vendredi 30 septembre 2011

Céline et la question du patrimoine par Rémi Astruc

Quand la municipalité de Meudon inaugurera-t-elle le square Louis-Ferdinand Céline sur les hauteurs de sa commune ? C'est la question qu'a soulevé Rémi Astruc lors du colloque "Figures et lieux patrimoniaux en questions" le jeudi 8 septembre 2011 en l'Abbaye de Maubuisson (Val d'Oise). Voici le texte de son intervention :

Quand la municipalité de Meudon inaugurera-t-elle le square Louis-Ferdinand-Céline sur les hauteurs de sa commune ? Cette question quelque peu provocatrice ne peut se comprendre que si l’on se rappelle que Céline habita pendant dix ans, de son retour d’exil et de prison au Danemark en 1951 jusqu’à sa mort en 1961, un petit pavillon qui surplombe la vallée de la Seine, sur la commune de Meudon. C’est dans cette demeure que le docteur Destouches, entouré de sa compagne et de leurs nombreux animaux, passa donc les dernières années de sa vie et écrivit ses derniers romans, ce qui n’est pas rien. Si elle est bien provocatrice, c’est parce qu’elle met l’accent sur une impossibilité étonnante. Il est bien évident aujourd’hui en effet que cette inauguration d’un « lieu Céline » n’est pas de l’ordre du possible, quand bien même cet auteur est considéré comme l’un des plus grands romanciers français du XXe siècle, sans doute le plus grand avec Proust : Meudon ne peut célébrer son illustre habitant.

La récente polémique qui a entouré la commémoration annoncée puis annulée du cinquantenaire de la mort de l’écrivain n’a fait de ce point de vue que confirmer ce que l’on savait déjà et depuis longtemps. Il n’y aura pas, et avant longtemps, de plaque au nom de Céline dans un square à Meudon, pas plus qu’il n’a été jusqu’ici possible d’en inaugurer une rue Lepic, à Montmartre (où vécut Céline avant la guerre), ou à Genève (où il travailla pour la SDN), pas plus que la maison de Meudon n’a d’ailleurs pu faire l’objet d’une quelconque protection au nom de son caractère « patrimonial ». Chaque fois une intervention bien placée a fait capoter les tentatives que l’on croyait sur le point d’aboutir. C’en est presque comique et à l’étranger on s’étonne bien de ces péripéties un peu ridicules des Français.

« L’affaire » du cinquantenaire raté, dernier épisode en date de ce feuilleton tragi-comique, nous permet d’éclairer cette impossible patrimonialisation de tout ce qui touche à l’écrivain. Elle nous servira en particulier à passer en revue les divers arguments en faveur ou opposés à la patrimonialisation qui ont été avancés. Si cela ne nous conduira pas à trancher sur le fond (ce n’est pas notre but), cela nous permettra en revanche de tirer quelques enseignements précieux sur ce « patrimoine » dont on écarte Céline et peut-être aussi sur la littérature dans ses rapports conflictuels à l’espace public.


« L’affaire » du cinquantenaire raté
Comme chaque année, en 2010 un comité d’experts désignés par le ministère de la culture fut constitué pour proposer les personnalités à célébrer officiellement l’année suivante, à l’occasion de l’anniversaire de leur naissance ou de leur mort. Celui-ci choisit d’inscrire Céline, mort il y a 50 ans, dans le recueil des célébrations pour 2011 aux côtés notamment de Blaise Cendrars, Franz Liszt, André Leroi-Gourhan ou encore de Georges Pompidou. Pour chacun, une notice biographique est réalisée ce qui donne lieu à un volumineux recueil dont la publication et présentation par le ministre marque le début des commémorations. Dans le cas de Céline, ce fut le très respecté Henri Godard, professeur à la Sorbonne, excellent connaisseur de l’homme et de l’œuvre, éditeur de l’œuvre dans la collection de la Pléiade de Gallimard et auteurs de plusieurs ouvrages de critique et de biographies de l’auteur qui fut mandaté.

