Actualité Juive a consacré sa une et 6 pages de son numéro 1152 du 10 février 2011 à Louis-Ferdinand Céline. Nous vous proposerons petit à petit ces différents articles. Voici le premier, paru en pages 10 et 11.
Pour Marc Laudelout, éditeur du Bulletin célinien, Louis-Ferdinand Destouches (1894-1961) était « à la fois profondément mystique et athée, misanthrope et altruiste, pacifiste et violent dans l’expression de sa pensée », « ni saint ni salaud intégral ». Pour déterminer si cela est exact, examinons ce que fut la vie de Céline, pseudonyme qu’il prit à partir du prénom de sa grand-mère.
Ayant grandi à Paris dans un milieu de petits commerçants et d’employés, Louis-Ferdinand Destouches est destiné à une carrière dans le même milieu. Son père, commis d’assurances, a des opinions ouvertement antisémites. Le futur Céline, qui a appris les langues en Allemagne et en Angleterre, entre comme apprenti, en 1910, chez des marchands de tissus et des joaillers. En 1912, lui qui eut toujours la guerre en horreur totale s’engage volontairement dans l’armée. Sa guerre de 14 est brève : grièvement blessé en octobre, il gagne néanmoins croix de guerre et médaille militaire pour sa conduite en Flandres. Démobilisé, il part en Afrique noire comme surveillant de plantations. Jacqueline Morand-Devillers, qui a étudié ses « Idées politiques » (éditions Ecriture), souligne ses jugements dévastateurs sur les coloniaux et une certaine sympathie pour les indigènes, ce qui permettra à la gauche de bien accueillir certains de ses livres.
En 1920, Céline commence ses études de médecine. Il exercera comme médecin jusqu’à sa mort, longtemps dans un dispensaire puis à son domicile de Meudon où il recevait surtout et souvent gratuitement une clientèle d’indigents. Son passage au service d’hygiène de la Société des Nations (l’ONU d’alors) sous l’autorité d’un médecin juif, qu’il mettra en scène dans « Bagatelles pour un massacre », a son importance dans son rapport aux Juifs, tout comme sa rupture avec sa passion de la fin des années 20, la danseuse américaine Elisabeth Craig dont il attribue la trahison à son mariage avec « un juge juif ».
Le Nord, seul « élément sain » des peuples européens
En 1932, paraît « Voyage au bout de la nuit » qui obtient le Prix Renaudot mais manque le Goncourt : premières rancoeurs de l’écrivain envers la critique, qui s’accentuent avec la parution en 1936 de « Mort à crédit ». Vient l’époque, en 1937-38, des deux pamphlets antisémites : « Bagatelles pour un massacre » et « L'École des cadavres » que la nouvelle réglementation antiraciste de 1939 oblige à retirer de la vente. Céline devient-il un militant politique ? Plusieurs
historiens notent qu’il se rapproche de Darquier de Pellepoix et de son brûlot antijuif, « La France enchaînée ». D’autres assurent qu’il puise une partie de sa « documentation » dans les brochures du Weltdienst, un service extérieur de la propagande nazie. Pascal Ory pense qu’il était stipendié.
La période de l’Occupation voit la parution des « Beaux draps », son troisième ouvrage où l’antisémitisme est central mais qui est mal vu par Vichy car il y attaque la supposée dégénérescence de la « race française », qui est sa véritable obsession. Céline ne s’affilie à aucun parti ou mouvement collaborationniste. En 1941, toutefois, il est présent à l’inauguration de l’Institut d’étude des questions juives que chapeaute Abetz. En décembre de la même année, il lance, dans la feuille antisémite « Au pilori », l’idée d’une réunion au sommet des personnalités antijuives. Xavier Vallat lui redit son estime mais décline l’offre d’y participer : Henry Coston et Jean Drault, qui éditent ce journal, couvrent d’injures le commissaire aux questions juives, jugé trop modéré.
La grande affaire de Céline avec le nazisme commence en fait lorsque l’écrivain et sa femme quittent Paris en juin 1944 et rejoignent l’Allemagne : Baden-Baden puis Neuruppin, au nord de Berlin. En compagnie de son grand ami l’acteur Robert Le Vigan, rendu célèbre par « Quai des Brumes » et devenu un antisémite encore plus forcené que lui, il doit entreprendre pour fuir l’avance alliée, une traversée apocalyptique du Reich qui sombre. Il atterrit à Sigmaringen où il retrouve en octobre 1944 les collaborationnistes français qui y ont établi un « gouvernement » d’opérette. Il officie comme médecin de cette colonie de miliciens, de militants et d’anciens dignitaires vichystes, se préoccupant en particulier des enfants de collaborateurs, décimés par les maladies. Le 27 mars 1945, il réussit à passer au Danemark où il a déposé une forte valeur en or depuis plusieurs années. Marc Hanrez note à ce sujet dans « Le siècle de Céline » (éditions Dualpha) que « esthétique et biologie, chez Céline son placés sous le signe du Septentrion », du Nord dans lequel il décèle le seul « élément sain » des peuples européens.
Emprisonné à Copenhague puis libéré, il est condamné en France en 1950 à un an d'emprisonnement, à 50.000 francs d'amende et à l'indignité nationale. Il est amnistié en 1951 et rentre dans son pays natal. La critique et les lecteurs le prisent moins, sauf quand, en 1957, paraît « D’un château l’autre », une chronique de Sigmaringen. Ses principaux amis sont l’écrivain Albert Paraz, qui préfacera un ouvrage négationniste de Paul Rassinier, et l’éditeur Pierre Monnier mais aussi l’actrice Arletty.
