Il y a bien un cas Céline. Un scandale permanent. L’un des plus grands – le plus grand, sans doute – écrivains français du XXè siècle était antisémite. C’est plus qu’inconfortable, c’est insupportable, inadmissible, seulement voilà, c’est ainsi, et il faut faire avec. C’est ce qu’est venue rappeler, au cours des derniers jours, la polémique née de l’inscription de l’auteur du Voyage au bout de la nuit sur la liste officielle des Célébrations nationales 2011.
Rappel des faits : le mercredi 19 janvier, deux jours avant la publication de ladite liste, l’avocat Serge Klarsfeld prend la parole au nom de l’association des Fils et Filles des déportés juifs de France (FFDJF), qu’il préside, pour dénoncer la présence de Céline parmi les personnalités que la République s’apprête à célébrer officiellement cette année – en l’occurrence, année du cinquantenaire de la mort de l’écrivain, en 1961. Et Serge Klarsfeld d’exiger le retrait de Céline de la fameuse liste et du Recueil des Célébrations nationales auquel elle donne lieu. La demande a été promptement entendue, et sa pertinence tout aussi rapidement évaluée par Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication – rendu prudent, peut-être, par ses déclarations malencontreuses sur le régime tunisien. Cédant à la pression et face à la controverse naissante, il annonçait au soir du vendredi 21 janvier : « Après mûre réflexion, […] j’ai décidé de ne pas faire figurer Céline dans les Célébrations nationales. » Stupéfiante volte-face… Chargé de présenter l’écrivain dans le Recueil des Célébrations nationales, Henri Godard, spécialiste éminent et incontesté de son œuvre, avait pourtant pris soin d’exposer d’emblée le problème : « Doit-on, peut-on célébrer Céline ?, écrivait-il. Les objections sont trop évidentes. Il a été l’homme d’un antisémitisme virulent […] Mais il est aussi l’auteur d’une œuvre romanesque dont il devenu commun de dire qu’[…] elle domine le roman français de la première moitié du XXè siècle. » On ne saurait dire avec plus de clarté ce qu’il en est du problématique cas Céline. Etait-ce une erreur de l’avoir inscrit au registre des Célébrations ? Le cinquantenaire de la mort de l’écrivain valait-il plutôt une « commémoration » qu’une « célébration », comme ont argumenté certains ? Admettons toutes ces interrogations. Reste ce fait : ainsi évacué, piteusement, par le ministre de la Culture, le cas Céline demeure – plus éclatant, plus scandaleux que jamais. Le cinquantenaire de sa mort sera l’occasion de voir se tenir des colloques, s’engager des discussions (1), paraître des publications (notamment un hors-série de Télérama, en juin), qui choisiront de se colleter avec le scandale Céline, écrivain tout ensemble magnifique et immonde. De regarder cela en face, plutôt que de détourner les yeux.
Nathalie CROM
Télérama n°3186 du 2/2/2011
1- Signalons, le samedi 19 février, sur France-Culture, plusieurs émissions spécialement dédiées à Louis-Ferdinand Céline : Répliques (9h-10h) : Alain Finkielkraut recevra Henri Godard et Patrick Kéchichian ; Concordance des temps (10h-11h) ; Mauvais genres (19h-20h), suivi d’une lecture en direct (20h-21h).
