Céline aujourd'hui, par Jean-Pierre Martin (professeur de littérature contemporaine à l'Université Lumière Lyon 2). Texte dit le 5 février 2011 à la Bibliothèque publique d'information du centre Pompidou lors d'une table ronde organisée dans le cadre du colloque international «Céline réprouvé et classique», à l'occasion du cinquantenaire de la mort de Louis-Ferdinand Céline. Toutes les interventions de ce colloque des 4 et 5 février 2011 sont disponible à l'écoute ici.
Enfin. Enfin nous pouvons tirer un trait, admirer Céline sans aucune arrière-pensée. L'antisémitisme a été définitivement éradiqué. Cette bêtise grégaire n'est plus qu'un mauvais souvenir. Elle semble même étrange, vue d'aujourd'hui. Les pamphlets, réédités depuis quelque quarante ans, semblent venir d'une autre planète. Nous pouvons enfin, maintenant, lire avec sérénité l'écrivain génial qui a révolutionné la langue de la littérature française, qui l'a jazzé, qui l'a désacadémisé. D'ailleurs, la littérature interplanétaire ne se préoccupe plus guère de la petite histoire ancienne des hommes. Dans nos fêtes du Livre intergalactique et fluidique, le texte s'imprime directement dans le système nerveux de tous les êtres pourvus d'une pastille spéciale. Malgré la résistance de certains, nous avons introduit des écrivains de Mars qui, ma foi, font bonne figure à côté des Proust, Melville, Céline, Joyce, Hemingway, Kawabata, Duras, Kerouac, Gombrowicz, Michaux, Kafka… La fin de l'Histoire a été décrétée en 2045. On ne perçoit plus que la musique dans les lettres.
Souvenez-vous, en 2011. Une fois de plus la fête avait été troublée. On pouvait croire les esprits apaisés. Eh bien non, nous n'avions pu commémorer Céline comme il le méritait, en toute sérénité. Chacun voulait jouer son rôle, chacun y allait de son mot. La question semblait inépuisable. Les uns avaient décidé une bonne fois pour toutes de ne pas lire Céline, les autres se délectaient de tout sans distinction. Céline divisait semble-t-il encore la France en deux, bien que ce fût beaucoup plus compliqué.
Moi-même, encore bien jeune à l'époque, en 2011, moi-même qui aimais tant son invention verbale et depuis longtemps, je m'étais d'abord cru obligé de rappeler des mots qui fâchent. J'avais encore le sang chaud, en ce temps-là, sur certaines questions. Deux sensibilités en moi se faisaient encore face, deux regards, deux mémoires. D'un côté, une sensibilité littéraire me faisait aimer sans partage le Voyage et d'autres livres, de l'autre, une mémoire historique continuait de freiner mon admiration à l'égard d'une autre partie de l'œuvre. La mémoire historique m'avait même joué un sale tour, dans mon enfance enflammée, il y a très longtemps, en 1997. Elle m'avait fait écrire un brûlot au titre coup de poing (Contre Céline), tempéré par un sous-titre plus nuancé (ou d'une gêne persistante à l'égard de la fascination exercée par Louis Destouches sur papier Bible) qui m'avait valu l'honneur d'être insulté par Rivarol, mais aussi la surprise naïve d'être la cible d'autres célinolâtres plus inattendus. Je pouvais cependant consacrer des heures à montrer à des étudiants la force du texte de Céline, à expliquer avec ferveur la pâtisserie de Toulouse, l'avortée du cinquième et bien d'autres morceaux de bravoure – tout cela sans rien cacher du rapport à l'Histoire ou des textes méprisables.
