Il faudrait rapprendre à danser. La France est demeurée heureuse jusqu’au rigodon.
On fête les cinquante ans de Céline, plus grand écrivain et poète français du siècle dernier, au moins pour son Voyage si prémonitoire, dont la moitié de phrases contiennent un octosyllabe ou un alexandrin. Mais j’ai envie de citer quelques phrases des pamphlets. Je n’ai aucune envie de défendre ou de justifier Céline. Mais on ne m’empêchera pas de le lire en ligne et de citer de lui ces propos suivants, qui le rapprochent des grands écrivains et philosophes critiques de la modernité. Ils ont tirés pour l’essentiel des Beaux draps, le meilleur et le moins agressif de ses pamphlets justement diabolisés. Comme Péguy, Duhamel, René Clair ou Charlot, Céline dénonce la « Standardisation robotisation insensibilisation nivellement artistique ». Sur les excursions, le tourisme et la promenade pathétique du dimanche, sur la manie automobile en somme, il écrit, assez drôlement :
Pauvre sagouin tout saccagé d’expulsions de gaz, tympanique partout, tambour brimé de convenances, surpasse un moteur en péteries, d’où l’innommable promenade, de sites en bosquets du dimanche, des affolés du transit, à toutes allures d’échappements, de Lieux-dits en Châteaux d’Histoire. Ça va mal !
La sottise des temps lui inspire ces propos presque eschatologiques :
Une telle connerie dépasse l’homme. Une hébétude si fantastique démasque un instinct de mort, une pesanteur au charnier, une perversion mutilante que rien ne saurait expliquer sinon que les temps sont venus, que le Diable nous appréhende, que le Destin s’accomplit.
Concernant la démocratie, Céline a bien compris que le problème, n’est-ce pas, ce n’est pas le pouvoir ou les partis politiques qui n’en peuvent mais, c’est le citoyen des temps modernes :
Voici l’homme fou à ligoter, citoyen grisé de conneries qu’a perdu tout sens du ridicule. Il sait plus ce qu’il fait, ce qu’il ne fait pas. Il a plus que des velléités, des ébauches, des bribes, il sait plus rien entreprendre, il comprend plus rien. Il a perdu ses racines. Il est l’homme des publicités, rincé, délavé, chiffe crâneuse.
L’homme des pubs est aussi une machine politique à revendiquer des « droits » :
Ils veulent rester carnes, débraillés, pagayeux, biberonneux, c’est tout. Ils ont pas un autre programme. Ils veulent revendiquer partout, en tout et sur tout et puis c’est marre. C’est des débris qu’ont des droits. Un pays ça finit en “droits”, en droit suprêmes, en droits à rien, en droits à tout, en droits de jaloux, en droits de famine, en droits de vent.
Monde moderne, monde sans rêve et sans efforts. Voici les lignes impeccables que ce monde-ci, consumériste et nihiliste, lui inspire :
Le monde est matérialiste, le plus menu peuple compris. Il croit plus à rien qu’au tangible. C’est comme ça l’Instruction Publique, l’évaporation des Légendes. Ils veulent plus se remettre en route avant qu’on ait réglé les comptes. Nôtre société elle veut plus rien foutre, elle veut plus se fatiguer du tout. Elle se les retourne de plus en plus. Elle s’effondre dans tous les coins.
C’est qu’en effet, « ça rend pas bon la mécanique ça rend prosaïque et cassant. »
Bien avant Internet ou la télé, Céline constate que du fait de cette mécanisation et cette massification les carottes sont cuites en matière de culture (n’est-ce pas Pinault ?) et de goût du public, comme on dit :
Le goût du public est tout faux, résolument faux, il va vers le faux, le truqué, aussi droit, aussi certainement que le cochon va vers la truffe, d’instinct inverti, infaillible, vers la fausse grandeur, la fausse force, la fausse grâce, la fausse vertu, la fausse pudeur, le faux bonhomme, le faux chef-d’œuvre, le tout faux, sans se fatiguer.
Enfin, même sur l’antisémitisme, Céline écrit ces lignes enfin lucides et décalées, comme on dit aujourd’hui :
Bouffer du juif ça ne suffit pas, je le dis bien, ça tourne en rond, en rigolade, une façon de battre du tambour si on saisit pas leurs ficelles… Tout le reste c’est du rabâchis, ça vous écœure tous les journaux, dits farouchement antisémites, qu’est-ce qu’ils cherchent au fond ?
On peut lui répondre : ils cherchent à gagner de l’argent, l’antisémitisme ayant été un marché littéraire et journalistique colossal en Europe durant plus d’un siècle (40 000 titres pour le moins !). Mais laissons de côté : je recommande la lecture des premiers chapitres du Voyage, et surtout le chapitre américain, le meilleur du livre, le meilleur du siècle, où Céline fait sa grande dépression à lui, la dépression du petit homme buté face au « commerce, ce chancre du monde ».
Toujours j’avais redouté d’être à peu près vide, de n’avoir en somme aucune sérieuse raison pour exister. À présent j’étais devant les faits bien assuré de mon néant individuel.
