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mardi 14 juin 2011

Céline, un écrivain insaisissable - Les Inrocks - 14 juin 2011

Cinquante ans après sa mort, Céline semble toujours se soustraire à toute tentative biographique. Celle d'Henri Godard, spécialiste reconnu du romancier, n'échappe pas à la règle.

Il est partout. Même si banni (des célébrations nationales). Une façon tonitruante d'entamer le cinquantenaire de la mort de Louis-Ferdinand Auguste Destouches, dit Céline. Outre le parfum de soufre ranci, l'événement s'accompagne d'une débauche de publications et de rééditions où le pire côtoie le meilleur : les lettres du romancier à la NRF, sa correspondance avec son ami et complice d'orgie, le peintre Henri Mahé (La Brinquebale avec Céline), et même les souvenirs gouailleurs mais creux d'une certaine Maroushka Dodelé (Une enfance chez Louis-Ferdinand Céline) qui prit des cours de danse avec Lucette, l'épouse de l'écrivain.

Dans ce maelström éditorial, un nom fait référence : celui d'Henri Godard. Spécialiste incontesté de l'auteur du Voyage au bout de la nuit, éditeur des oeuvres de Céline dans la Pléiade, cet universitaire publie une nouvelle biographie de Céline, une somme de plus de six cents pages denses, étayées par une abondance de sources.

Sans remettre en question le sérieux de ses recherches, on s'étonne de la relative légèreté avec laquelle il exploite, voire surinterprète certains faits. Ainsi, évoquant le Carnet du cuirassier Destouches de Céline, il conclut à une "volonté de littérature" du jeune homme, simplement à partir de la dédicace "A celui qui lira ces pages", formule somme toute commune à tous les journaux intimes d'adolescents.

Le manque de distance manifesté par Godard est flagrant dans les premiers chapitres. Il insiste sur les difficultés rencontrées par Céline dans sa jeunesse, quitte, semble-t-il, à les exagérer par endroits, parlant des "humiliations" endurées par Céline durant ses années d'apprentissage comme commis, sans en donner d'exemples concrets. Etrangement, les pages sur la Première Guerre mondiale, matrice sanglante de l'oeuvre de Céline et de sa vision désespérée de la nature humaine, sont parmi les plus faibles.

En revanche, celles qu'il consacre au racisme et à l'antisémitisme de Céline permettent d'appréhender l'homme dans toute sa complexité. Sans jamais chercher à l'excuser, Godard montre comment une suite de déceptions, dont la mauvaise réception de Mort à crédit, a transformé l'antisémitisme de Céline en idée fixe, en obsession mortifère qui a mutilé son oeuvre romanesque.

Mais finalement, la forme de la biographie ne semble pas adaptée à un personnage comme Céline. Une seule voix ne suffit pas à en restituer toutes les contradictions. Dans D'un Céline l'autre, David Alliot a rassemblé deux cents témoignages, ceux de Colette, la fille de Céline, de Marcel Aymé, William Burroughs, Elizabeth Craig, la maîtresse américaine... Une multiplicité de points de vue qui esquisse le portrait vivant, mobile et sans doute le plus juste de l'écrivain.

Elisabeth PHILIPPE
Les Inrocks.com, 14/06/2011

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