Depuis, je n'avais jamais répondu à quelque insulteur que ce fût, je n'avais pas été invité dans quelque colloque Céline que ce fût, je ne voulais m'enfermer dans aucun rôle mais vous êtes très vite, dans ces conditions,étiqueté. Et voilà qu'on m'invitait à un colloque du cinquantenaire. En 2011, lors du cinquantenaire, j'étais un peu las des jeux de rôle, fatigué des sempiternelles discussions sans issue. J'aurais aimé n'y évoquer que le Céline qui m'est cher, et son chat Bébert pour lequel j'éprouve de la tendresse. J'aurais aimé le lire comme Fabrice Lucchini, moins bien que lui, mais j'aurais essayé. Et voilà que la table ronde s'intitulait : «Céline et l'histoire». Moi qui n'ai de cesse de m'insurger contre les disques rayés, allais-je persister à tenir bon sur certains points, à rappeler que Céline antisémite prosélyte avant, pendant et après les camps d'extermination, ce n'est tout de même pas comme Voltaire ou Shakespeare, qu'il y avait là une petite particularité liée à son temps, qu'il n'avait pas eu de chance au fond, que d'autres l'avaient pris au mot? On était encore en 2011, il faut bien mesurer la chose. C'était une époque où les pamphlets n'étaient pas encore réédités. L'œuvre en somme était édulcorée, on en parlait souvent par on-dit, il aurait fallu avoir tout le dossier sous les yeux, l'intégrale.
J'avais donc médité mon intervention, en 2011, soigneusement pesé mes mots. Au regard de l'Histoire, prévoyais-je de dire dans une première version, sachant combien déjà cette expression «au regard de l'histoire» était en elle-même contestable aux yeux des thuriféraires inconditionnels, au regard de l'histoire, donc,le cas Céline, pensais-je dire,est à la fois singulier et représentatif. De son temps, l'aveuglement politique des écrivains avait été une maladie banale. Pouvait-on pour autant mettre tout le monde dans le même sac, aligner des noms, Aragon, Drieu, bien d'autres qui avaient pris la politique comme un territoire d'exaltation et un exutoire à leurs fantasmes? Tous ces fourvoiements, qui étaient une sorte de spécialité française, n'étaient pas de même nature. La responsabilité historique d'un écrivain, disais-je en 2011, ne se mesure pas à son degré d'allégeance ou d'adhésion à un Parti, mais plutôt à la façon dont il s'est fait le porte-voix, auprès d'un public qui dépasse largement le cercle des amateurs de littérature, des idées barbares et totalitaires de son temps, à la façon dont il leur a conféré une légitimité littéraire, à la façon dont ses propres fantasmes se sont nourri des idées grégaires et lyncheuses et les ont réactivées, à son impuissance à penser ce vertige, ou au contraire à sa capacité à se raviser.
Je me proposais de réfléchir à la phrase d'Orwell: «Les intellectuels sont portés au totalitarisme bien plus que les gens ordinaires. » et à celle d'Anna Harendt: «Le mensonge est plus fort que la vérité, il comble l'attente.»
Ce qu'il y avait de particulier chez Céline, c'était son acharnement à enfoncer le clou. La constance, l'obsession, la fixité, au contraire d'un Blanchot, par exemple, qui revint sur ses positions antisémites de l'avant-guerre au point d'affirmer que «l'antisémitisme reste la faute capitale».
Entre 1941 et 1961, il n'avait guère bougé, aurais-je dit. A l'entrée de l'Allemagne en guerre contre l'Union soviétique, en juin 1941, il avait déclaré : « Pour devenir collaborationniste, j'ai pas attendu que la Kommandantur pavoise au Crillon... On n'y pense pas assez à cette protection de la race blanche. C'est maintenant qu'il faut agir, parce que demain il sera trop tard.» Au printemps 1961, il s'intéressait à la biographie de Vacher de Lapouge, théoricien de l'inégalité des races dans la lignée de Gobineau, plus offensif encore que ce dernier, céliniste avant l'heure, partisan d'un racisme biologique. Quelques mois auparavant, il était en quête d'informations dans une lettre adressée à l'ancien colonel SS Bickler, responsable des renseignements politiques pour l'Europe occidentale, auquel il avait été lié pendant la guerre, au sujet de la création à Bonn d'un centre historique visant à démontrer «qu'il n'y aurait jamais eu de chambres à gaz (Gaskammer) à Buchenwald, Dachau etc..., ni nulle part en Allemagne» Il n'avait ainsi rien lâché d'un pouce, rien renié. Réaffirmant dans des textes d'une grande qualité littéraire, comme dans Rigodon, sa phobie du métissage. Continuant de façon cryptée. Ainsi l'intervieweur imaginaire que Céline invente dans ses Entretiens avec lui-même, où il déclare «Les idées ne m'intéressent pas», cet interviouveur imaginaire se nomme «le professeur Y». Je ne vois pas pourquoi Y, sinon comme initiale de youtre, yitre ou youpin - qualificatifs fétiches des pamphlets et de la prose d'extrême-droite dans les années 30. Pouvait-on entièrement oublier tout cela en 2011? et rire sans arrière-pensée aucune?
