Ça a débuté comme ça. En 1936, l’“année de tous les dangers”, dit Henri Godard, l’année où Céline a basculé dans un antisémitisme furieux. Lui l’écrivain à succès, lui l’écrivain à scandales, lui qui a ouvert de si nombreuses portes littéraires avec Voyage au bout de la nuit ferme désormais la porte à la critique et à ses semblables.
Comment en est-il arrivé là ? C’est la question que pose Henri Godard dans l’imposante biographie qu’il fait paraître chez Gallimard. Imposante mais loin d’être indigeste. Toute la force de Godard est là : ces quelque 580 pages ne racontent pas Céline. Elles l’analysent, le sondent, l’expliquent dans la mesure du possible. Comment Louis Destouches, le petit garçon obéissant promis au même avenir de petit commerçant que ses parents en vient-il à écrire le plus perturbant des romans de la première moitié du XXe siècle ? Comment ce médecin attaché à éduquer les classes populaires à l’hygiène et à soigner gratuitement les plus démunis en est-il venu à nourrir les idées les plus atroces à l’endroit des juifs et à produire les pamphlets de la violence que l’on sait ?
Déchiffrer Destouches
Pour tenter de répondre à ces questions, Henri Godard ne garde de la vie de Céline que l’essentiel, ce qui explique son cheminement littéraire et humain, plus imbriqué chez lui que chez n’importe quel auteur. Godard ne s’embarrasse pas des détails, il oublie le superflu, ce qui, dans la vie de Destouches n’a pas mené à Céline, ce qui, dans la vie de Céline, n’a pas mené à grand-chose. Sa première femme, sa fille, ses relations stériles, son travail journalier, son quotidien sclérosant. Il ne conserve que ce qui fournit des bribes d’explication, des pistes parfois floues, souvent entremêlées, pour comprendre qui était cet homme qui a suscité tant d’admiration et déchaîné tant de haines.
Et Henri Godard n’est pas toujours tendre avec Céline. Au-delà même de son antisémitisme, l’auteur reproche à l’écrivain ses contradictions, ses petits arrangements avec la vérité. Le mythe qu’il a bâti autour de son enfance , ses rapports avec ses parents, le harcèlement et la haine dont il affirme faire l’objet, témoin de sa paranoïa maladive. L’auteur n’hésite pas à pointer les carences scientifiques de sa thèse, et le plagiat éhonté dans ses pamphlets d’articles antisémites eux-mêmes plagiés d’œuvres pseudo-scientifiques. Godard démonte méticuleusement les affirmations parfois tardives de Céline : il montre, correspondance à l’appui, à quel point le jeune Destouches était choyé sinon surprotégé par ses parents, qui mandataient, encore pendant son service militaire, ses supérieurs pour leur écrire des lettres les informant de sa santé physique et mentale. Les Destouches se sont saignés aux quatre veines pour payer à leur fils unique les séjours à l’étranger nécessaires à ses études. Louis Destouches est alors un jeune homme docile, soucieux dans ses lettres de satisfaire ses parents. Nous sommes loin du publiciste antijuif enragé des années 1930, et Godard est inspiré de nous montrer le Louis d’alors, le Louis qui aurait pu reprendre le commerce maternel et ne jamais devenir Céline.
Le tournant de la guerre
1914 va tout bouleverser. Louis Destouches est mobilisé, appelé à se battre contre l’ennemi d’Outre-Rhin. Dans les tranchées, l’écrivain connaît l’infernal ballet des mitraillettes et des obus, et rencontre, abasourdi, le côté le plus sombre de la nature humaine. Henri Godard interroge le patriotisme forcené que Destouches montre dans sa correspondance : faut-il y voir un patriotisme de circonstance où les prémices d’un nationalisme raciste dont Céline se fera l’apôtre ? Volontaire pour une mission dangereuse, Destouches en revient grièvement blessé, et est éloigné du front jusqu’à la fin de la guerre. Le jeune homme n’est pas encore devenu Céline, mais il n’est plus vraiment lui-même. Fataliste, il est persuadé que la guerre est amenée à se répéter de façon cyclique et inexorable. Choqué, il n’en tire pas moins les honneurs auxquels il peut prétendre, la reconnaissance de ses pairs, de sa famille, de son entourage qui font de lui un héros de guerre. Ce sentiment d’avoir vécu le pire et d’en avoir triomphé ne quittera plus le Céline écrivain, qui jouera, jusqu’à la fin de son statut de rescapé-éclopé, de sage qui sait car il a vu.