Très consciencieusement et même courageusement, Henri Godard posait d’emblée dans cette notice le problème de la légitimité de l’entreprise. Il s’interrogeait sur le bien-fondé de la démarche qu’il était en train de réaliser à la demande de l’Etat : « doit-on, peut-on célébrer Céline ? » écrivait-il en référence à un homme notoirement marqué du sceau de la collaboration et dont l'antisémitisme féroce n’est un secret pour personne (trois de ses pamphlets, parus au début et pendant la guerre, non réédités à ce jour, sont de véritables incitations au meurtre et à la haine raciale). Henri Godard connaissait bien le problème puisque lui-même, dans une biographie consacrée à l’écrivain quelques années plus tôt, Céline scandale (1) , avait affirmé que l’écrivain s’était mis en marge de toute célébration officielle. Mais, patenté comme il l’était cette fois par la République, il finissait par conclure dans la notice : non, bien sûr, si c’est pour distinguer l’homme, mais oui, si c’est pour saluer son œuvre littéraire (2).

Tout cela était cependant sans compter l’intervention de Serge Klarsfeld qui, au nom de l’association des Fils et Filles de Déportés juifs de France, la veille de la présentation officielle du recueil des célébrations par le ministre de la culture (lequel avait d’ailleurs préfacé l’ouvrage et félicité au passage ses rédacteurs), s’indigna de ce que le nom de Céline figurât au programme et demanda dans une lettre ouverte le retrait immédiat de celui-ci. La lettre au ministre de la culture s’autorisait même un parallèle saisissant, arguant que Frédéric Mitterrand ne devait pas être autorisé à célébrer Céline, de même que son oncle alors président (François Mitterrand) avait été empêché en son temps de fleurir la tombe du maréchal Pétain.

Frédéric Mitterrand, qui n’en était pas à ses premières maladresses en tant que ministre de la culture, annonça le lendemain de cette requête avoir bien réfléchi à la question et ordonna le retrait du document litigieux. Dans la presse, il expliquait : "déposer une gerbe aux pieds de Céline au nom des valeurs de la République, pour l'instant, et pour toujours je crois, ce n'est pas possible."(3) De là allait naître véritablement la polémique qui les semaines suivantes allait enflammer la presse en tournant à l’affrontement idéologique : les uns s’émurent vivement de ce qu’il s’agissait selon eux d’une reculade honteuse de la part du ministre devant un homme et son groupe de pression, tandis que les autres saluèrent au contraire une décision courageuse et salutaire. Quoi qu’il en soit, une telle polémique révèle surtout l’existence de malentendus importants dans la sphère publique, notamment sur l’existence et le poids des valeurs au sein de la littérature (soit des divergences et incompréhensions portant sur la question de la séparation de l’esthétique et de l’éthique) ainsi que sur la l’existence ou même la possibilité, voire l’opportunité, d’une « censure » en démocratie.


Les arguments en faveur ou opposés à la patrimonialisation de Céline et de son œuvre
Avant d’entrer dans le détail des arguments des uns et des autres dans cette affaire, il paraît essentiel de rappeler que tout le monde s’accorde dans cette polémique sur le fait que Céline était véritablement et profondément antisémite. La question est plutôt : cela justifie-t-il qu’il soit ignoré voire oublié par la Nation française et par les Français, en tant qu’écrivain. Le fond du problème repose en effet sur ce qu’il est désormais banal de nommer le « mystère » Céline, lequel s’énonce dans cette interrogation qui a nécessairement hanté tout lecteur de ses romans : comment un antisémite aussi forcené peut-il avoir été un écrivain aussi génial ? Question que l’on peut trouver au fond un peu absurde puisque seule la réalité compte : Céline a existé, et il a manifestement été à la fois et en même temps un écrivain génial et un scélérat.

Justement, les arguments des tenants de l’annulation des célébrations tournent principalement autour de cette évidence que c’est bien le même homme qui est l’auteur des pamphlets et des grands romans qui ont bouleversé la littérature française. On ne peut séparer, disent-ils, l’homme de l’œuvre et la pensée nauséabonde de l’antisémite est déjà en germe dans ses premiers romans et notamment dans Voyage au bout de la nuit. Serge Klarsfeld lui-même déclarait: "un artiste est un tout : on ne peut pas découper Céline. Son antisémitisme le discrédite en tant qu'homme et en tant qu'écrivain". Et ceux qui pensent le contraire se livrent à un tour de passe-passe qui n’est pas défendable comme le soulignait Frédérique Leichter-Flack qui passait en revue les principaux modèles de raisonnement fallacieux : « Choisissez donc votre Céline, puis votre argumentaire pour passer outre l'abjection : le modèle "docteur Jekyll et Mr Hide" vous suggère de distinguer la partie honorable de l'œuvre (les romans) et la partie indigne (les pamphlets antisémites, d'ailleurs censurés) ; le modèle "Faust" vous invite plutôt à défendre la valeur intrinsèque de la création littéraire, libérée de toute norme morale ou de tout jugement politique. »(5) Or il est vrai que ce sont là des positions intellectuellement intenables : le salaud cohabite avec le génie et il serait donc absolument impossible pour cette raison d’absoudre Céline.

