jeudi 11 août 2011

Ils ont connu Céline : L'Abbé Mugnier

18 janvier [1933] - Hier déjeuné chez les Descaves avec leur fils Max, Céline et sa mère, le peintre Vlaminck.

Céline fut tout de suite simple, gentil, bon enfant avec moi. Je lui dis que certains mystiques avaient parfois le langage très raide. Il ajouta que les vieux prédicateurs leur ressemblaient sous ce rapport. Ce fut à table un véritable feu... et fumée d'artifices. Céline parle facilement, tumultueusement, on sent le peuple, gamin. Il mime bien ses personnages, les fait parler avec toutes les répétitions nécessaires et beaucoup de hein. Il n'épargna pas mes oreilles de prêtre : pognon, couillon, putain, carne, truc, vache ; les verbes : enfiler, emmerder, bouffer, coucher avec, se succédaient. Il a été à Berlin et nous dit que le peuple allemand est anarchique. Il est impossible qu'il fasse la guerre en ce moment. Il a peur des communistes et cette peur nous protège contre la guerre. Il a été à Breslau, ville de charbon dont il nous a fait une affreuse peinture. Il y a été, dit-il, avec une copine (car c'est son habitude, dit-il). Un Moyen-Âge horrible. Vlaminck lui a demandé s'il continuerait à écrire sur les sujets qu'il traite, il a répondu qu'il restera dans le milieu dont il a décrit toutes les horreurs. Il croirait déserter s'il en était autrement, il a besoin de ce milieu-là pour penser. Vlaminck lui a demandé pourquoi il n'avait pas tiré une leçon de ce qu'il avait vu et décrit, à quoi Céline lui a répondu : « on ne livre pas son secret, c'est à chacun de tirer la leçon. C'est comme un tableau.» Il aime Breughel, en a parlé à plusieurs reprises. Il en a vu d'admirables à Vienne, des fêtes paysannes, un garçon qui coupe une miche... il nous a dit l'ignominie du peuple qu'il connaît, plus vicieux encore que les gens de la société, il est pire dans ses excès. [...] J'ai fait signer deux exemplaires du Voyage au bout de la nuit. Céline s'y prête avec très bonne grâce, sur la table de la salle à manger, le premier destiné à la comtesse de Castries, le second pour moi avec ces mots : « AM. le Chanoine Mugnier, notre compagnon d'infini, bien amicalement et respectueusement

Journal (1879-1939), de l'Abbé Mugnier, éd. Mercure de France, 1985.
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Biographie
Arthur Mugnier, plus connu sous le nom d’abbé Mugnier, né en 1853 à Lubersac et mort le 1er mars 1944, est un prêtre catholique connu pour avoir participé à la vie mondaine et littéraire parisienne. Après des études au Petit Séminaire de Nogent-le-Rotrou, Arthur Mugnier poursuit sa formation à Paris, au séminaire de Saint-Sulpice. Fervent lecteur de Chateaubriand et se déclarant nostalgique de l'Ancien Régime, tout en étant partisan de la messe en français une fois ordonné prêtre et nommé vicaire à la paroisse sainte Clotilde (VIIe arrondissement de Paris), Arthur Mugnier devient le directeur spirituel du Tout-Paris intellectuel et mondain plusieurs décennies durant. Il est admiré et estimé par Proust, Morand ou Valéry. Parmi d'autres, il ramène Huysmans à la foi catholique. Connu pour son allure de curé de campagne, avec sa soutane élimée et ses souliers à bout carré, réputé pour ses bons mots et ses répliques à l'emporte-pièce, il a tenu du 16 juin 1879 au 27 novembre 1939 (il est mort cinq ans plus tard) un Journal de sa vie sacerdotale et mondaine, qui est aussi un document de l'histoire littéraire française. Source Wikipédia

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