En 1915, Louis Destouches quitte la France pour Londres, où il fera l’apprentissage des bandes de copains et d’une certaine forme de débauche. Henri Godard souligne avec finesse ce changement abrupt dans la vie du jeune homme, premier pavé sur le chemin de sa nouvelle identité. De petit garçon obéissant et jeune soldat capricieux, Louis Destouches est devenu un homme porté sur les femmes et les distractions, au caractère affirmé. Henri Godard utilise abondamment la correspondance de Céline, qui restera conséquente jusqu’à la fin de sa vie, pour étayer son propos. Hygiéniste à la Société des nations, il écrit des lettres d’une grande familiarité à son supérieur hiérarchique, distillant son avis acerbe sur ses collègues . On sent déjà poindre la plume si particulière de l’écrivain, dix ans avant la rédaction de Voyage.
Le tournant antisémite
1936 marque un deuxième palier, plus sensible encore dans la vie de l’écrivain. Henri Godard y consacre un chapitre entier. Le Front populaire et la montée du fascisme en Europe créent un climat délétère où les mouvements d’extrême droite s’en prennent de la façon la plus virulente qui soit à la gauche et aux Juifs, boucs émissaires désignés. Céline a connu un succès notable avec Voyage au bout de la nuit, succès polémique qui attendait d’être confirmé avec le deuxième roman de l’auteur : Mort à crédit. Ce dernier, publié en 1936, n’obtiendra pas les suffrages escomptés. Pour Henri Godard, l’actualité politique et le racisme ambiant vont s’ajouter à la violente déception de l’écrivain, et révélé sa haine envers les Juifs. Peut-on expliquer cette poussée antisémite uniquement par le revers littéraire essuyé par Céline ? Probablement pas, et ce n’est pas le propos de Godard. L’auteur insiste à maintes reprises sur l’antisémitisme latent de Céline, antisémitisme daté et partagé alors par une majorité de Français sans créer de volonté de nuire aux Juifs pour autant. Il rappelle également que Céline a fait son éducation notamment littéraire seul, en lisant des revues de jeunesse, dans lesquelles les présupposés racistes étaient légion. Autant d’éléments qui peuvent éclairer le déchaînement soudain de Destouches envers les Juifs, mais ne peuvent se comprendre qu’à la lueur de son caractère.
C’est ce qu’Henri Godard s’attache à montrer dans son ouvrage : Céline était un génie littéraire, mais un homme complexe, perclus de paradoxes, écartelé entre paranoïa et mégalomanie. Un caractère difficile, que l’on approche bribe par bribe, au gré des chapitres et des morceaux choisis par Godard de sa correspondance. On découvre un Céline persuadé que le monde entier , lui en veut et lui fera, un jour, payer ses écrits. Une idée fixe que l’écrivain développe alors même qu’il n’a pas commencé sa carrière de pamphlétiste . Au fil des pages, la figure d’un Céline sûr de son talent et de son apport à la littérature se confirme également. Sa correspondance avec son éditeur, Denoël en atteste : Céline refuse que soit changée la “moindre virgule”, et lorsque l’éditeur lui demande de réécrire quelques passages, jugés obscènes, de Mort à crédit, Céline préfère laisser des blancs. Dans ses correspondances, l’écrivain s’offusque également de ne pas recevoir de récompense littéraire, ce qui alimente encore sa paranoïa et lui fait dire que le monde de la critique est, évidemment, dominé par les Juifs. Sûr de lui, Céline refuse de se mettre au niveau de ses lecteurs, de leurs attentes. Une surdité qui explique, selon Godard, le peu d’écho qu’aura Mort à crédit en 1936 .
Que garder de Céline ?
