Céline au casse-pipe, Fanon au Panthéon ?
Quand j'ai reçu le livret du ministère de la Culture et de la Communication, Célébrations nationales 2011, j'ai d'abord pris un méchant coup de rabia en relevant, parmi les noms d'écrivains proposés, celui de Frantz Fanon et de De Gaulle. Et puis je me suis calmé en relevant ceux, aussi, de Boileau, Cendrars, Commynes, André Roussin. Et Céline.
Depuis, acceptant de se vautrer devant les censeurs, le ministre de la Culture a tranché : Louis-Ferdinand Céline, l'un des plus grands écrivains internationaux (1), ne sera pas célébré. Et si, en plus, on avait pu le déterrer pour le fusiller et le pendre par les pieds, ce n'en aurait été que mieux...
Du coup, nouvelle rabia. Parce qu'on a célébré, naguère, Aragon, chantre de Staline et laudateur de la Guépéou sans que cela ne gêne personne. On petit détester l'homme et admirer – comme c'est le cas pour Jean Cochet et moi-même – son œuvre.
De la même façon, on va célébrer Franz Fanon (1925-1961) sans que personne n'y trouve rien à redire. Alors Céline au casse-pipe et Franz Fanon au Panthéon ? Eh bien, non ! Si l'on estime, et pourquoi pas, que Céline, l'homme, fut un salaud, que dire du médecin psychiatre Franz Fanon qui fut, lui, un traître ?
Né à Fort-de-France, en Martinique, il commencera par se faire remarquer en publiant Peau noire, masques blancs, ouvrage d'une pathétique schizophrénie qui sera – bien sûr – acclamé par l'intelligentsia de gauche (pardon pour la redondance).
Nommé médecin-chef de l'hôpital de Blida, Algérie française, en 1953, il prendra fait et cause pour les égorgeurs FLN et passera en Tunisie où il deviendra l'un de nos plus haineux ennemis. Collaborateur du journal fellouze El Moujahid, il sera récompensé de sa qualité de traître en étant nommé, en 1960, « ambassadeur » du gouvernement provisoire de la République algérienne. En 1961 il fut l'auteur, avec Sartre, des Damnés de la terre où l'on appelait au meurtre des Français d'Algérie : « Il faut tuer : abattre un Européen, c'est faire d'une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre ; le survivant pour la première fois sent un sol national sous la plante de ses pieds. » Le fait qu'il soit mort à 36 ans nous a heureusement épargné quelques autres saloperies de sa part.
Président national du Cercle algérianiste, Thierry Rolando écrit : « Comment accepter [en ne l'acceptant pas, justement] que l'auteur de cette abominable invitation à la suppression physique des Français d'Algérie et de cette justification du terrorisme mérite aujourd'hui un hommage national ? Qu'ambitionne l'Etat en intégrant d'ores et déjà, dans son programme officiel de commémorations 2012, l'anniversaire des sinistres accords d'Evian : entend-il jeter un voile sur les drames de l'après 19 mars 1962 et sur les dizaines de milliers de pieds-noirs et de harkis victimes de la haine du FLN ? »
Alain SANDERS
(1) Il n'y en a pas dix. Il n'y en a que trois. Parce qu'on n'avait jamais écrit comme ça avant eux et qu'on ne pourra jamais plus écrire comme ça après eux : Céline, Proust et James Joyce.
Et quelques réactions
Le Monde des 6-7 février a laissé ses lecteurs s'exprimer sur l'affaire Céline. Il donne la parole à égalité, ou peu s'en faut, à ceux qui dénoncent le maniement des ciseaux par Serge Klarsfeld, et à ceux qui se réjouissent de la découpe.
Florilège. Le célébrer aurait été « une insulte et un camouflet posthume à des dizaines de milliers de victimes, la large diffusion des oeuvres de l'écrivain ayant contribué – même de façon indirecte –à encourager la "Solution finale" ». Des dizaines de milliers, seulement ? Le chiffre paraît révisé.
Une lectrice s'en prend au style célinien, aux « phrases incohérentes, sans verbe » et à la ponctuation cahoteuse. Elle fait le lien entre cette folie syntaxique et l'antisémitisme, autre folie. Vision linguistico-bourgeoise qui lie en un faisceau le purisme et l'épurement, et qui trouve son développement moralisateur chez un autre abonné, pour lequel « la création artistique n'est pas au-dessus de la morale. Elle doit participer au développement de l'humanité qu'elle enrichit, ( ... ) mais elle ne doit pas inciter à la haine ».
Enfin, pour un lecteur, il aurait fallu célébrer Céline à titre de mauvais exemple « face aux menaces de droite qui fleurissent partout en Europe et maintenant chez nous ». Lire Céline aurait cette vertu d'empêcher une redite du 21 avril 2002. Je suis tout prêt à essayer.
