David Alliot, libraire de 38 ans et solide investigateur célinien, est déjà l’auteur, entre autres, d’un livre-enquête sur Louis-Ferdinand Céline au Danemark. Il publie aujourd’hui la minutieuse encyclopédie des témoignages de ceux qui, à un moment ou l’autre de sa vie, pour cinq minutes ou pour trente ans, ont connu l’auteur du Voyage au bout de la nuit. L’ensemble, organisé par périodes, suit la chronologie. Textes introuvables ou inédits, comme les mémoires de Lucien Rebatet, paroles retranscrites, dont une quinzaine recueillies par Alliot lui-même : c’est la danse macabre et truculente du XXe siècle qui défile par les regards contradictoires portés sur l’un des écrivains les plus haïs et admirés. L’introduction biographique sobre, précise (avec quelques clichés sur la guerre de Sartre et Duras) relate sa vie sans rien masquer. Alliot est passionné, mais non idolâtre.
«J’ai commencé à travailler dans une librairie à 18 ans et je pensais que Céline était une femme : dans les rayons, il était près de Colette. A cette époque, je lisais surtout les grands romans du XIXe siècle, j’aimais Barbey d’Aurevilly. On m’a dit que je devais lire Voyage au bout de la nuit. Ce fut un choc phénoménal, immédiat et violent : l’émotion remplaçait la description, le style m’ouvrait le siècle. J’ai aussitôt enquillé sur Mort à crédit. Ça m’a encore plus bouleversé, d’autant que, né en banlieue, je suis fils de bouchers. La boutique, c’est ce qu’il y a au-dessus de la famille, ce qui la fait vivre, et quand il arrive un malheur c’est toujours pour sa gueule : Céline décrit ça à merveille, cette soumission au commerce.
«C’est en lisant la biographie de maître Gibault [exécuteur testamentaire de l’écrivain, ndlr] que j’ai découvert l’attitude de Céline sous l’Occupation. C’était un problème. Mon grand-père, résistant, a été déporté à Mauthausen. Ma grand-mère me disait quand j’étais adolescent : "Si tu choisis l’allemand à l’école, tu ne mets plus les pieds chez moi." Je me suis dit que si mon grand-père était encore en vie, sachant que je lisais Céline, il m’aurait botté le cul. Puis j’ai lu la trilogie de la fin (D’un château l’autre, Nord, Rigodon) et le style m’a de nouveau saisi. J’ai alors découvert d’autres auteurs du XXe siècle, mais, à part Aimé Césaire sur qui je travaille, et qui a plus d’un point commun avec Céline, tout me paraissait bien fade : il donnait l’impression d’avoir fait quelque chose qui n’avait jamais été fait avant. J’ai tout de même aimé Tolkien, Marcel Aymé, Roger Vailland, les descriptions de villes de Paul Morand. Et Voltaire, relu avec un grand plaisir.
«Quand on devient fan d’un écrivain, on accumule les documents. Peu à peu, je me suis aperçu que, dans les biographies de Céline, il y avait des trous. J’ai sauté dedans. J’ai fouiné. Un jour, chez un libraire d’ancien, j’ai acheté Bagatelles pour un massacre pour 1 000 francs, une somme énorme : je gagnais alors 3 400 francs par mois. J’ai tous ses pamphlets. Je les lis parce qu’il le faut, mais ils m’emmerdent profondément. La haine dévalue le style, c’est du grand n’importe quoi. Je sauve quelques passages de Bagatelles et les quarante premières pages des Beaux Draps, hilarante description de la Débâcle. Son grand pamphlet, au fond, c’est le Voyage. Et son grand roman, Mort à crédit.
«L’idée de ce livre est née il y a dix ans, à force d’accumuler documents et photocopies. Le projet s’est précisé voilà six ans, et je travaille intensivement dessus depuis trois ans. J’ai organisé les témoignages par ordre chronologique et j’ai vu que le XXe siècle défilait devant moi, avec des personnages très variés et des opinions diverses. Céline, c’est Zelig : il a rencontré Jean Moulin, Pétain, Laval, Mussolini, fréquenté tous les milieux sociaux possibles, et aussi des personnages comme Judith Magre, la femme de Claude Lanzmann. Les témoignages qui me touchent le plus sont celui de sa fille, Colette Destouches, et celui, très bref, du dessinateur Philippe Druillet. Nourrisson, il a été soigné par Céline à Sigmaringen.