Je tenais surtout à dire que pour réfléchir à cette question, il fallait faire connaître Céline, l'étudier, tout publier, ne rien censurer, faire aimer et comprendre son style, mais aussi ne pas arrêter de se poser la question insoluble, ne pas y répondre à la légère comme si l'affaire était réglée, ne pas faire comme si le mariage entre le sublime et l'abject était naturel, la question centrale étant au fond: comment l'Histoire passée continue à produire du présent? L'enjeu concernant aussi notre propre rapport à nous, à chacun de nous, à l'Histoire.
J'avais lu à cette époque, à ce propos, dans un Monde du vendredi 4 février 2011, Serge Doubrovsky, quatre-vingt trois ans, répondant à une question de Michel Contat sur l'influence de Céline: «Il a beaucoup compté, il compte encore beaucoup pour ma langue écrite, mais que voulez-vous que moi, juif, je fasse d'un écrivain qui voulait mon extermination? Si je n'ai pas été gazé à Auschwitz, c'est malgré Céline.» En tant que non juif, pouvait-on, en 2011, être indifférent à une telle réaction?
En 2011, j'aspirais à un autre temps, à une autre époque, qui nous épargnerait des polémiques inutiles où chacun campe sur ses positions. J'aurais cru bon de dire, dans cette version, qu'il suffisait de lire tout Céline pour se faire une opinion, et qu'il fallait lire aussi d'excellents travaux critiques et historiques parus depuis les années 1990, en particulier ceux d'Yves Pagès, de Marie Hartmann, d'André Derval, d'Annick Duraffour, de Philip Watts, de Régis Tettamanzi, d'Alice Kaplan, de Philippe Roussin, et j'en oublie. Empêcher la lecture historique ou politique de Céline, ce serait exercer une autre forme de censure. Après quoi, je me serais entendu citer Pasolini, très remonté contre la célinolâtrie française, qui écrivait à son propos en 1974: «L'admiration inconditionnelle est devenue un lieu commun». J'aurais cité aussi Vercors: «Un écrit publié est un acte de la pensée. L'écrivain est responsables des conséquences de cet acte.» Et enfin Julien Gracq: «Il y a dans Céline un homme qui s'est mis en marche derrière son clairon. J'ai le sentiment que ses dons exceptionnels de vociférateur, auxquels il était incapable de résister, l'entraîneraient inflexiblement vers les thèmes à haute teneur de risque, les thèmes paniques, obsidionaux, frénétiques, parmi lesquels l'antisémitisme, électivement, était faits pour l'aspirer. Le drame que peuvent faire naître chez un artiste les exigences de l'instrument qu'il a reçu en don, exigences qui sont – parfois à demi monstrueuses - avant tout celles de son plein emploi, a dû se jouer ici dans toute son ampleur. Quiconque a reçu en cadeau, pour son malheur, la flûte du preneur de rats, on l'empêchera difficilement de mener les enfants à la rivière.»