Le livret des Célébrations nationales, une fois la décision prise d'en retirer Céline, a été mis au pilon – la veille de la cérémonie d'ouverture. Cependant quelques-uns l'avaient reçu fin 2010. Un fidèle lecteur de Présent nous écrit, fier de détenir « ce qui va devenir un collector dans la République des Lettres ». Il signale la notice « intéressante et mesurée, sur l'aspect politique », rédigée par Henri Godard, professeur émérite de Paris-Sorbonne et éditeur de l'écrivain dans la Pléiade, dont la conclusion est : « Or, ce temps est celui où la création artistique est devenue une valeur que nous reconnaissons, même là où elle ne coïncide pas avec nos valeurs morales, voire les contredit. En commémorant Céline, nous nous inscrivons dans la ligne de cette reconnaissance, qui est l'un des acquis du XXe siècle. » Un acquis ? tout littéraire, alors, qui n'a pas la valeur sacrée d'un acquis social.
Quant à Alain Corbin, professeur émérite à Paris I, il écrivait dans la préface : « Il convenait donc aux auteurs de ce volume de reconnaître la diversité des modèles et d'éviter toute exclusive... » Il convenait... mais il suffisait d'une injonction de Klarsfeld pour que cela ne s'avérât pas convenable.
Tiré d'une lettre, de Céline à son avocat Albert Naud, en 1948 : « Ça pue – Il faudra une nouvelle guerre pour laver toute cette ordure. Vivement pour la troisième fois en un siècle le gouvernement à Bordeaux la chiasse aux chausses, alors que je te les signe toutes les amnisties du monde ! ( ... ) – Les chacals ne ressemblent aux chiens, tendres, que lorsqu'ils ont peur. »
Martin SCHWA
Présent n°7285 du 12/02/2011
Quand j'ai reçu le livret du ministère de la Culture et de la Communication, Célébrations nationales 2011, j'ai d'abord pris un méchant coup de rabia en relevant, parmi les noms d'écrivains proposés, celui de Frantz Fanon et de De Gaulle. Et puis je me suis calmé en relevant ceux, aussi, de Boileau, Cendrars, Commynes, André Roussin. Et Céline.
Depuis, acceptant de se vautrer devant les censeurs, le ministre de la Culture a tranché : Louis-Ferdinand Céline, l'un des plus grands écrivains internationaux (1), ne sera pas célébré. Et si, en plus, on avait pu le déterrer pour le fusiller et le pendre par les pieds, ce n'en aurait été que mieux...
Du coup, nouvelle rabia. Parce qu'on a célébré, naguère, Aragon, chantre de Staline et laudateur de la Guépéou sans que cela ne gêne personne. On petit détester l'homme et admirer – comme c'est le cas pour Jean Cochet et moi-même – son œuvre.
De la même façon, on va célébrer Franz Fanon (1925-1961) sans que personne n'y trouve rien à redire. Alors Céline au casse-pipe et Franz Fanon au Panthéon ? Eh bien, non ! Si l'on estime, et pourquoi pas, que Céline, l'homme, fut un salaud, que dire du médecin psychiatre Franz Fanon qui fut, lui, un traître ?
Né à Fort-de-France, en Martinique, il commencera par se faire remarquer en publiant Peau noire, masques blancs, ouvrage d'une pathétique schizophrénie qui sera – bien sûr – acclamé par l'intelligentsia de gauche (pardon pour la redondance).
Nommé médecin-chef de l'hôpital de Blida, Algérie française, en 1953, il prendra fait et cause pour les égorgeurs FLN et passera en Tunisie où il deviendra l'un de nos plus haineux ennemis. Collaborateur du journal fellouze El Moujahid, il sera récompensé de sa qualité de traître en étant nommé, en 1960, « ambassadeur » du gouvernement provisoire de la République algérienne. En 1961 il fut l'auteur, avec Sartre, des Damnés de la terre où l'on appelait au meurtre des Français d'Algérie : « Il faut tuer : abattre un Européen, c'est faire d'une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre ; le survivant pour la première fois sent un sol national sous la plante de ses pieds. » Le fait qu'il soit mort à 36 ans nous a heureusement épargné quelques autres saloperies de sa part.