Parmi les voix qui se sont élevées pour critiquer l’annulation des célébrations, on s’est surtout ému, comme David Alliot, de « l’indignation à géométrie variable » dont font une nouvelle fois preuve les politiques et l’on rappelle avec quelle légèreté on célébrait hier des amitiés solides avec le colonel Kadhafi ou la famille Ben Ali alors qu’on jette aux oubliettes un écrivain de la trempe de Céline en s’indignant de ses idées. Et de rappeler que s’il faut purger le panthéon national de toutes ses personnalités compromises dans des idées douteuses, il faudrait commencer par bannir les très antisémites ou racistes Voltaire, Gide, Genêt, Jules Ferry, Louise Michel sans oublier ceux qui se sont largement compromis dans le soutien à la barbarie stalinienne comme Aragon et Sartre. On fait également remarquer que Céline a payé pour ses idées (il a fait de la prison, il a été déchu de sa nationalité française) et qu’il a aussi été réhabilité. C’est pourquoi un député comme Paul Giaccobi a pu s’attrister du fait que « la France de la censure, de la lâcheté a marqué un point, celle du courage, des batailles culturelles, de la liberté et de l'intelligence a reculé. » (6)

Là encore, cela paraît juste. Cependant on peut se demander si, en toute rigueur, il s’agit bien effectivement de censure. La censure ressortit en pratique à un exercice de la volonté : on pourrait célébrer mais on choisit de ne pas le faire. Or ne s’agit-il pas plutôt comme nous le disions plus haut d’une impossibilité, qui ferait que l’on voudrait bien célébrer Céline mais qu’on ne le peut pas ? Cette forme d’impouvoir s’écarte alors stricto sensu de la censure pour relever plutôt du tabou, un tabou qui renverrait moins alors à l’écrivain Céline lui-même qu’à la période de Vichy, de l’Occupation et de la collaboration. C’est seulement si l’on pense à cette affaire en termes de tabou et non de censure que l’on peut comprendre le degré étonnant d’excitation et de schizophrénie qui s’est emparé du monde des Lettres et de la culture et a donné lieu à ce non-événement grotesque, très célinien si l’on y pense.

Car en fin de compte tout cela est très rodé et très prévisible comme le remarquait ironiquement Constance Debré dans les pages du Monde : « Comme chacun, dans cette affaire de commémoration ratée, a bien tenu son rôle : les adversaires institutionnels de l'antisémitisme se sont offusqués (Céline est antisémite), les représentants des Lettres se sont attristés (Céline est un grand écrivain), l'État a hésité (un grand écrivain, c'est bien, mais un antisémite, c'est mal) et a finalement renoncé : (pas d'embrouilles). » On mesure en effet la pertinence des constructions juridiques car si en effet l’État français est une « personnalité morale », elle semble en l’occurrence dotée d’une psychologie très commune parmi les humains et d’une forte tendance, comme ici, à refouler tout ce qui peut être générateur de conflit et d’ennuis.

Il y avait pourtant, dans la notice rédigée par Henri Godard et qui a été envoyée au pilon par la décision du ministre, des éléments bien intéressants pour comprendre notre époque et sa relation malcommode et douloureuse aux écrits de Céline. Celui-ci avait cru pouvoir annoncer une étape nouvelle dans les relations entre la société civile et la littérature :" la création artistique, écrivait-il, est devenue une valeur que nous reconnaissons, même là où elle ne coïncide pas avec nos valeurs morales, voire les contredit." Or c’est bien cette entente improbable qui a été violemment démentie par cette affaire et c’est parce que ces noces de la littérature et de la politique ont été manquées qu’on a pu confondre la célébration d’une œuvre digne de rester dans nos mémoires nationales avec l’encensement d’un homme qui, cela va de soi, ne pouvait en aucun cas incarner les valeurs de la République. C’est cette conception angélique de la politique (et de la littérature) qui a été envoyée au pilon en même temps que le recueil destiné à présenter les célébrations de l’année.