«Tout s’est fait avec l’accord de maître Gibault, je ne publie rien sans passer par lui. Et, le 3 février dernier, j’ai eu le droit d’aller voir Mme Destouches [veuve de Céline, ndlr], chez elle, à Meudon. Je lui ai présenté en exclusivité les épreuves du livre. J’ai été frappé par sa mémoire. A propos d’une histoire, j’ai confondu Sigmaringen et Baden-Baden, elle m’a aussitôt repris. Elle parle de Céline comme s’il allait surgir de derrière la porte. Elle m’a raconté que, dès qu’elle s’absentait plus d’un quart d’heure sans donner de nouvelles, il appelait la police pour qu’ils la retrouvent. Si elle allait à Paris, elle devait donc l’appeler tous les quarts d’heure depuis une cabine. A côté d’elle, il y avait un perroquet, mais ce n’est plus le perroquet historique de l’écrivain.»
Philippe LANCON
Libération, 7/4/2011.
«J’ai commencé à travailler dans une librairie à 18 ans et je pensais que Céline était une femme : dans les rayons, il était près de Colette. A cette époque, je lisais surtout les grands romans du XIXe siècle, j’aimais Barbey d’Aurevilly. On m’a dit que je devais lire Voyage au bout de la nuit. Ce fut un choc phénoménal, immédiat et violent : l’émotion remplaçait la description, le style m’ouvrait le siècle. J’ai aussitôt enquillé sur Mort à crédit. Ça m’a encore plus bouleversé, d’autant que, né en banlieue, je suis fils de bouchers. La boutique, c’est ce qu’il y a au-dessus de la famille, ce qui la fait vivre, et quand il arrive un malheur c’est toujours pour sa gueule : Céline décrit ça à merveille, cette soumission au commerce.
«C’est en lisant la biographie de maître Gibault [exécuteur testamentaire de l’écrivain, ndlr] que j’ai découvert l’attitude de Céline sous l’Occupation. C’était un problème. Mon grand-père, résistant, a été déporté à Mauthausen. Ma grand-mère me disait quand j’étais adolescent : "Si tu choisis l’allemand à l’école, tu ne mets plus les pieds chez moi." Je me suis dit que si mon grand-père était encore en vie, sachant que je lisais Céline, il m’aurait botté le cul. Puis j’ai lu la trilogie de la fin (D’un château l’autre, Nord, Rigodon) et le style m’a de nouveau saisi. J’ai alors découvert d’autres auteurs du XXe siècle, mais, à part Aimé Césaire sur qui je travaille, et qui a plus d’un point commun avec Céline, tout me paraissait bien fade : il donnait l’impression d’avoir fait quelque chose qui n’avait jamais été fait avant. J’ai tout de même aimé Tolkien, Marcel Aymé, Roger Vailland, les descriptions de villes de Paul Morand. Et Voltaire, relu avec un grand plaisir.
«Quand on devient fan d’un écrivain, on accumule les documents. Peu à peu, je me suis aperçu que, dans les biographies de Céline, il y avait des trous. J’ai sauté dedans. J’ai fouiné. Un jour, chez un libraire d’ancien, j’ai acheté Bagatelles pour un massacre pour 1 000 francs, une somme énorme : je gagnais alors 3 400 francs par mois. J’ai tous ses pamphlets. Je les lis parce qu’il le faut, mais ils m’emmerdent profondément. La haine dévalue le style, c’est du grand n’importe quoi. Je sauve quelques passages de Bagatelles et les quarante premières pages des Beaux Draps, hilarante description de la Débâcle. Son grand pamphlet, au fond, c’est le Voyage. Et son grand roman, Mort à crédit.
«L’idée de ce livre est née il y a dix ans, à force d’accumuler documents et photocopies. Le projet s’est précisé voilà six ans, et je travaille intensivement dessus depuis trois ans. J’ai organisé les témoignages par ordre chronologique et j’ai vu que le XXe siècle défilait devant moi, avec des personnages très variés et des opinions diverses. Céline, c’est Zelig : il a rencontré Jean Moulin, Pétain, Laval, Mussolini, fréquenté tous les milieux sociaux possibles, et aussi des personnages comme Judith Magre, la femme de Claude Lanzmann. Les témoignages qui me touchent le plus sont celui de sa fille, Colette Destouches, et celui, très bref, du dessinateur Philippe Druillet. Nourrisson, il a été soigné par Céline à Sigmaringen.
