Le Courrier des Yvelines, hebdomadaire du Nord-est des Yvelines, consacre, dans ses pages été du mois d'août 2011, une série de cinq articles à Louis-Ferdinand Céline. Voici le troisième chapitre paru dans le numéro du 17 août.
Nous poursuivons notre série consacrée à l'écrivain Louis-Ferdinand Céline, qui a travaillé et exercé son métier de médecin dans les Yvelines. Son deuxième roman Mort à crédit, paru en 1936, a aussi été écrit en grande partie à Saint-Germain en Laye. Durant cinq semaines, nous cheminerons, étape par étape, sur les pas de l'écrivain maudit qui affectionnait la banlieue parisienne.
Le succès - et le scandale - de Voyage au bout de la nuit paru en 1932 font de Céline la coqueluche des médias de l'époque. En octobre 1933, il est invité par la famille Zola et Lucien Descaves, membre de l'académie Goncourt, à prononcer un discours dans la maison de l'écrivain à Médan. Céline renâcle un peu et se prête de mauvaise grâce à l'exercice. Il ne peut pas décemment refuser l'invitation de Lucien Descaves qui s'est investi pour qu'il obtienne le prix littéraire prestigieux, attribué finalement à Guy Mazeline pour son roman Les Loups. Céline se console avec le prix Renaudot (1). Malgré l’affaire du Goncourt, le médecin est très courtisé par
le milieu des lettres. Jean Paulhan souhaite le voir collaborer à la Nouvelle Revue Française, éditée par Gallimard. Céline refuse. Mais de 1933 à 1936, l'écrivain fait l'objet de sollicitations croissantes.
Bardamu parle
C’est ainsi que dans le cadre des commémorations autour de la mort d'Emile Zola, Lucien Descaves demande à Céline de participer à la manifestation organisée à Médan. Céline n’admire pas particulièrement Zola, mais il ne peut refuser cela à son ami. Le 1er octobre 1933, il se retrouve donc devant un parterre de notables, de gens de lettres et de mondains. Au milieu des discours convenus, son intervention crée le scandale. Sa prestation dans le jardin de la maison de Zola est une première. Personne ne sait quelle sera la teneur de son discours. Mais Céline sait composer son personnage. C'est donc Ferdinand Bardamu, le héros du Voyage, qui délivre sa sinistre vision de la société française au cours de son allocution. Le discours est sous-titré “Les hommes sont des mystiques de la mort dont il faut se méfier”. Tout Céline est là dans cette vision désabusée du monde. Pour l'auteur du Voyage au bout de la nuit, le monde naturaliste de Zola n'existe plus. La Première Guerre mondiale a tué les courants de pensée modernistes qui affirmaient que la science allait apporter la paix, et créer une société plus juste. D'une certaine façon, Céline signe l'acte de décès du naturalisme chez Zola. Il fallait un peu de culot !
Le naturalisme est mort
L'introduction de son discours peut être considérée comme un authentique hommage au père de Rougon-Macquart : « En pensant à Zola, nous demeurons un peu gênés devant son oeuvre ; il est trop près de nous encore pour que nous le jugions bien, je veux dire dans ses intentions. Il nous parle de choses qui nous sont familières... Il nous serait bien agréable qu'elles aient un peu changé. Qu'on nous permette un petit souvenir personnel. A l'Exposition de 1900, nous étions encore bien jeunes, mais nous avons gardé le souvenir quand même bien vivace, que c'était une énorme brutalité. Des pieds surtout, des pieds partout et des poussières en nuages si épais qu'on pouvait les toucher. Des gens interminables défilant, pilonnant, écrasant l'exposition, et puis ce trottoir roulant qui grinçait jusqu'à la galerie des machines, pleine, pour la première fois, de métaux en torture, de menaces colossales, de catastrophes en suspens. La vie moderne commençait. Depuis, on n'a pas fait mieux. Depuis L'Assommoir non plus on n'a pas fait mieux. Les choses en sont restées là avec quelques variantes. Avait-il, Zola, travaillé trop bien pour ses successeurs ?(...) Il fallait à Zola déjà quelque héroïsme pour montrer aux hommes de son temps quelques gais tableaux de la réalité. La réalité aujourd'hui ne serait permise à personne. À nous donc les symboles et les rêves ! (...)» Et très vite ça se gâte, car Céline y va de son couplet sur l'inexorable décadence de la civilisation française, et de sa critique des sociétés et du totalitarisme qui pèse sur les épaules de ses semblables. Féroce et lucide. « Nous voici parvenus au bout de vingt siècles de haute civilisation et, cependant, aucun régime ne résisterait à deux mois de vérité. Je veux dire la société marxiste aussi bien que nos sociétés bourgeoises et fascistes. L'homme ne peut persister, en effet, dans aucune de ces formes sociales, entièrement brutales, toutes masochistes, sans la violence d'un mensonge permanent et de plus en plus massif, répété, frénétique, “totalitaire” comme on l'intitule. Privées de cette contrainte, elles s'écrouleraient dans la pire anarchie, nos sociétés. Hitler n'est pas le dernier mot, nous verrons plus épileptique encore, ici, peut-être. Le naturalisme, dans ces conditions, qu'il le veuille ou non, devient politique. On l'abat. Heureux ceux que gouvernèrent le cheval de Caligula ! »
Le discours, bien sûr fait sensation, autant par l’âpreté du propos tenu, que par son anticonformisme visionnaire. On est bien loin du langage ampoulé que l'on utilise pour ce genre de rencontre. Et la personnalité fait mouche.