Telle était ma première version et puis je m'étais finalement dit: à quoi bon rappeler tout ça? Est-ce possible, dans cette atmosphère encore enfiévrée, de réfléchir froidement à la chose? Chacun a son idée. On ne convaincra personne. Surtout pas ceux qui éprouvent empathie ou fascination pour un héros de la solitude et un martyr de l'après guerre. Alors j'avais écrit une seconde version où je faisais mourir Céline en 1937, avant Bagatelles pour un massacre et je m'en sortais très bien de cette façon. Il nous manquait quelques chefs-d'œuvre, mais on avait déjà un grand écrivain, et la mémoire historique n'avait plus rien à redire. Le débat était clos.
Tout cela, c'était en 2011.
Dieu merci, nous sommes aujourd'hui en 2061. Et je peux dire enfin sans aucune réticence, à l'occasion du centenaire, en présence des quelques Martiens qui nous ont fait l'honneur de venir, toute mon admiration pour ce grand écrivain qui a creusé au cœur de la condition et de l'espèce humaine.
Jean-Pierre MARTIN
Enfin. Enfin nous pouvons tirer un trait, admirer Céline sans aucune arrière-pensée. L'antisémitisme a été définitivement éradiqué. Cette bêtise grégaire n'est plus qu'un mauvais souvenir. Elle semble même étrange, vue d'aujourd'hui. Les pamphlets, réédités depuis quelque quarante ans, semblent venir d'une autre planète. Nous pouvons enfin, maintenant, lire avec sérénité l'écrivain génial qui a révolutionné la langue de la littérature française, qui l'a jazzé, qui l'a désacadémisé. D'ailleurs, la littérature interplanétaire ne se préoccupe plus guère de la petite histoire ancienne des hommes. Dans nos fêtes du Livre intergalactique et fluidique, le texte s'imprime directement dans le système nerveux de tous les êtres pourvus d'une pastille spéciale. Malgré la résistance de certains, nous avons introduit des écrivains de Mars qui, ma foi, font bonne figure à côté des Proust, Melville, Céline, Joyce, Hemingway, Kawabata, Duras, Kerouac, Gombrowicz, Michaux, Kafka… La fin de l'Histoire a été décrétée en 2045. On ne perçoit plus que la musique dans les lettres.
Souvenez-vous, en 2011. Une fois de plus la fête avait été troublée. On pouvait croire les esprits apaisés. Eh bien non, nous n'avions pu commémorer Céline comme il le méritait, en toute sérénité. Chacun voulait jouer son rôle, chacun y allait de son mot. La question semblait inépuisable. Les uns avaient décidé une bonne fois pour toutes de ne pas lire Céline, les autres se délectaient de tout sans distinction. Céline divisait semble-t-il encore la France en deux, bien que ce fût beaucoup plus compliqué.
Moi-même, encore bien jeune à l'époque, en 2011, moi-même qui aimais tant son invention verbale et depuis longtemps, je m'étais d'abord cru obligé de rappeler des mots qui fâchent. J'avais encore le sang chaud, en ce temps-là, sur certaines questions. Deux sensibilités en moi se faisaient encore face, deux regards, deux mémoires. D'un côté, une sensibilité littéraire me faisait aimer sans partage le Voyage et d'autres livres, de l'autre, une mémoire historique continuait de freiner mon admiration à l'égard d'une autre partie de l'œuvre. La mémoire historique m'avait même joué un sale tour, dans mon enfance enflammée, il y a très longtemps, en 1997. Elle m'avait fait écrire un brûlot au titre coup de poing (Contre Céline), tempéré par un sous-titre plus nuancé (ou d'une gêne persistante à l'égard de la fascination exercée par Louis Destouches sur papier Bible) qui m'avait valu l'honneur d'être insulté par Rivarol, mais aussi la surprise naïve d'être la cible d'autres célinolâtres plus inattendus. Je pouvais cependant consacrer des heures à montrer à des étudiants la force du texte de Céline, à expliquer avec ferveur la pâtisserie de Toulouse, l'avortée du cinquième et bien d'autres morceaux de bravoure – tout cela sans rien cacher du rapport à l'Histoire ou des textes méprisables.