Quelques enseignements sur le patrimoine
Quel est donc alors ce patrimoine dont Céline a été exclu ? La réponse s’impose aujourd’hui à la lumière de cette affaire : par nature, il s’agit d’une construction idéologique autour d’un projet fédérateur, qui a pour nom la Nation. Certainement pas un jugement esthétique, encore moins une quelconque marque de reconnaissance du talent ou du mérite littéraire. Cependant, il est bien évident que Céline est par ailleurs très largement « patrimonialisé », d’une autre manière et depuis longtemps. Son œuvre est publiée dans la plus prestigieuse des collections littéraires, celle de la « Pléiade » chez Gallimard. La Bibliothèque Nationale de France, organisme public, a acquis à grands frais beaucoup de documents et manuscrits du fonds Céline. L’œuvre du romancier est au programme des concours de formation des élites littéraires françaises (l’agrégation) depuis au moins 1974 et a été reconduite à maintes reprises et encore très récemment. Elle est ensuite l’une des œuvres françaises les plus lues dans le monde, l’une des plus traduites, et sans nul doute l’une des plus appréciées…

Il faut donc se rendre à l’évidence qu’il existe tout un patrimoine littéraire, intellectuel, artistique, culturel qui échappe au patrimoine républicain, c’est-à-dire qui n’a pas été sanctifié par lui, voire comme dans le cas de Céline qui a été déclaré « non conforme ». Ce qui se comprend si l’on garde en mémoire l’idée que le patrimoine dans sa version républicaine répond à un objectif de société, soit qu’il est en lien avec l’idée que l’on se fait de la société française. Or un « contre-patrimoine » – si l’on peut l’appeler comme cela – existe parallèlement qui s’écarte de l’idée de construction de la société, autrement dit de l’idéal d’intégration communautaire. Et Céline est loin de flotter seul dans les limbes de ce contre-patrimoine : il est même très bien entouré dans la compagnie de Sade, de Lautréamont ou, pour citer des écrivains étrangers, d’Henry Miller voire de Franz Kafka. Imaginez un peu l’effet que produirait l’inauguration d’une école primaire Henry Miller… ou d’un lycée de jeunes filles Donatien Alphonse François de Sade… C’est impossible, car, comme Céline, ce sont des figures de la singularité absolue(7) , irrécupérables collectivement, en raison principalement du fait que leur œuvre s’oppose frontalement au projet d’intégration communautaire républicain.

La preuve néanmoins que cette œuvre appartient bien à une forme de patrimonialisation parallèle, c’est qu’il existe de fait une communauté de lecteurs très importante de Céline de par le monde, lecteurs d’ailleurs aussi bien Juifs que non-Juifs, pour qui il est une référence majeure et l’un des plus grands écrivains du XXe siècle. Mais cette « communauté » n’est pas un projet politique, bien plutôt un corollaire esthétique, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’elle soit absolument détachée de toute dimension politique (il y a une dimension de « vision du monde partagée » qui réunit ces lecteurs autour des écrits de Céline, dans un culte qui passe par l’appréciation esthétique mais introduit aussi, plus largement, des postulations morales(8) ).

Je voudrais donc proposer la distinction suivante qui permettrait de faire une place aux figures contre-patrimoniales dans cette réflexion sur le patrimoine : à la différence des figures patrimoniales au sens strict, ce que Céline ne sera jamais, le romancier relève des « grandes figures symboliques » dans le sens où, comme les premières, il jouit d’une forte reconnaissance, mais que celle-ci est doublement polarisée : elle est positive en littérature, et négative en politique, à la différence des figures patrimoniales simples qui ne connaissent qu’une reconnaissance positive dans les deux domaines. Or dans le cas de Céline, c’est cette reconnaissance paradoxale qui explique nous semble-t-il les confusions dont il fait l’objet, la volonté de le patrimonialiser mais aussi l’impossibilité pratique de passer à l’acte.