Comment se situer aujourd’hui dans la “polémique Céline”, relancée par les cinquante ans de sa mort et son exclusion de la liste des célébrations nationales pour 2011 ? Difficile pour un célinien tel que Godard de ne pas prendre parti. Pourtant, l’auteur y parvient, avec une fois de plus, beaucoup de finesse. Henri Godard a pris la décision de ne pas reproduire de passages des pamphlets de Céline , mais, pour illustrer l’antisémitisme virulent de l’écrivain, de publier quelques-uns des passages de ses lettres les plus violentes. La vie de Louis Destouches a copieusement servi l’œuvre de Céline, qui puisera, jusqu’à la fin, dans ses souvenirs pour écrire ses romans : on ne peut comprendre Céline sans embrasser toute son œuvre. Henri Godard est ainsi persuadé que les pamphlets seront un jour réédités, avec des notes et explications, car pour lui, l’atrocité de leur contenu ne doit pas masquer l’apport essentiel qu’ils offrent à la compréhension de l’écrivain, en tant qu’homme, mais également en tant qu’artiste. Et Godard de souligner que le travail minutieux et perfectionniste de Céline pour ses romans se transforme en logorrhée incontrôlable dans les pamphlets, sans rien pour autant gâcher du verbe . Mais pour l’auteur, Céline n’est pas que l’infâme antisémite et l’écrivain de talent. Un des grands apports de cette biographie est également de nous faire découvrir un Céline passionné de musique et de danse, qui tentera, à plusieurs reprises de publier des arguments de ballets et des légendes.
L’œuvre de Céline est absolument indissociable de ce qu’il est intrinsèquement. Céline n’est pas qu’un nom d’emprunt, il est ce que Louis Destouches est devenu, pour le pire comme pour le meilleur. L’écrivain le sait et ne renie aucun de ses écrits. Pis, il se joue des critiques, et utilise, sans sourciller, sa fuite en Allemagne et son passage à Sigmaringen pour alimenter le premier roman de sa dernière trilogie, D’un château l’autre, conscient que parler de sa fuite collaborationniste au début des années 1950 fera scandale. Mais Céline ne craint pas le scandale. Il l’a cherché toute sa vie, a provoqué polémiques et disputes aves ses confrères, n’a jamais hésité à donner son avis, plus fort, plus violemment, toujours, que les autres. Louis Destouches mourra Céline, épuisé, jamais vraiment remis de ses années danoises. Céline mourra antisémite, ruiné, mais jamais vraiment ébranlé dans ses certitudes. Ca s’est terminé comme ça.
Clémence ARTUR
Nonfiction.fr, 29/08/2011.
Article extrait du dossier sur Céline de Nonfiction.fr, coordonné par Alexandre Maujean.
>>> Henri Godard, Céline, Gallimard, 2011.
Commande possible sur Amazon.fr.
Comment en est-il arrivé là ? C’est la question que pose Henri Godard dans l’imposante biographie qu’il fait paraître chez Gallimard. Imposante mais loin d’être indigeste. Toute la force de Godard est là : ces quelque 580 pages ne racontent pas Céline. Elles l’analysent, le sondent, l’expliquent dans la mesure du possible. Comment Louis Destouches, le petit garçon obéissant promis au même avenir de petit commerçant que ses parents en vient-il à écrire le plus perturbant des romans de la première moitié du XXe siècle ? Comment ce médecin attaché à éduquer les classes populaires à l’hygiène et à soigner gratuitement les plus démunis en est-il venu à nourrir les idées les plus atroces à l’endroit des juifs et à produire les pamphlets de la violence que l’on sait ?
Déchiffrer Destouches
Pour tenter de répondre à ces questions, Henri Godard ne garde de la vie de Céline que l’essentiel, ce qui explique son cheminement littéraire et humain, plus imbriqué chez lui que chez n’importe quel auteur. Godard ne s’embarrasse pas des détails, il oublie le superflu, ce qui, dans la vie de Destouches n’a pas mené à Céline, ce qui, dans la vie de Céline, n’a pas mené à grand-chose. Sa première femme, sa fille, ses relations stériles, son travail journalier, son quotidien sclérosant. Il ne conserve que ce qui fournit des bribes d’explication, des pistes parfois floues, souvent entremêlées, pour comprendre qui était cet homme qui a suscité tant d’admiration et déchaîné tant de haines.
