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Longtemps directeur de Libération, Serge July lui a rendu cet hommage : « Sartre était le parrain de Libération. Je suis de la génération élevée dans l'existentialisme, mais pour le style du journal, qui s'est démarqué de celui des autres journaux, il faut remonter à Céline, car c'est lui qui a écrit pour le peuple, qui a écrit en langage parlé. C'est lui le premier, c'est lui la révolution.»
Céline a su transposer le langage parlé dans l'écrit. Ce qui n'est pas à la portée de tout le monde tellement c'est difficile. Sa façon d'écrire a bouleversé la littérature. Pour toujours.
Témoignage de Simone de Beauvoir dans La Force de l'âge : «Le livre français qui compta le plus pour nous en 1932, ce fut le Voyage au bout de la nuit de Céline. Sartre et moi en savions par coeur un tas de passages. Son anarchisme nous semblait proche du nôtre. Il s'attaquait à la guerre, au colonialisme, à la médiocrité, aux lieux communs, à la société, dans un style, sur un ton qui nous enchantaient. Céline avait forgé un instrument nouveau : une écriture aussi vivante que la parole. Sartre en prit de la graine. Il abandonna définitivement le langage gourmé dont il usait.»
Sartre a dit qu'il aurait aimé écrire le Voyage. On ne lit pas les romans de Céline, mais on les vit. Avec ses tripes. Deux d'entre eux se démarquent : Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit. Le chef-d'oeuvre, à mon avis, c'est Mort à crédit et ses nombreux points de suspension. Faisant du texte une dentelle. Le premier d'une trilogie avec Casse-pipe et Guignol's band. Pour d'autres, son livre majeur est Féerie pour une autre fois.
Dans le cadre des Célébrations nationales 2011, un bric-à-brac commémoratif à la française, les organisateurs avaient retenu le nom de Céline. En janvier, l'implacable chasseur de nazis Serge Klarsfeld exigea le « retrait immédiat » de Céline. Avec un courage et une autorité dont on ne le soupçonnait pas, le ministre Frédéric Mitterrand rétropédala : « Après mûre réflexion, et non sous le coup de l'émotion, j'ai décidé de ne pas faire figurer Céline dans les Célébrations nationales. C'est une inflexion que j'assume pleinement.» La raison du charivari ? Céline a éructé des pamphlets violents, abjects, nauséabonds, dans lesquels il donnait libre cours à son racisme et à son antisémitisme : Bagatelle pour un massacre en 1937, L'École des cadavres en 1938 et Les Beaux Draps en 1940. La légende veut que ces livres soient interdits de publication. C'est faux. En 1957, Céline faisait cette confidence au journaliste suisse Albert Zbinden : « Je ne renie rien du tout... je ne change pas d'opinion du tout... j'émets simplement un petit doute, mais il faudrait qu'on me prouve que je me suis trompé, et pas moi que j'ai raison.» Ces trois livres n'ont jamais été réédités. Et la succession de Céline s'y refuse obstinément.
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Didier FESSOU
Le Soleil, 7/8/2011.
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