On n'en finit jamais, avec l'auteur de « Mort à crédit ». Henri Godard s'attache à comprendre ses égarements.
Que reste-t-il de nouveau à apprendre sur la vie de Céline, cinquante ans après sa mort ? À peu près rien. Toute nouvelle biographie de l'écrivain serait donc inutile ? Certainement pas. Le Céline d'Henri Godard en atteste. Expliquons-nous !
Depuis les premiers travaux rassemblés par Dominique de Roux en 1963 pour ses Cahiers de l'Herne, deux ans après la mort de l'écrivain, jusqu'à la publication récente des Lettres de Céline dans la « Pléiade », sous la direction de Jean-Paul Louis et Henri Godard, presque toutes les enquêtes possibles ont été menées, les documents rassemblés, les proches de Céline convoqués par de nombreux chercheurs, au premier rang desquels François Gibault. La dernière grande découverte remonte à une vingtaine d'années, quand un universitaire californien retrouva Elizabeth Craig, la jeune danseuse américaine tant aimée par Céline, qui accompagna la genèse et le lancement de Voyage au bout de la nuit en 1932 (à qui du reste le livre fut dédié) et qui avait disparu aux États-Unis au milieu des années 1930.
Bien entendu, des zones d'ombre subsistent. Ainsi le séjour de Céline à Londres en 1915 -1916 et le rôle exact qu'il joua là-bas au sein ou en marge de la pègre. Quelle fut la nature des liens qu'il noua alors avec l'entraîneuse française Suzanne Nebout, qu'il épousa devant un officier d'état -civil anglais, avant de la quitter ? Plus généralement, des fragments de correspondance se feront jour encore. Ces lettres bouleverseront-elles notre connaissance de Céline ? On peut en douter. Mais de quelle connaissance parlons-nous ?
La complexité et l'ampleur de l'oeuvre célinienne sont telles, les contradictions de l'homme si exacerbées, qu'on n'est pas près d'en finir avec elles. Cessera-t-on jamais d'écrire sur Stendhal, Flaubert ou Proust ? Il y a plus : les livres de Céline transposent de façon plus ou moins avouée sa propre vie ; c'est dire si l'approche biographique doit être renouvelée pour reconsidérer aussi l'oeuvre, les conditions et les secrets de son élaboration.
Les facettes d'une personnalité
Du Céline d'Henri Godard se dégage d'emblée une autorité que l'on pourrait qualifier de magistrale. Quel critique, quel historien, quel universitaire pourraient disputer aujourd'hui à Godard (à qui l'on doit entre autres les scrupuleuses éditions critiques de Céline en « Pléiade ») une telle maîtrise, nourrie par des dizaines d'années de réflexions, d'études, d'enseignement et d'analyses ?
S'appuyant pour une large part sur la correspondance de l'écrivain, il traque ainsi les moindres circonstances de sa vie pour éclairer son oeuvre, son caractère, et permettre de comprendre ses égarements, ses délires antisémites, qui ne sont pas des accidents mais les facettes d'une personnalité qu'il faut bel et bien affronter en bloc. Les pages qu'il consacre à la Grande Guerre, à la France des années 1930 sont à cet égard exemplaires, mais tout autant celles réservées à l'enfance de Céline : cette violence sociale que subit le jeune Louis dans un milieu où il faut « tenir son rang », mentir sur ses pauvres conditions de vie, ou encore ses années de grouillot dans le commerce, exploité par ses collègues comme par les patrons. « La vraie haine, elle vient du fond, elle vient de la jeunesse perdue au boulot sans défense », confessera par la suite Céline.
Quand l'enfant est envoyé en pension en Allemagne et qu'il s'est fait faire une casquette par « le petit Juif », autrement dit par le tailleur du village, comme il l'écrit à ses parents, faut-il déceler déjà là, ainsi que le suggère Godard, « une vision qui considérait les Juifs comme des êtres à part » ? Le Juif, comme nous disons communément le Chinois, l'Arabe ou l'Italien pour désigner le commerçant du coin avec ses caractéristiques, ne font pas, Dieu merci, de chacun de nous des racistes invétérés. Certes, le climat antisémite familial dans lequel a baigné l'enfance de Céline explique pour une part la teneur de Bagatelles pour un massacre et des autres pamphlets, Godard le souligne à son tour. Mais n'oublions pas que ce climat-là, l'écrivain l'a le premier dénoncé avec une lucidité sans pitié dans Mort à crédit, qui demeure son chef-d'oeuvre. Rien n'est jamais très simple avec lui. « L'âme n'est chaude que de son mystère », écrivait-il.
Pour l'approcher, ce mystère, ou pour tenter de le dissiper, les lecteurs de Céline ne pourront faire l'économie de cette biographie qui rassemble tant de connaissances et qui ouvre tant de portes.