Jean-Yves CAMUS
Actualité Juive n°1152 du 10 février 2011
Pour Marc Laudelout, éditeur du Bulletin célinien, Louis-Ferdinand Destouches (1894-1961) était « à la fois profondément mystique et athée, misanthrope et altruiste, pacifiste et violent dans l’expression de sa pensée », « ni saint ni salaud intégral ». Pour déterminer si cela est exact, examinons ce que fut la vie de Céline, pseudonyme qu’il prit à partir du prénom de sa grand-mère.
Ayant grandi à Paris dans un milieu de petits commerçants et d’employés, Louis-Ferdinand Destouches est destiné à une carrière dans le même milieu. Son père, commis d’assurances, a des opinions ouvertement antisémites. Le futur Céline, qui a appris les langues en Allemagne et en Angleterre, entre comme apprenti, en 1910, chez des marchands de tissus et des joaillers. En 1912, lui qui eut toujours la guerre en horreur totale s’engage volontairement dans l’armée. Sa guerre de 14 est brève : grièvement blessé en octobre, il gagne néanmoins croix de guerre et médaille militaire pour sa conduite en Flandres. Démobilisé, il part en Afrique noire comme surveillant de plantations. Jacqueline Morand-Devillers, qui a étudié ses « Idées politiques » (éditions Ecriture), souligne ses jugements dévastateurs sur les coloniaux et une certaine sympathie pour les indigènes, ce qui permettra à la gauche de bien accueillir certains de ses livres.
En 1920, Céline commence ses études de médecine. Il exercera comme médecin jusqu’à sa mort, longtemps dans un dispensaire puis à son domicile de Meudon où il recevait surtout et souvent gratuitement une clientèle d’indigents. Son passage au service d’hygiène de la Société des Nations (l’ONU d’alors) sous l’autorité d’un médecin juif, qu’il mettra en scène dans « Bagatelles pour un massacre », a son importance dans son rapport aux Juifs, tout comme sa rupture avec sa passion de la fin des années 20, la danseuse américaine Elisabeth Craig dont il attribue la trahison à son mariage avec « un juge juif ».
Le Nord, seul « élément sain » des peuples européens
En 1932, paraît « Voyage au bout de la nuit » qui obtient le Prix Renaudot mais manque le Goncourt : premières rancoeurs de l’écrivain envers la critique, qui s’accentuent avec la parution en 1936 de « Mort à crédit ». Vient l’époque, en 1937-38, des deux pamphlets antisémites : « Bagatelles pour un massacre » et « L'École des cadavres » que la nouvelle réglementation antiraciste de 1939 oblige à retirer de la vente. Céline devient-il un militant politique ? Plusieurs
historiens notent qu’il se rapproche de Darquier de Pellepoix et de son brûlot antijuif, « La France enchaînée ». D’autres assurent qu’il puise une partie de sa « documentation » dans les brochures du Weltdienst, un service extérieur de la propagande nazie. Pascal Ory pense qu’il était stipendié.
La période de l’Occupation voit la parution des « Beaux draps », son troisième ouvrage où l’antisémitisme est central mais qui est mal vu par Vichy car il y attaque la supposée dégénérescence de la « race française », qui est sa véritable obsession. Céline ne s’affilie à aucun parti ou mouvement collaborationniste. En 1941, toutefois, il est présent à l’inauguration de l’Institut d’étude des questions juives que chapeaute Abetz. En décembre de la même année, il lance, dans la feuille antisémite « Au pilori », l’idée d’une réunion au sommet des personnalités antijuives. Xavier Vallat lui redit son estime mais décline l’offre d’y participer : Henry Coston et Jean Drault, qui éditent ce journal, couvrent d’injures le commissaire aux questions juives, jugé trop modéré.
La grande affaire de Céline avec le nazisme commence en fait lorsque l’écrivain et sa femme quittent Paris en juin 1944 et rejoignent l’Allemagne : Baden-Baden puis Neuruppin, au nord de Berlin. En compagnie de son grand ami l’acteur Robert Le Vigan, rendu célèbre par « Quai des Brumes » et devenu un antisémite encore plus forcené que lui, il doit entreprendre pour fuir l’avance alliée, une traversée apocalyptique du Reich qui sombre. Il atterrit à Sigmaringen où il retrouve en octobre 1944 les collaborationnistes français qui y ont établi un « gouvernement » d’opérette. Il officie comme médecin de cette colonie de miliciens, de militants et d’anciens dignitaires vichystes, se préoccupant en particulier des enfants de collaborateurs, décimés par les maladies. Le 27 mars 1945, il réussit à passer au Danemark où il a déposé une forte valeur en or depuis plusieurs années. Marc Hanrez note à ce sujet dans « Le siècle de Céline » (éditions Dualpha) que « esthétique et biologie, chez Céline son placés sous le signe du Septentrion », du Nord dans lequel il décèle le seul « élément sain » des peuples européens.
Emprisonné à Copenhague puis libéré, il est condamné en France en 1950 à un an d'emprisonnement, à 50.000 francs d'amende et à l'indignité nationale. Il est amnistié en 1951 et rentre dans son pays natal. La critique et les lecteurs le prisent moins, sauf quand, en 1957, paraît « D’un château l’autre », une chronique de Sigmaringen. Ses principaux amis sont l’écrivain Albert Paraz, qui préfacera un ouvrage négationniste de Paul Rassinier, et l’éditeur Pierre Monnier mais aussi l’actrice Arletty.
Jean-Yves CAMUS
Actualité Juive n°1152 du 10 février 2011
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