Nicolas BONNAL
Les quatre vérités, 4/7/2011
On fête les cinquante ans de Céline, plus grand écrivain et poète français du siècle dernier, au moins pour son Voyage si prémonitoire, dont la moitié de phrases contiennent un octosyllabe ou un alexandrin. Mais j’ai envie de citer quelques phrases des pamphlets. Je n’ai aucune envie de défendre ou de justifier Céline. Mais on ne m’empêchera pas de le lire en ligne et de citer de lui ces propos suivants, qui le rapprochent des grands écrivains et philosophes critiques de la modernité. Ils ont tirés pour l’essentiel des Beaux draps, le meilleur et le moins agressif de ses pamphlets justement diabolisés. Comme Péguy, Duhamel, René Clair ou Charlot, Céline dénonce la « Standardisation robotisation insensibilisation nivellement artistique ». Sur les excursions, le tourisme et la promenade pathétique du dimanche, sur la manie automobile en somme, il écrit, assez drôlement :
Pauvre sagouin tout saccagé d’expulsions de gaz, tympanique partout, tambour brimé de convenances, surpasse un moteur en péteries, d’où l’innommable promenade, de sites en bosquets du dimanche, des affolés du transit, à toutes allures d’échappements, de Lieux-dits en Châteaux d’Histoire. Ça va mal !
La sottise des temps lui inspire ces propos presque eschatologiques :
Une telle connerie dépasse l’homme. Une hébétude si fantastique démasque un instinct de mort, une pesanteur au charnier, une perversion mutilante que rien ne saurait expliquer sinon que les temps sont venus, que le Diable nous appréhende, que le Destin s’accomplit.
Concernant la démocratie, Céline a bien compris que le problème, n’est-ce pas, ce n’est pas le pouvoir ou les partis politiques qui n’en peuvent mais, c’est le citoyen des temps modernes :
Voici l’homme fou à ligoter, citoyen grisé de conneries qu’a perdu tout sens du ridicule. Il sait plus ce qu’il fait, ce qu’il ne fait pas. Il a plus que des velléités, des ébauches, des bribes, il sait plus rien entreprendre, il comprend plus rien. Il a perdu ses racines. Il est l’homme des publicités, rincé, délavé, chiffe crâneuse.
L’homme des pubs est aussi une machine politique à revendiquer des « droits » :
Ils veulent rester carnes, débraillés, pagayeux, biberonneux, c’est tout. Ils ont pas un autre programme. Ils veulent revendiquer partout, en tout et sur tout et puis c’est marre. C’est des débris qu’ont des droits. Un pays ça finit en “droits”, en droit suprêmes, en droits à rien, en droits à tout, en droits de jaloux, en droits de famine, en droits de vent.
Monde moderne, monde sans rêve et sans efforts. Voici les lignes impeccables que ce monde-ci, consumériste et nihiliste, lui inspire :
Le monde est matérialiste, le plus menu peuple compris. Il croit plus à rien qu’au tangible. C’est comme ça l’Instruction Publique, l’évaporation des Légendes. Ils veulent plus se remettre en route avant qu’on ait réglé les comptes. Nôtre société elle veut plus rien foutre, elle veut plus se fatiguer du tout. Elle se les retourne de plus en plus. Elle s’effondre dans tous les coins.
C’est qu’en effet, « ça rend pas bon la mécanique ça rend prosaïque et cassant. »
Bien avant Internet ou la télé, Céline constate que du fait de cette mécanisation et cette massification les carottes sont cuites en matière de culture (n’est-ce pas Pinault ?) et de goût du public, comme on dit :
Le goût du public est tout faux, résolument faux, il va vers le faux, le truqué, aussi droit, aussi certainement que le cochon va vers la truffe, d’instinct inverti, infaillible, vers la fausse grandeur, la fausse force, la fausse grâce, la fausse vertu, la fausse pudeur, le faux bonhomme, le faux chef-d’œuvre, le tout faux, sans se fatiguer.
Enfin, même sur l’antisémitisme, Céline écrit ces lignes enfin lucides et décalées, comme on dit aujourd’hui :
Bouffer du juif ça ne suffit pas, je le dis bien, ça tourne en rond, en rigolade, une façon de battre du tambour si on saisit pas leurs ficelles… Tout le reste c’est du rabâchis, ça vous écœure tous les journaux, dits farouchement antisémites, qu’est-ce qu’ils cherchent au fond ?
On peut lui répondre : ils cherchent à gagner de l’argent, l’antisémitisme ayant été un marché littéraire et journalistique colossal en Europe durant plus d’un siècle (40 000 titres pour le moins !). Mais laissons de côté : je recommande la lecture des premiers chapitres du Voyage, et surtout le chapitre américain, le meilleur du livre, le meilleur du siècle, où Céline fait sa grande dépression à lui, la dépression du petit homme buté face au « commerce, ce chancre du monde ».
Toujours j’avais redouté d’être à peu près vide, de n’avoir en somme aucune sérieuse raison pour exister. À présent j’étais devant les faits bien assuré de mon néant individuel.
Nicolas BONNAL
Les quatre vérités, 4/7/2011
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