«Tout s’est fait avec l’accord de maître Gibault, je ne publie rien sans passer par lui. Et, le 3 février dernier, j’ai eu le droit d’aller voir Mme Destouches [veuve de Céline, ndlr], chez elle, à Meudon. Je lui ai présenté en exclusivité les épreuves du livre. J’ai été frappé par sa mémoire. A propos d’une histoire, j’ai confondu Sigmaringen et Baden-Baden, elle m’a aussitôt repris. Elle parle de Céline comme s’il allait surgir de derrière la porte. Elle m’a raconté que, dès qu’elle s’absentait plus d’un quart d’heure sans donner de nouvelles, il appelait la police pour qu’ils la retrouvent. Si elle allait à Paris, elle devait donc l’appeler tous les quarts d’heure depuis une cabine. A côté d’elle, il y avait un perroquet, mais ce n’est plus le perroquet historique de l’écrivain.»
Philippe LANCON
Libération, 7/4/2011.
L'agent forestier est de retour !
RépondreSupprimer« Je sauve quelques passages de Bagatelles et les quarante premières pages des Beaux Draps ».
En mars 1933 Emile Zavie publiait dans L'Intran la lettre d'un garde-chasse lettré qui gardait un peu moins de dix pages du Voyage. David Alliot en accorde plus aux pamphlets, mais il utilise le même instrument : un sécateur. Drôle pour des pamphlets antisémites...
Les "commentaires" se font rares.A force de filtrage on obtient un site aseptisé!
RépondreSupprimerQuelques "furieux" nous ont obligés à modérer les commentaires, mais bien peu sont censurés...
RépondreSupprimerOn se demande parfois quels sont les critères de la censure. Seulement les "furieux" ont obligé ? ou les "pas d'accord" ?
RépondreSupprimerLe positionnement du Petiot Célinien rappelle celui du funambule. Il est un vecteur quotidien, en temps réel, de l'actualité célinienne. Il permet également aux lecteurs de s'exprimer, et d'apporter un éclairage sur les articles exposés.
RépondreSupprimerMais le sujet traité reste assez sensible, il faut en convenir.
Ce qu'il perd en spontanéité, le Petiot Célinien le gagne en notabilité. Les qualités intrinsèques du site - neutralité, rigueur, exhaustivité - le rendent respectable, pour ne pas dire fréquentable.
Pouvons-nous vraiment lui reprocher de botter le cul des avinés éberlués pas rigolos ?
E C-G
Voilà un brillant commentaire qui échappera à notre honteuse censure !
RépondreSupprimerArretez la censure..!!!! je comprend pas comment des des gens admire céline et font de la cencure...moi jmen fou...tu peux me censuré...jsui d´accord avec Laurent Simon...ton blog y perdra...il faut dire ce qu´on pense,ça suffit toute la merde du quotidien de faux semblant...monde pourri...sans âme...Mon céline que tu me manques...tu me sauves de la depression nerveuse par ton oeuvre,voila mon medicament pour faire face a la race humaine...lire et relire l´oeuvre de Louis Ferdinand Céline.
RépondreSupprimerCARLOS B.
CARLOS B. a raison : on ne peut déplorer (à juste titre) la censure et la pratiquer même au nom d'une "saine modération" (je sais que ce n'est pas facile pour les responsables d'un site, notamment en raison de certaines lois restrictives de la liberté d'expression en vigueur dans ce pays dont au moins une à l’initiative d'un stalinien, orfèvre en la matière s'il en fut).