Et Henri Godard n’est pas toujours tendre avec Céline. Au-delà même de son antisémitisme, l’auteur reproche à l’écrivain ses contradictions, ses petits arrangements avec la vérité. Le mythe qu’il a bâti autour de son enfance , ses rapports avec ses parents, le harcèlement et la haine dont il affirme faire l’objet, témoin de sa paranoïa maladive. L’auteur n’hésite pas à pointer les carences scientifiques de sa thèse, et le plagiat éhonté dans ses pamphlets d’articles antisémites eux-mêmes plagiés d’œuvres pseudo-scientifiques. Godard démonte méticuleusement les affirmations parfois tardives de Céline : il montre, correspondance à l’appui, à quel point le jeune Destouches était choyé sinon surprotégé par ses parents, qui mandataient, encore pendant son service militaire, ses supérieurs pour leur écrire des lettres les informant de sa santé physique et mentale. Les Destouches se sont saignés aux quatre veines pour payer à leur fils unique les séjours à l’étranger nécessaires à ses études. Louis Destouches est alors un jeune homme docile, soucieux dans ses lettres de satisfaire ses parents. Nous sommes loin du publiciste antijuif enragé des années 1930, et Godard est inspiré de nous montrer le Louis d’alors, le Louis qui aurait pu reprendre le commerce maternel et ne jamais devenir Céline.
Le tournant de la guerre
1914 va tout bouleverser. Louis Destouches est mobilisé, appelé à se battre contre l’ennemi d’Outre-Rhin. Dans les tranchées, l’écrivain connaît l’infernal ballet des mitraillettes et des obus, et rencontre, abasourdi, le côté le plus sombre de la nature humaine. Henri Godard interroge le patriotisme forcené que Destouches montre dans sa correspondance : faut-il y voir un patriotisme de circonstance où les prémices d’un nationalisme raciste dont Céline se fera l’apôtre ? Volontaire pour une mission dangereuse, Destouches en revient grièvement blessé, et est éloigné du front jusqu’à la fin de la guerre. Le jeune homme n’est pas encore devenu Céline, mais il n’est plus vraiment lui-même. Fataliste, il est persuadé que la guerre est amenée à se répéter de façon cyclique et inexorable. Choqué, il n’en tire pas moins les honneurs auxquels il peut prétendre, la reconnaissance de ses pairs, de sa famille, de son entourage qui font de lui un héros de guerre. Ce sentiment d’avoir vécu le pire et d’en avoir triomphé ne quittera plus le Céline écrivain, qui jouera, jusqu’à la fin de son statut de rescapé-éclopé, de sage qui sait car il a vu.
En 1915, Louis Destouches quitte la France pour Londres, où il fera l’apprentissage des bandes de copains et d’une certaine forme de débauche. Henri Godard souligne avec finesse ce changement abrupt dans la vie du jeune homme, premier pavé sur le chemin de sa nouvelle identité. De petit garçon obéissant et jeune soldat capricieux, Louis Destouches est devenu un homme porté sur les femmes et les distractions, au caractère affirmé. Henri Godard utilise abondamment la correspondance de Céline, qui restera conséquente jusqu’à la fin de sa vie, pour étayer son propos. Hygiéniste à la Société des nations, il écrit des lettres d’une grande familiarité à son supérieur hiérarchique, distillant son avis acerbe sur ses collègues . On sent déjà poindre la plume si particulière de l’écrivain, dix ans avant la rédaction de Voyage.
Le tournant antisémite
1936 marque un deuxième palier, plus sensible encore dans la vie de l’écrivain. Henri Godard y consacre un chapitre entier. Le Front populaire et la montée du fascisme en Europe créent un climat délétère où les mouvements d’extrême droite s’en prennent de la façon la plus virulente qui soit à la gauche et aux Juifs, boucs émissaires désignés. Céline a connu un succès notable avec Voyage au bout de la nuit, succès polémique qui attendait d’être confirmé avec le deuxième roman de l’auteur : Mort à crédit. Ce dernier, publié en 1936, n’obtiendra pas les suffrages escomptés. Pour Henri Godard, l’actualité politique et le racisme ambiant vont s’ajouter à la violente déception de l’écrivain, et révélé sa haine envers les Juifs. Peut-on expliquer cette poussée antisémite uniquement par le revers littéraire essuyé par Céline ? Probablement pas, et ce n’est pas le propos de Godard. L’auteur insiste à maintes reprises sur l’antisémitisme latent de Céline, antisémitisme daté et partagé alors par une majorité de Français sans créer de volonté de nuire aux Juifs pour autant. Il rappelle également que Céline a fait son éducation notamment littéraire seul, en lisant des revues de jeunesse, dans lesquelles les présupposés racistes étaient légion. Autant d’éléments qui peuvent éclairer le déchaînement soudain de Destouches envers les Juifs, mais ne peuvent se comprendre qu’à la lueur de son caractère.