Frédéric ANTOINE, avec les conseils de David Alliot
Le Courrier des Yvelines, 17 août 2011.
>>> Téléchargez l'article (pdf)
>>> L.-F. Céline, L'Hommage à Zola (pdf)
Notes
(1) Lucien Descaves sait que depuis les années 20 l'attribution du Goncourt obéit plus à des intrigues byzantines qu'à des considérations littéraires.
Nous poursuivons notre série consacrée à l'écrivain Louis-Ferdinand Céline, qui a travaillé et exercé son métier de médecin dans les Yvelines. Son deuxième roman Mort à crédit, paru en 1936, a aussi été écrit en grande partie à Saint-Germain en Laye. Durant cinq semaines, nous cheminerons, étape par étape, sur les pas de l'écrivain maudit qui affectionnait la banlieue parisienne.
Le succès - et le scandale - de Voyage au bout de la nuit paru en 1932 font de Céline la coqueluche des médias de l'époque. En octobre 1933, il est invité par la famille Zola et Lucien Descaves, membre de l'académie Goncourt, à prononcer un discours dans la maison de l'écrivain à Médan. Céline renâcle un peu et se prête de mauvaise grâce à l'exercice. Il ne peut pas décemment refuser l'invitation de Lucien Descaves qui s'est investi pour qu'il obtienne le prix littéraire prestigieux, attribué finalement à Guy Mazeline pour son roman Les Loups. Céline se console avec le prix Renaudot (1). Malgré l’affaire du Goncourt, le médecin est très courtisé par
le milieu des lettres. Jean Paulhan souhaite le voir collaborer à la Nouvelle Revue Française, éditée par Gallimard. Céline refuse. Mais de 1933 à 1936, l'écrivain fait l'objet de sollicitations croissantes.
Bardamu parle
C’est ainsi que dans le cadre des commémorations autour de la mort d'Emile Zola, Lucien Descaves demande à Céline de participer à la manifestation organisée à Médan. Céline n’admire pas particulièrement Zola, mais il ne peut refuser cela à son ami. Le 1er octobre 1933, il se retrouve donc devant un parterre de notables, de gens de lettres et de mondains. Au milieu des discours convenus, son intervention crée le scandale. Sa prestation dans le jardin de la maison de Zola est une première. Personne ne sait quelle sera la teneur de son discours. Mais Céline sait composer son personnage. C'est donc Ferdinand Bardamu, le héros du Voyage, qui délivre sa sinistre vision de la société française au cours de son allocution. Le discours est sous-titré “Les hommes sont des mystiques de la mort dont il faut se méfier”. Tout Céline est là dans cette vision désabusée du monde. Pour l'auteur du Voyage au bout de la nuit, le monde naturaliste de Zola n'existe plus. La Première Guerre mondiale a tué les courants de pensée modernistes qui affirmaient que la science allait apporter la paix, et créer une société plus juste. D'une certaine façon, Céline signe l'acte de décès du naturalisme chez Zola. Il fallait un peu de culot !
