 - Paris, 1896), un agent de change d'origine juive alsacienne et lorraine de Metz1 et d'Adèle Berncastel (Paris, 1824 - Paris, 1890), lui apporte une culture riche et profonde.
Son père, le Dr Adrien Proust (Illiers, 1834 - Paris, 1903), fils de François Proust (1800/1801 - Illiers, 1855) un commerçant prospère d'Illiers (en Eure-et-Loir) et de Virginie née Catherine Virginie Torcheux (Cernay, 1809 - Illiers, 1889), est professeur à la Faculté de médecine de Paris après avoir commencé ses études au séminaire, et un grand hygiéniste, conseiller du gouvernement pour la lutte contre les épidémies.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Marcel_Proust
Ainsi, en somme, au temps de Céline, tous les postes importants,(bornons-nous au domaine médical), étaient occupés par des Juifs ? Merci de nous le rappeler
RépondreSupprimerde rien!
RépondreSupprimerOn le sait, Céline n'était qu'un jaloux et un aigri - c'est d'ailleurs là tout le moteur et le combustible de son oeuvre.
RépondreSupprimerD'ailleurs, à propos de d'ailleurs, les Américains qui comprennent tout ne s'y sont pas trompés et ils ont parfaitement décrypté Bagatelles : dans les quarante premières pages Céline avoue sa frustration de ne pouvoir percer dans le monde de l'opéra à cause, selon lui, des Juifs. Dans le reste de l'ouvrage, il ne fait qu'assouvir sa haine et sa vengeance (article du Time).
Céline est un prisme. Lui emboîter le pas aveuglement peut sembler hasardeux. L'absoudre de tous ses péchés relève à mon avis d'un non sens. A moins de rechercher une caution pour des idées en marge. De quoi devenir l'ombre de son ombre, l'ombre de sa main, l'ombre de son chien...
RépondreSupprimerE C-G
Peut-on faire le rapprochement entre juif et communiste?
RépondreSupprimer