C’est ce qu’Henri Godard s’attache à montrer dans son ouvrage : Céline était un génie littéraire, mais un homme complexe, perclus de paradoxes, écartelé entre paranoïa et mégalomanie. Un caractère difficile, que l’on approche bribe par bribe, au gré des chapitres et des morceaux choisis par Godard de sa correspondance. On découvre un Céline persuadé que le monde entier , lui en veut et lui fera, un jour, payer ses écrits. Une idée fixe que l’écrivain développe alors même qu’il n’a pas commencé sa carrière de pamphlétiste . Au fil des pages, la figure d’un Céline sûr de son talent et de son apport à la littérature se confirme également. Sa correspondance avec son éditeur, Denoël en atteste : Céline refuse que soit changée la “moindre virgule”, et lorsque l’éditeur lui demande de réécrire quelques passages, jugés obscènes, de Mort à crédit, Céline préfère laisser des blancs. Dans ses correspondances, l’écrivain s’offusque également de ne pas recevoir de récompense littéraire, ce qui alimente encore sa paranoïa et lui fait dire que le monde de la critique est, évidemment, dominé par les Juifs. Sûr de lui, Céline refuse de se mettre au niveau de ses lecteurs, de leurs attentes. Une surdité qui explique, selon Godard, le peu d’écho qu’aura Mort à crédit en 1936 .
Que garder de Céline ?
Comment se situer aujourd’hui dans la “polémique Céline”, relancée par les cinquante ans de sa mort et son exclusion de la liste des célébrations nationales pour 2011 ? Difficile pour un célinien tel que Godard de ne pas prendre parti. Pourtant, l’auteur y parvient, avec une fois de plus, beaucoup de finesse. Henri Godard a pris la décision de ne pas reproduire de passages des pamphlets de Céline , mais, pour illustrer l’antisémitisme virulent de l’écrivain, de publier quelques-uns des passages de ses lettres les plus violentes. La vie de Louis Destouches a copieusement servi l’œuvre de Céline, qui puisera, jusqu’à la fin, dans ses souvenirs pour écrire ses romans : on ne peut comprendre Céline sans embrasser toute son œuvre. Henri Godard est ainsi persuadé que les pamphlets seront un jour réédités, avec des notes et explications, car pour lui, l’atrocité de leur contenu ne doit pas masquer l’apport essentiel qu’ils offrent à la compréhension de l’écrivain, en tant qu’homme, mais également en tant qu’artiste. Et Godard de souligner que le travail minutieux et perfectionniste de Céline pour ses romans se transforme en logorrhée incontrôlable dans les pamphlets, sans rien pour autant gâcher du verbe . Mais pour l’auteur, Céline n’est pas que l’infâme antisémite et l’écrivain de talent. Un des grands apports de cette biographie est également de nous faire découvrir un Céline passionné de musique et de danse, qui tentera, à plusieurs reprises de publier des arguments de ballets et des légendes.
L’œuvre de Céline est absolument indissociable de ce qu’il est intrinsèquement. Céline n’est pas qu’un nom d’emprunt, il est ce que Louis Destouches est devenu, pour le pire comme pour le meilleur. L’écrivain le sait et ne renie aucun de ses écrits. Pis, il se joue des critiques, et utilise, sans sourciller, sa fuite en Allemagne et son passage à Sigmaringen pour alimenter le premier roman de sa dernière trilogie, D’un château l’autre, conscient que parler de sa fuite collaborationniste au début des années 1950 fera scandale. Mais Céline ne craint pas le scandale. Il l’a cherché toute sa vie, a provoqué polémiques et disputes aves ses confrères, n’a jamais hésité à donner son avis, plus fort, plus violemment, toujours, que les autres. Louis Destouches mourra Céline, épuisé, jamais vraiment remis de ses années danoises. Céline mourra antisémite, ruiné, mais jamais vraiment ébranlé dans ses certitudes. Ca s’est terminé comme ça.
Clémence ARTUR
Nonfiction.fr, 29/08/2011.
Article extrait du dossier sur Céline de Nonfiction.fr, coordonné par Alexandre Maujean.
>>> Henri Godard, Céline, Gallimard, 2011.
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