Conclusion
On sait que Céline de retour en France et pour échapper aux questions qui fâchent sur son passé se réfugiait derrière une parade qui consistait à mettre l’accent sur son style et non sur ses idées. Pour ceux qui continuaient à vouloir l’interroger sur la politique, il balayait la question d’une phrase : « ces gens sont lourds ». Et il n’avait sans doute pas tout à fait tort dans le sens où il est effectivement dans la nature de la politique d’être « lourde » alors qu’on peut penser que la littérature s’efforce dans la mesure du possible d’être « légère ». Ce qui explique pourquoi l’entente entre les deux domaines paraît si difficile et que peu de grands écrivains passés aux commandes ont réussi à maintenir un peu de cette légèreté qui faisait la qualité de leur œuvre.

La lourdeur de la polémique sur la célébration de Céline est née d’une double incompréhension et d’une certaine naïveté de la part de ses acteurs principaux (en particulier F. Mitterrand) : celle d’avoir cru que la littérature était séparée du politique et pouvait être préservée de la politique parce qu’elle était précisément littérature. Or la littérature n’est pas, n’a pas vocation à être une école de vie publique, mais bien plutôt l’expression d’une pensée originale et individuelle. Ensuite, celle d’avoir cru que la sphère politique (surtout peut-être en espace démocratique) pouvait être accueillante au génie littéraire, c’est-à-dire reconnaissante de ce don sans retour qu’est l’œuvre d’art. La politique ne célèbre en effet que ce qui l’arrange, or la littérature – quand elle est de qualité – n’arrange personne en soi, elle a plutôt tendance au contraire à déranger, et c’est exactement ce que l’on attend d’elle.

C’est pourquoi, si Céline est « infréquentable », il ne faudrait pas oublier (c’est l’erreur d’Henri Godard) que la sphère politique est naturellement le monde du conflit, des pressions, des tractations, des compromissions et du consensus et que pour cela elle est à jamais infréquentable à la singularité littéraire. Comment Céline, cet asocial, cet être anti-social même puisqu’il s’est souvent présenté comme fondamentalement anarchiste, c’est-à-dire littéralement en marge des pouvoirs et les niant, aurait-il pu être récupéré par ceux-ci pour servir à leurs fins de construction de la société ? Son anarchisme qui est un individualisme radical, pas plus que son aura dans la population, ne sauraient être en mesure de servir à l’édification de l’espace commun et de la vie publique. En revanche, et c’est cela qu’il importe de reconnaître à défaut de le célébrer, ce que les œuvres de Céline ont apporté et qui se révèle fondamental pour la pensée en général est une force destructrice du social (que certains comme Julia Kristeva ont appelé « l’abject »), une force qui se révèle paradoxalement essentielle à la connaissance de cette société humaine que cherchent précisément à construire la politique et les hommes politiques.

Rémi ASTRUC


Notes
1- H. Godard, Céline scandale, Paris, Gallimard, 1994.
2- Quand il s’exprima après l’affaire, il affirma qu’il avait cru que les mentalités avaient pu entre temps changer.
3- Dépêche AFP, 22/02/2011.
4- Cité dans S. Le Fol « Affaire Céline : Klarsfeld enfonce le clou »,
Le Figaro, 20/01/2011
5- F. Leichter-Flack, «Céline : ‘le style contre les idées’ ? Méfiance ! »,
Lemonde.fr, Point de vue, 27/01/2011
6- P. Giaccobi, « Céline dévoilé »,
Lemonde.fr, 27/01/2011
7- Voir sur ce point « Figures modernes de la singularité et pensée de la communauté », notre contribution au colloque « Figures de la singularité », organisé en 2010 par Michel Kaufmann et Rolf Wintermeier, Université Paris 3-Sorbonne nouvelle, actes à paraître.
8- Il faudrait pouvoir développer ici cette idée un peu abstraite, en particulier pour préciser que cette dimension morale partagée ne fait pas des lecteurs de Céline des antisémites mais des esprits qui se sont ouverts à une certaine vision du monde qui n’a pas -- il est vrai -- exclu la possibilité de l’antisémitisme pour leur l’auteur (ainsi que bien d’autres choses) ; des lecteurs qui l’ont ressentie, c’est-à-dire éprouvée comme possibilité parmi d’autres et en ont reconnu pour ainsi dire la valeur heuristique, la richesse intrinsèque, ce qui ne veut pas dire qu’ils partagent concrètement les positionnements extrêmes auxquels elle a conduit son auteur.

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