Président national du Cercle algérianiste, Thierry Rolando écrit : « Comment accepter [en ne l'acceptant pas, justement] que l'auteur de cette abominable invitation à la suppression physique des Français d'Algérie et de cette justification du terrorisme mérite aujourd'hui un hommage national ? Qu'ambitionne l'Etat en intégrant d'ores et déjà, dans son programme officiel de commémorations 2012, l'anniversaire des sinistres accords d'Evian : entend-il jeter un voile sur les drames de l'après 19 mars 1962 et sur les dizaines de milliers de pieds-noirs et de harkis victimes de la haine du FLN ? »
Alain SANDERS
(1) Il n'y en a pas dix. Il n'y en a que trois. Parce qu'on n'avait jamais écrit comme ça avant eux et qu'on ne pourra jamais plus écrire comme ça après eux : Céline, Proust et James Joyce.
Et quelques réactions
Le Monde des 6-7 février a laissé ses lecteurs s'exprimer sur l'affaire Céline. Il donne la parole à égalité, ou peu s'en faut, à ceux qui dénoncent le maniement des ciseaux par Serge Klarsfeld, et à ceux qui se réjouissent de la découpe.
Florilège. Le célébrer aurait été « une insulte et un camouflet posthume à des dizaines de milliers de victimes, la large diffusion des oeuvres de l'écrivain ayant contribué – même de façon indirecte –à encourager la "Solution finale" ». Des dizaines de milliers, seulement ? Le chiffre paraît révisé.
Une lectrice s'en prend au style célinien, aux « phrases incohérentes, sans verbe » et à la ponctuation cahoteuse. Elle fait le lien entre cette folie syntaxique et l'antisémitisme, autre folie. Vision linguistico-bourgeoise qui lie en un faisceau le purisme et l'épurement, et qui trouve son développement moralisateur chez un autre abonné, pour lequel « la création artistique n'est pas au-dessus de la morale. Elle doit participer au développement de l'humanité qu'elle enrichit, ( ... ) mais elle ne doit pas inciter à la haine ».
Enfin, pour un lecteur, il aurait fallu célébrer Céline à titre de mauvais exemple « face aux menaces de droite qui fleurissent partout en Europe et maintenant chez nous ». Lire Céline aurait cette vertu d'empêcher une redite du 21 avril 2002. Je suis tout prêt à essayer.
Le livret des Célébrations nationales, une fois la décision prise d'en retirer Céline, a été mis au pilon – la veille de la cérémonie d'ouverture. Cependant quelques-uns l'avaient reçu fin 2010. Un fidèle lecteur de Présent nous écrit, fier de détenir « ce qui va devenir un collector dans la République des Lettres ». Il signale la notice « intéressante et mesurée, sur l'aspect politique », rédigée par Henri Godard, professeur émérite de Paris-Sorbonne et éditeur de l'écrivain dans la Pléiade, dont la conclusion est : « Or, ce temps est celui où la création artistique est devenue une valeur que nous reconnaissons, même là où elle ne coïncide pas avec nos valeurs morales, voire les contredit. En commémorant Céline, nous nous inscrivons dans la ligne de cette reconnaissance, qui est l'un des acquis du XXe siècle. » Un acquis ? tout littéraire, alors, qui n'a pas la valeur sacrée d'un acquis social.
Quant à Alain Corbin, professeur émérite à Paris I, il écrivait dans la préface : « Il convenait donc aux auteurs de ce volume de reconnaître la diversité des modèles et d'éviter toute exclusive... » Il convenait... mais il suffisait d'une injonction de Klarsfeld pour que cela ne s'avérât pas convenable.
Tiré d'une lettre, de Céline à son avocat Albert Naud, en 1948 : « Ça pue – Il faudra une nouvelle guerre pour laver toute cette ordure. Vivement pour la troisième fois en un siècle le gouvernement à Bordeaux la chiasse aux chausses, alors que je te les signe toutes les amnisties du monde ! ( ... ) – Les chacals ne ressemblent aux chiens, tendres, que lorsqu'ils ont peur. »
Martin SCHWA
Présent n°7285 du 12/02/2011
"Je serai envoyé foutre, bourré d'autres outrages, chassé du cimetière...Déjà mon père et ma mère ont pas tenu au Père Lachaise, on leur a effacé leurs noms..."
RépondreSupprimerCéline
C'est vraiment très drôle ce que peuvent écrire certaines personnes sur Céline... que les trois petits points sont une expression du fascisme ou du nazisme... C'est un sommet de drôlerie ! Cela voudrait dire que tous les écrivains qui ont manié l'aposiopèse sont des fascistes ou des nazis. Ça ferait se marrer Rousseau, Marivaux, Mirbeau, Paul de Kock... “Le pont gronde... flageole sur ses arches !... Et puis tic-tac !... Rraou !... Rraou !... C’est la musique du grand carnage !... le ciel râle de rage contre nous !... L’eau par-dessous... Et c’est l’abîme !... Tout explosionne !...” Très fasciste ! A se tordre ! comme à la relecture des livres de Bounan et de de Martin en 1974.
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