Frédéric VITOUX
de l'Académie Française
Le Figaro Littéraire, 26/05/2011
Que reste-t-il de nouveau à apprendre sur la vie de Céline, cinquante ans après sa mort ? À peu près rien. Toute nouvelle biographie de l'écrivain serait donc inutile ? Certainement pas. Le Céline d'Henri Godard en atteste. Expliquons-nous !
Depuis les premiers travaux rassemblés par Dominique de Roux en 1963 pour ses Cahiers de l'Herne, deux ans après la mort de l'écrivain, jusqu'à la publication récente des Lettres de Céline dans la « Pléiade », sous la direction de Jean-Paul Louis et Henri Godard, presque toutes les enquêtes possibles ont été menées, les documents rassemblés, les proches de Céline convoqués par de nombreux chercheurs, au premier rang desquels François Gibault. La dernière grande découverte remonte à une vingtaine d'années, quand un universitaire californien retrouva Elizabeth Craig, la jeune danseuse américaine tant aimée par Céline, qui accompagna la genèse et le lancement de Voyage au bout de la nuit en 1932 (à qui du reste le livre fut dédié) et qui avait disparu aux États-Unis au milieu des années 1930.
Bien entendu, des zones d'ombre subsistent. Ainsi le séjour de Céline à Londres en 1915 -1916 et le rôle exact qu'il joua là-bas au sein ou en marge de la pègre. Quelle fut la nature des liens qu'il noua alors avec l'entraîneuse française Suzanne Nebout, qu'il épousa devant un officier d'état -civil anglais, avant de la quitter ? Plus généralement, des fragments de correspondance se feront jour encore. Ces lettres bouleverseront-elles notre connaissance de Céline ? On peut en douter. Mais de quelle connaissance parlons-nous ?
La complexité et l'ampleur de l'oeuvre célinienne sont telles, les contradictions de l'homme si exacerbées, qu'on n'est pas près d'en finir avec elles. Cessera-t-on jamais d'écrire sur Stendhal, Flaubert ou Proust ? Il y a plus : les livres de Céline transposent de façon plus ou moins avouée sa propre vie ; c'est dire si l'approche biographique doit être renouvelée pour reconsidérer aussi l'oeuvre, les conditions et les secrets de son élaboration.
Les facettes d'une personnalité
Du Céline d'Henri Godard se dégage d'emblée une autorité que l'on pourrait qualifier de magistrale. Quel critique, quel historien, quel universitaire pourraient disputer aujourd'hui à Godard (à qui l'on doit entre autres les scrupuleuses éditions critiques de Céline en « Pléiade ») une telle maîtrise, nourrie par des dizaines d'années de réflexions, d'études, d'enseignement et d'analyses ?
S'appuyant pour une large part sur la correspondance de l'écrivain, il traque ainsi les moindres circonstances de sa vie pour éclairer son oeuvre, son caractère, et permettre de comprendre ses égarements, ses délires antisémites, qui ne sont pas des accidents mais les facettes d'une personnalité qu'il faut bel et bien affronter en bloc. Les pages qu'il consacre à la Grande Guerre, à la France des années 1930 sont à cet égard exemplaires, mais tout autant celles réservées à l'enfance de Céline : cette violence sociale que subit le jeune Louis dans un milieu où il faut « tenir son rang », mentir sur ses pauvres conditions de vie, ou encore ses années de grouillot dans le commerce, exploité par ses collègues comme par les patrons. « La vraie haine, elle vient du fond, elle vient de la jeunesse perdue au boulot sans défense », confessera par la suite Céline.
Quand l'enfant est envoyé en pension en Allemagne et qu'il s'est fait faire une casquette par « le petit Juif », autrement dit par le tailleur du village, comme il l'écrit à ses parents, faut-il déceler déjà là, ainsi que le suggère Godard, « une vision qui considérait les Juifs comme des êtres à part » ? Le Juif, comme nous disons communément le Chinois, l'Arabe ou l'Italien pour désigner le commerçant du coin avec ses caractéristiques, ne font pas, Dieu merci, de chacun de nous des racistes invétérés. Certes, le climat antisémite familial dans lequel a baigné l'enfance de Céline explique pour une part la teneur de Bagatelles pour un massacre et des autres pamphlets, Godard le souligne à son tour. Mais n'oublions pas que ce climat-là, l'écrivain l'a le premier dénoncé avec une lucidité sans pitié dans Mort à crédit, qui demeure son chef-d'oeuvre. Rien n'est jamais très simple avec lui. « L'âme n'est chaude que de son mystère », écrivait-il.
Pour l'approcher, ce mystère, ou pour tenter de le dissiper, les lecteurs de Céline ne pourront faire l'économie de cette biographie qui rassemble tant de connaissances et qui ouvre tant de portes.
Frédéric VITOUX
de l'Académie Française
Le Figaro Littéraire, 26/05/2011
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