Depuis, je n'avais jamais répondu à quelque insulteur que ce fût, je n'avais pas été invité dans quelque colloque Céline que ce fût, je ne voulais m'enfermer dans aucun rôle mais vous êtes très vite, dans ces conditions,étiqueté. Et voilà qu'on m'invitait à un colloque du cinquantenaire. En 2011, lors du cinquantenaire, j'étais un peu las des jeux de rôle, fatigué des sempiternelles discussions sans issue. J'aurais aimé n'y évoquer que le Céline qui m'est cher, et son chat Bébert pour lequel j'éprouve de la tendresse. J'aurais aimé le lire comme Fabrice Lucchini, moins bien que lui, mais j'aurais essayé. Et voilà que la table ronde s'intitulait : «Céline et l'histoire». Moi qui n'ai de cesse de m'insurger contre les disques rayés, allais-je persister à tenir bon sur certains points, à rappeler que Céline antisémite prosélyte avant, pendant et après les camps d'extermination, ce n'est tout de même pas comme Voltaire ou Shakespeare, qu'il y avait là une petite particularité liée à son temps, qu'il n'avait pas eu de chance au fond, que d'autres l'avaient pris au mot? On était encore en 2011, il faut bien mesurer la chose. C'était une époque où les pamphlets n'étaient pas encore réédités. L'œuvre en somme était édulcorée, on en parlait souvent par on-dit, il aurait fallu avoir tout le dossier sous les yeux, l'intégrale.
J'avais donc médité mon intervention, en 2011, soigneusement pesé mes mots. Au regard de l'Histoire, prévoyais-je de dire dans une première version, sachant combien déjà cette expression «au regard de l'histoire» était en elle-même contestable aux yeux des thuriféraires inconditionnels, au regard de l'histoire, donc,le cas Céline, pensais-je dire,est à la fois singulier et représentatif. De son temps, l'aveuglement politique des écrivains avait été une maladie banale. Pouvait-on pour autant mettre tout le monde dans le même sac, aligner des noms, Aragon, Drieu, bien d'autres qui avaient pris la politique comme un territoire d'exaltation et un exutoire à leurs fantasmes? Tous ces fourvoiements, qui étaient une sorte de spécialité française, n'étaient pas de même nature. La responsabilité historique d'un écrivain, disais-je en 2011, ne se mesure pas à son degré d'allégeance ou d'adhésion à un Parti, mais plutôt à la façon dont il s'est fait le porte-voix, auprès d'un public qui dépasse largement le cercle des amateurs de littérature, des idées barbares et totalitaires de son temps, à la façon dont il leur a conféré une légitimité littéraire, à la façon dont ses propres fantasmes se sont nourri des idées grégaires et lyncheuses et les ont réactivées, à son impuissance à penser ce vertige, ou au contraire à sa capacité à se raviser.
Je me proposais de réfléchir à la phrase d'Orwell: «Les intellectuels sont portés au totalitarisme bien plus que les gens ordinaires. » et à celle d'Anna Harendt: «Le mensonge est plus fort que la vérité, il comble l'attente.»
Ce qu'il y avait de particulier chez Céline, c'était son acharnement à enfoncer le clou. La constance, l'obsession, la fixité, au contraire d'un Blanchot, par exemple, qui revint sur ses positions antisémites de l'avant-guerre au point d'affirmer que «l'antisémitisme reste la faute capitale».