Le naturalisme est mort
L'introduction de son discours peut être considérée comme un authentique hommage au père de Rougon-Macquart : « En pensant à Zola, nous demeurons un peu gênés devant son oeuvre ; il est trop près de nous encore pour que nous le jugions bien, je veux dire dans ses intentions. Il nous parle de choses qui nous sont familières... Il nous serait bien agréable qu'elles aient un peu changé. Qu'on nous permette un petit souvenir personnel. A l'Exposition de 1900, nous étions encore bien jeunes, mais nous avons gardé le souvenir quand même bien vivace, que c'était une énorme brutalité. Des pieds surtout, des pieds partout et des poussières en nuages si épais qu'on pouvait les toucher. Des gens interminables défilant, pilonnant, écrasant l'exposition, et puis ce trottoir roulant qui grinçait jusqu'à la galerie des machines, pleine, pour la première fois, de métaux en torture, de menaces colossales, de catastrophes en suspens. La vie moderne commençait. Depuis, on n'a pas fait mieux. Depuis L'Assommoir non plus on n'a pas fait mieux. Les choses en sont restées là avec quelques variantes. Avait-il, Zola, travaillé trop bien pour ses successeurs ?(...) Il fallait à Zola déjà quelque héroïsme pour montrer aux hommes de son temps quelques gais tableaux de la réalité. La réalité aujourd'hui ne serait permise à personne. À nous donc les symboles et les rêves ! (...)» Et très vite ça se gâte, car Céline y va de son couplet sur l'inexorable décadence de la civilisation française, et de sa critique des sociétés et du totalitarisme qui pèse sur les épaules de ses semblables. Féroce et lucide. « Nous voici parvenus au bout de vingt siècles de haute civilisation et, cependant, aucun régime ne résisterait à deux mois de vérité. Je veux dire la société marxiste aussi bien que nos sociétés bourgeoises et fascistes. L'homme ne peut persister, en effet, dans aucune de ces formes sociales, entièrement brutales, toutes masochistes, sans la violence d'un mensonge permanent et de plus en plus massif, répété, frénétique, “totalitaire” comme on l'intitule. Privées de cette contrainte, elles s'écrouleraient dans la pire anarchie, nos sociétés. Hitler n'est pas le dernier mot, nous verrons plus épileptique encore, ici, peut-être. Le naturalisme, dans ces conditions, qu'il le veuille ou non, devient politique. On l'abat. Heureux ceux que gouvernèrent le cheval de Caligula ! »
Le discours, bien sûr fait sensation, autant par l’âpreté du propos tenu, que par son anticonformisme visionnaire. On est bien loin du langage ampoulé que l'on utilise pour ce genre de rencontre. Et la personnalité fait mouche.
Frédéric ANTOINE, avec les conseils de David Alliot
Le Courrier des Yvelines, 17 août 2011.
>>> Téléchargez l'article (pdf)
>>> L.-F. Céline, L'Hommage à Zola (pdf)
Notes
(1) Lucien Descaves sait que depuis les années 20 l'attribution du Goncourt obéit plus à des intrigues byzantines qu'à des considérations littéraires.
A lire :
>>> Céline dans les Yvelines, chapitre I : le cuirassier Destouches à Rambouillet
>>> Céline dans les Yvelines, chapitre II : A bord de La Malamoa à Croissy-sur-Seine
>>> Céline dans les Yvelines, chapitre III : Médan et l’hommage à Zola
>>> Céline dans les Yvelines, chapitre IV : Saint-Germain, le calme avant la tempête
>>> Céline dans les Yvelines, chapitre V : D'un dispensaire à l'autre (Sartrouville et Bezons)
Hommage a zola est dans les cahiers de l´herne.
RépondreSupprimerEt dans un Cahier Céline.
RépondreSupprimerEt dans le seconde partie de Apologie de Mort à Crédit de Denoël
RépondreSupprimerA votre avis quel est le livre ou la meilleure etude ecrite sur celine?
RépondreSupprimerGodart? edition du Lerot? ou autre...
J´attend avec impatience la bibliographie de Marc Laudeloup, je pense que j´aurais reponse a tout mes question, il y aurait plus 400 livres ecrit sur celine.
Merci au Petit Célinien de nous l'avoir rendu accessible...
RépondreSupprimerLa biographie de Godard résume tout.
RépondreSupprimerPour plus de détails sur la vie : Gibault, mais moins de vues sur l'oeuvre.
Enfin tout "spécialiste ou fervent de Céline se doit d'acquérir tous les n°s de l'Année Céline (Lérot)
Desolé je suis un grand admirateur de celine, mais je n´achete pas l´année celine,je trouve que ça n´a pas grand interet.
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