RépondreSupprimerPersonnellement, aucun des commentaires publiés sur ce site (y compris ceux "modérés" après coup) ne m'a jamais dérangé. Il m'est arrivé d'être en total désaccord avec certains d'entre eux, mais il est de la plus totale liberté de leurs auteurs d'exprimer une opinion qui n'est pas la mienne comme il est de ma plus totale liberté d'y répondre (ou non). C'est cela une liberté d'expression véritable : la liberté d'exprimer même les idées ou les opinions qui nous paraissent les plus abjectes ou les plus blâmables pourvu que l'on dispose de l'imprescriptible liberté de les contester ou de les combattre
Le Petit Célinien a raison, me semble-t-il, d'écarter les sous-marins qui vombrissent des "vive Hitler !" pour faire couler le navire. La méthode est connue. Ça serait triste que le Petit Célinien soit interdit à cause de provocateurs exaltés qui cherchent à le faire interdire. Carlos serait privé, comme moi-même, de son médicament contre la grisaille. Les commentaires sont tout de même moins importants que les informations données, sauf quand ils apportent quelques éléments nouveaux.
RépondreSupprimerJe ne pense pas que quelqu'un s'aventure à beugler "vive H." sur ce site. Le "Petit Célinien" est d'une excellente tenue intellectuelle et littéraire qui n'attire généralement pas ce genre d'énergumènes.
RépondreSupprimerReste le problème des "provocateurs" : c'est toute la difficulté que je soulignais dans mon précédent message.
En tout cas souhaitons, en effet, que rien ni personne ne fasse fermer ce site qui est ma tasse de thé quotidienne depuis que je l'ai découvert grâce à un certain...Frédéric Mitterand !
Le Petiot Célinien a parfois le geste vif et décidé. Il est assez rageant de voir ses petites impressions disparaître, j’en sais quelque chose. Je me suis vexé, à tort peut-être, de subir le même traitement que certains avinés postillonneurs. Péché d’orgueil, très certainement…
RépondreSupprimerUne insulte bien choisie, aventureuse, permet d’animer le débat. La saillie, placée avec à-propos, est vivifiante. Le consensus est le pire ennemi d’une certaine forme de liberté, constructive et pertinente, on est d’accord. « Il faut tout dire, tout. Oublier, se taire, c’est trahir ». Etc.
Mais que penser des incorrigibles frelatées bourriques ? Des vociférateurs gratuits, ineptes transis jusqu’au trognon ? Quel intérêt de les accepter à notre table ? Qu’ils finissent en bouillie ? Soyons charitables… Le ridicule peut tuer.
Quant aux sujets tendancieux, de ceux qui peuvent conduire à une interdiction du site, il est très certainement possible de les évoquer ailleurs, entre gens de bonne compagnie, sur un forum argentin. Le Petiot Célinien a-t-il par ailleurs la vocation de se métamorphoser Petiot Clandestin ? Martyr pour la France éternelle, cette racoleuse ? Eleveur de puces stériles ?
C’est vrai qu’on se marre un peu moins depuis quelques semaines. Il m’arrive parfois de faire la moue et d’être légèrement désappointé face au différé qui nous est imposé. C’est emmerdant d’attendre, quand sonne l’heure de la récréation, que le professeur nous autorise à quitter nos chaises, bien en rang. Les horaires d’ouverture de la boutique peuvent en effet provoquer, en fonction du client, un sentiment de fébrilité ou de frustration.
A mon sens, il conviendra de se faire une raison : c’est à prendre ou à laisser.
E C-G, un point d’interrogation qui bande.
Fermeture du site pour cause d´insulte, non quand meme pas...moi je sais pouquoi j´aime céline...c´est une affaire entre moi et céline que j´ai parfois pas envie de partager avec d´autres personne,j´evite la confrerie...et puis il y a des gens trop intello...a croire qu´il parle pas du meme céline...j´evite aussi de lire trop de livre d´etude sur céline ça castre la lecture de l´oeuvre...et je sais aussi qu´a choisir céline choisirai un mec comme moi simple et joueur..plutot qu´un EC-G ou autre...qui maitrise tout trop bien...qui savent tout sur tout les maniacs du detail...les maniacs des puces stérile, les maniacs du néant...
RépondreSupprimerEn voilà un beau commentaire... "Céline choisirai un mec comme moi" ! No comment !
RépondreSupprimerPour information, le numéro 3196 de Télérama (du 16 au 22 avrill 2011) contient un article très intéressant, intitulé : Internet rend-il méchant ?
RépondreSupprimer"On les appelle les trolls. Ces internautes inondent de leurs commentaires acides, voire haineux, les sites d'information. Un vaste défouloir, mais qui peut parfois enrichir le débat."
Un écho à notre petite conversation.
E C-G