Entre 1941 et 1961, il n'avait guère bougé, aurais-je dit. A l'entrée de l'Allemagne en guerre contre l'Union soviétique, en juin 1941, il avait déclaré : « Pour devenir collaborationniste, j'ai pas attendu que la Kommandantur pavoise au Crillon... On n'y pense pas assez à cette protection de la race blanche. C'est maintenant qu'il faut agir, parce que demain il sera trop tard.» Au printemps 1961, il s'intéressait à la biographie de Vacher de Lapouge, théoricien de l'inégalité des races dans la lignée de Gobineau, plus offensif encore que ce dernier, céliniste avant l'heure, partisan d'un racisme biologique. Quelques mois auparavant, il était en quête d'informations dans une lettre adressée à l'ancien colonel SS Bickler, responsable des renseignements politiques pour l'Europe occidentale, auquel il avait été lié pendant la guerre, au sujet de la création à Bonn d'un centre historique visant à démontrer «qu'il n'y aurait jamais eu de chambres à gaz (Gaskammer) à Buchenwald, Dachau etc..., ni nulle part en Allemagne» Il n'avait ainsi rien lâché d'un pouce, rien renié. Réaffirmant dans des textes d'une grande qualité littéraire, comme dans Rigodon, sa phobie du métissage. Continuant de façon cryptée. Ainsi l'intervieweur imaginaire que Céline invente dans ses Entretiens avec lui-même, où il déclare «Les idées ne m'intéressent pas», cet interviouveur imaginaire se nomme «le professeur Y». Je ne vois pas pourquoi Y, sinon comme initiale de youtre, yitre ou youpin - qualificatifs fétiches des pamphlets et de la prose d'extrême-droite dans les années 30. Pouvait-on entièrement oublier tout cela en 2011? et rire sans arrière-pensée aucune?
Je tenais surtout à dire que pour réfléchir à cette question, il fallait faire connaître Céline, l'étudier, tout publier, ne rien censurer, faire aimer et comprendre son style, mais aussi ne pas arrêter de se poser la question insoluble, ne pas y répondre à la légère comme si l'affaire était réglée, ne pas faire comme si le mariage entre le sublime et l'abject était naturel, la question centrale étant au fond: comment l'Histoire passée continue à produire du présent? L'enjeu concernant aussi notre propre rapport à nous, à chacun de nous, à l'Histoire.
J'avais lu à cette époque, à ce propos, dans un Monde du vendredi 4 février 2011, Serge Doubrovsky, quatre-vingt trois ans, répondant à une question de Michel Contat sur l'influence de Céline: «Il a beaucoup compté, il compte encore beaucoup pour ma langue écrite, mais que voulez-vous que moi, juif, je fasse d'un écrivain qui voulait mon extermination? Si je n'ai pas été gazé à Auschwitz, c'est malgré Céline.» En tant que non juif, pouvait-on, en 2011, être indifférent à une telle réaction?
En 2011, j'aspirais à un autre temps, à une autre époque, qui nous épargnerait des polémiques inutiles où chacun campe sur ses positions. J'aurais cru bon de dire, dans cette version, qu'il suffisait de lire tout Céline pour se faire une opinion, et qu'il fallait lire aussi d'excellents travaux critiques et historiques parus depuis les années 1990, en particulier ceux d'Yves Pagès, de Marie Hartmann, d'André Derval, d'Annick Duraffour, de Philip Watts, de Régis Tettamanzi, d'Alice Kaplan, de Philippe Roussin, et j'en oublie. Empêcher la lecture historique ou politique de Céline, ce serait exercer une autre forme de censure. Après quoi, je me serais entendu citer Pasolini, très remonté contre la célinolâtrie française, qui écrivait à son propos en 1974: «L'admiration inconditionnelle est devenue un lieu commun». J'aurais cité aussi Vercors: «Un écrit publié est un acte de la pensée. L'écrivain est responsables des conséquences de cet acte.» Et enfin Julien Gracq: «Il y a dans Céline un homme qui s'est mis en marche derrière son clairon. J'ai le sentiment que ses dons exceptionnels de vociférateur, auxquels il était incapable de résister, l'entraîneraient inflexiblement vers les thèmes à haute teneur de risque, les thèmes paniques, obsidionaux, frénétiques, parmi lesquels l'antisémitisme, électivement, était faits pour l'aspirer. Le drame que peuvent faire naître chez un artiste les exigences de l'instrument qu'il a reçu en don, exigences qui sont – parfois à demi monstrueuses - avant tout celles de son plein emploi, a dû se jouer ici dans toute son ampleur. Quiconque a reçu en cadeau, pour son malheur, la flûte du preneur de rats, on l'empêchera difficilement de mener les enfants à la rivière.»