Rappel des faits : le mercredi 19 janvier, deux jours avant la publication de ladite liste, l’avocat Serge Klarsfeld prend la parole au nom de l’association des Fils et Filles des déportés juifs de France (FFDJF), qu’il préside, pour dénoncer la présence de Céline parmi les personnalités que la République s’apprête à célébrer officiellement cette année – en l’occurrence, année du cinquantenaire de la mort de l’écrivain, en 1961. Et Serge Klarsfeld d’exiger le retrait de Céline de la fameuse liste et du Recueil des Célébrations nationales auquel elle donne lieu. La demande a été promptement entendue, et sa pertinence tout aussi rapidement évaluée par Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication – rendu prudent, peut-être, par ses déclarations malencontreuses sur le régime tunisien. Cédant à la pression et face à la controverse naissante, il annonçait au soir du vendredi 21 janvier : « Après mûre réflexion, […] j’ai décidé de ne pas faire figurer Céline dans les Célébrations nationales. » Stupéfiante volte-face… Chargé de présenter l’écrivain dans le Recueil des Célébrations nationales, Henri Godard, spécialiste éminent et incontesté de son œuvre, avait pourtant pris soin d’exposer d’emblée le problème : « Doit-on, peut-on célébrer Céline ?, écrivait-il. Les objections sont trop évidentes. Il a été l’homme d’un antisémitisme virulent […] Mais il est aussi l’auteur d’une œuvre romanesque dont il devenu commun de dire qu’[…] elle domine le roman français de la première moitié du XXè siècle. » On ne saurait dire avec plus de clarté ce qu’il en est du problématique cas Céline. Etait-ce une erreur de l’avoir inscrit au registre des Célébrations ? Le cinquantenaire de la mort de l’écrivain valait-il plutôt une « commémoration » qu’une « célébration », comme ont argumenté certains ? Admettons toutes ces interrogations. Reste ce fait : ainsi évacué, piteusement, par le ministre de la Culture, le cas Céline demeure – plus éclatant, plus scandaleux que jamais. Le cinquantenaire de sa mort sera l’occasion de voir se tenir des colloques, s’engager des discussions (1), paraître des publications (notamment un hors-série de Télérama, en juin), qui choisiront de se colleter avec le scandale Céline, écrivain tout ensemble magnifique et immonde. De regarder cela en face, plutôt que de détourner les yeux.
Nathalie CROM
Télérama n°3186 du 2/2/2011
1- Signalons, le samedi 19 février, sur France-Culture, plusieurs émissions spécialement dédiées à Louis-Ferdinand Céline : Répliques (9h-10h) : Alain Finkielkraut recevra Henri Godard et Patrick Kéchichian ; Concordance des temps (10h-11h) ; Mauvais genres (19h-20h), suivi d’une lecture en direct (20h-21h).
Le titre de l'article est un fort bel hommage à "l'impossible monsieur Céline". Quelques mots pour une révérence distinguée.
RépondreSupprimerE C-G
...qui se termine, comme de bien entendu, par l'adjectif "immonde"...
RépondreSupprimerUn article inutile de plus.
RépondreSupprimerQue préférez-vous commémorer ?
RépondreSupprimerLes 50 ans de la mort de Céline ?
Les 60 ans de son amnistie et de sa cassation ?
Les 70 ans des Beaux draps ?
Les 80 ans de sa rencontre avec Karen Marie Jensen ?
Les 90 ans de l'étude de "la galleria mellonella"?
Le centenaire de son départ de chez Wagner ?
Les 110 ans de son passage en 2e année de l'école communale ?
Tout ce que vous voudrez : mais enfin qu'on nous parle de Céline !
Je propose de rappeler avec solennité le souvenir de notre première lecture de Voyage au bout de la nuit. "Ca a débuté comme ça."
RépondreSupprimerE C-G
Pif-gadget va sortir au mois de juin un n° spécial avec le squelette de Bébert à reconstituer
RépondreSupprimerrappeler avec solennité le souvenir de notre première lecture de Voyage au bout de la nuit, voilà une très bonne idée...
RépondreSupprimerBen oui:...écrivain tout ensemble magnifique et immonde. Du Télérama pur jus! D'où ma très grande circonspection, déjà exprimée un peu plus loin dans ce blog, quant à leur numéro "spécial Céline" à paraître en juin prochain.
RépondreSupprimerCéline chez les cathos de gauche, on ne lui aura décidément épargné aucun outrage.
"immonde", vous avez-dit "immonde ?
RépondreSupprimerCéline pas mort, pas aseptisé, toujours scandaleux, toujours irrécupérable, comme du temps de Voyage, du temps de Mort, du temps de Bagatelles ! tant mieux ! les écrivains académisés, célébrés, font chier, sont morts. Tout grand écrivain a un côté maudit pour certains. Céline a choisi sa part maudite avec soin, il a visé juste, au plus haut, au plus bas, mais juste. La preuve : pas une heure, un jour, où on ne parle à la radio, dans les journaux, de la question juive. Et on en parlera pour des siècles et des siècles. Céline s'en serait pris aux bourgeois, aux communistes, aux fascistes, aux capitalistes, on en parlerait pus de ses pamphlets, ils seraient anachroniques. Mais s'en être pris aux Juifs ! im-par-do-na-ble, i-mmor-ta-li-sé ! Job sur son fumier ! pour l'éternité. Fantôme supplicié pour sa faute énorme. Sisyphe et son rocher = Céline et ses pamphlets.
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RépondreSupprimerE C-G