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dimanche 3 juillet 2011

L’hommage des retardataires par Charles-Louis Roseau

Tous les célinophiles n’étaient pas disponibles aujourd’hui pour assister à la commémoration officieuse des cinquante ans de la mort de Louis-Ferdinand Destouches. A l’heure où, conviées par la Société d’études céliniennes, une soixantaine de personnes se réunissaient autour de la tombe du romancier, je m’échappai en courant d’un entretien d’embauche, sautai dans le métro et attrapai de justesse un train pour Meudon. Il était 13h15 quand j’arrivai enfin dans un cimetière presque vide. Un visiteur, comme moi, déambulait dans les allées à la recherche d’une stèle fraîchement fleurie. Bientôt, une nouvelle retardataire se joint à nous. Elle m’avoua qu’elle ignorait qu’une célébration avait eu lieu. Motivé par un article paru le jour même dans 20 Minutes, son geste était visiblement spontané et personnel. C’est alors que l’homme nous fit signe : il avait trouvé l’emplacement. Arrivés à sa hauteur, on fut un peu déconcerté de le voir photographier une simple dalle de béton, sans doute le revêtement d’une place à pourvoir. L’homme dut remarquer notre étonnement car il prétexta aussitôt avec vigueur que suite aux récents débats, il n’était pas surprenant que la dépouille de l’écrivain ait été déplacée… On s’éloigna lentement, le regardant s’extasier de ce qu’il pensait sans doute être un « scoop ». Puis un quatrième larron vint rejoindre notre petit cortège. Contrarié de n’avoir pu trouver de fleurs, il prit quelques clichés de la tombe enfin localisée et annonça qu’il allait de ce pas se rendre au 25 ter rue des Gardes. Je le suivis. En chemin, on discuta de Céline d’abord, puis de nos voyages respectifs. Il me parla de ses jeunes années de service révolutionnaire à Cuba et je lui dis quelques mots de ma traversée de l’Atlantique. Le plus naturellement du monde, ensemble, nous prîmes le train pour Paris, puis un verre… Plus de quarante ans nous séparaient, mais une complicité venait de naître.

Je les imagine nombreux ces célinophiles retardataires, solitaires, réfractaires, exclusifs ou candides, venus, tout au long de la journée, rendre un hommage furtif à l’auteur de Voyage au bout de la nuit. Peut-être, comme nous, ont-ils partagé un petit moment de vie ? Céline qui, de son vivant, aimait à jouer l’entremetteur, n’a manifestement pas fini de favoriser les rencontres, ni de faire parler de lui.

Charles-Louis ROSEAU
Le Petit Célinien, 3 juillet 2011.

1 commentaire:

  1. "La lecture est une amitié" … « Sans doute, l’amitié, l’amitié qui a égard aux individus, est une chose frivole, et la lecture est une amitié. Mais du moins c’est une amitié sincère, et le fait qu’elle s’adresse à un mort, à un absent, lui donne quelque chose de désintéressé, de presque touchant. C’est de plus une amitié débarrassée de tout ce qui fait la laideur des autres. Comme nous ne sommes tous, nous les vivants, que des morts qui ne sont pas encore entrés en fonctions, toutes ces politesses, toutes ces salutations dans le vestibule que nous appelons déférence, gratitude, dévouement et où nous mêlons tant de mensonges, sont stériles et fatigantes. De plus, – dès les premières relations de sympathie, d’admiration, de reconnaissance, – les premières paroles que nous prononçons, les premières lettres que nous écrivons, tissent autour de nous les premiers fils d’une toile d’habitudes, d’une véritable manière d’être, dont nous ne pouvons plus nous débarrasser dans les amitiés suivantes ; sans compter que pendant ce temps-là les paroles excessives que nous avons prononcées restent comme des lettres de change que nous devons payer, ou que nous paierons plus cher encore toute notre vie des remords de les avoir laissé protester. Dans la lecture, l’amitié est soudain ramenée à sa pureté première. Avec les livres, pas d’amabilité. Ces amis-là, si nous passons la soirée avec eux, c’est vraiment que nous en avons envie. Eux, du moins, nous ne les quittons souvent qu’à regret. Et quand nous les avons quittés, aucune de ces pensées qui gâtent l’amitié : Qu’ont-ils pensé de nous ? – N’avons-nous pas manqué de tact ? – Avons-nous plu ? – et la peur d’être oublié pour tel autre. Toutes ces agitations de l’amitié expirent au seuil de cette amitié pure et calme qu’est la lecture. Pas de déférence non plus ; nous ne rions de ce que dit Molière que dans la mesure exacte où nous le trouvons drôle ; quand il nous ennuie nous n’avons pas peur d’avoir l’air ennuyé, et quand nous avons décidément assez d’être avec lui, nous le remettons à sa place aussi brusquement que s’il n’avait ni génie ni célébrité. L’atmosphère de cette pure amitié est le silence, plus pur que la parole. Car nous parlons pour les autres, mais nous nous taisons pour nous-mêmes. Aussi le silence ne porte pas, comme la parole, la trace de nos défauts, de nos grimaces. Il est pur, il est vraiment une atmosphère. Entre la pensée de l’auteur et la nôtre il n’interpose pas ces éléments irréductibles, réfractaires à la pensée, de nos égoïsmes différents. Le langage même du livre est pur (si le livre mérite ce nom), rendu transparent par la pensée de l’auteur qui en a retiré tout ce qui n’était pas elle-même jusqu’à le rendre son image fidèle, chaque phrase, au fond, ressemblant aux autres, car toutes sont dites par l’inflexion unique d’une personnalité ; de là une sorte de continuité, que les rapports de la vie et ce qu’ils mêlent à la pensée d’éléments qui lui sont étrangers excluent et qui permet très vite de suivre la ligne même de la pensée de l’auteur, les traits de sa physionomie qui se reflètent dans ce calme miroir… » Sur la lecture, Marcel PROUST, pages 60 et ss
    http://beq.ebooksgratuits.com/vents-xpdf/Proust_Sur_la_lecture.pdf

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