Telle était ma première version et puis je m'étais finalement dit: à quoi bon rappeler tout ça? Est-ce possible, dans cette atmosphère encore enfiévrée, de réfléchir froidement à la chose? Chacun a son idée. On ne convaincra personne. Surtout pas ceux qui éprouvent empathie ou fascination pour un héros de la solitude et un martyr de l'après guerre. Alors j'avais écrit une seconde version où je faisais mourir Céline en 1937, avant Bagatelles pour un massacre et je m'en sortais très bien de cette façon. Il nous manquait quelques chefs-d'œuvre, mais on avait déjà un grand écrivain, et la mémoire historique n'avait plus rien à redire. Le débat était clos.
Tout cela, c'était en 2011.
Dieu merci, nous sommes aujourd'hui en 2061. Et je peux dire enfin sans aucune réticence, à l'occasion du centenaire, en présence des quelques Martiens qui nous ont fait l'honneur de venir, toute mon admiration pour ce grand écrivain qui a creusé au cœur de la condition et de l'espèce humaine.
Jean-Pierre MARTIN
Jean-Pierre Martin, "au regard de l'histoire" tu n'es rien. Tout ce que tu peux produire de bave pour salir une idole qui révèle ta nullité de tout son infini génie n'intéressera jamais que les ouailles de Lyon 2 et les gauchistes poussiéreux made in Libé, qui transforment tout ce qu'ils touchent en idéologie. Tu es né petit procureur, tu ne seras jamais rien d'autre.
RépondreSupprimerBonjour!
RépondreSupprimerJe suis ici depuis le lien que vous avez glissé pour votre blog sur fluctuat. L'article que j'ai posté sur le forum sera publié dans deux petits journeaux locaux.
Merci pour votre blog, merci de continuer à faire connaitre Céline.
Ses livres sont dingues, ils m'ont changé la vie, la vision du monde, de l'écriture,des Hommes...
Si vous avez le temps, veez faire un tour sur mon blog, ou je poste qq. écrits, et dites moi ce que vous en pensez ! http://claquer.blogspot.com
Les mémoires de Celine...
RépondreSupprimerc'est bien de continuer de parler de ce brillant écrivain même âpres tout ce tapage médiatique qu'il as subie.
le pauvre as du se retourner dans sa tombe...
J.P.Martin j´ai rien contre lui il a le droit de pas aimer céline,dans son livre il dit pourquoi il aime pas céline il a une bonne critique,des fanatiques qui refuse toute critique negative sur céline...je comprendrai jamais...céline qui etait anti-tout...mytho...raciste...avare...
RépondreSupprimerparano...ce qui sauve céline du neant c´est son style litteraire,l´emotion de son metro sans limite...céline le gangster de la litterature...
l´homme qui brule les pages,qui bluff les
lecteurs...les lecteurs deviennent fou...transporté dans un metro qui fonce tout droit dans le mur...le mur de la verité...
Quelle vérité ?
RépondreSupprimerE C-G
Cher M. Martin,
RépondreSupprimerVous êtes bien optimiste pour "2061"!
Céline ? C'est L'Imprescriptible !
Quant à 2161, y aura-t-il encore seulement quelque chose comme l'espèce "humaine" sur cette foutue planète ? (je ne parle pas ici de Mars !)
"Le monde est une entreprise à se foutre du monde"...Ce Jean Pierre Martin, n'est-ce pas le même que celui qui s'indignait de ce qu'on publie sur papier bible les Féeries, la trilogie et la correspondance... les jetait au feu... le même qui a été invité par la Société d'études céliniennes à Beaubourg ? par quelle perversité, acrobatie ?
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