En banlieue, c’est surtout par les tramways que la vie vous arrive le matin. Il en passait des pleins paquets avec des pleines bordées d’ahuris brinquebalant, dès le petit jour, par le boulevard Minotaure, qui descendaient vers le boulot. Les jeunes semblaient même comme contents de s’y rendre au boulot. Ils accéléraient le trafic, se crampon naient aux marchepieds, ces mignons, en rigolant. Faut voir ça. Mais quand on connaît depuis vingt ans la cabine téléphonique du bistrot, par exemple, si sale qu’on la prend toujours pour les chiottes, ! envie vous passe de plaisanter avec les choses sérieuses et avec Rancy en particulier. On se rend alors compte où qu’on vous a mis.
Les maisons vous possèdent, toutes pisseuses qu’elles sont, plates façades, leur coeur est au propriétaire. Lui on le voit jamais. Il n’oserait pas se montrer. Il envoie son gérant, la vache. On dit pourtant dans le quartier qu’il est bien aimable le proprio quand on le rencontre. a n’engage à rien. La lumière du ciel à Rancy, c’est la même qu’à Detroit, du jus de fumée qui trempe la plaine depuis Levallois. Un rebut de bâtisses tenues par des gadoues noires au sol. Les cheminées, des petites et des hautes, ça fait pareil de loin qu’au bord de la mer les gros piquets dans la vase. Là-dedans, c’est nous.
Toujours plus ou moins seul pendant les heures libres je mijotais avec des bouquins et des journaux et puis aussi avec toutes les choses que j'avais vues. Mes études une fois reprises, les examens je les ai franchis, à hue et à dia, tout en gagnant ma croûte. Elle est bien défendue la Science, je vous le dis, la Faculté, c'est une armoire bien fermée. Des pots en masse, peu de confiture. Quand j'ai eu tout de même terminé mes cinq ou six années de tribulations académiques, je l'avais mon titre, bien ronflant. Alors, j'ai été m'accrocher en banlieue, mon genre, à La Garenne-Rancy, là, dès qu'on sort de Paris, tout de suite après la porte Brancion.
On a beau faire, on a beau boire, et du rouge encore, épais comme de l'encre, le ciel reste ce qu'il est là bas, bien renfermé dessus, comme une grande mare pour les fumées de la banlieue.
L’eau venait clapoter à côté des pêcheurs et je me suis assis pour les regarder. Vraiment, je n’étais pas pressé du tout moi non plus, pas plus qu’eux. J’étais comme arrivé au moment, à l’âge peut-être, où on sait bien ce qu’on perd à chaque heure qui passe. Mais on n’a pas encore acquis la force de sagesse qu’il faudrait pour s’arrêter pile sur la route du temps et puis d’abord si on s’arrêtait on ne saurait quoi faire non plus sans cette folie d’avancer qui vous possède et qu’on admire depuis toute sa jeunesse. Déjà on en est moins fier d’elle de sa jeunesse, on ose pas encore l’avouer en public que ce n’est peut-être que cela sa jeunesse, de l’entrain à vieillir.
M.G.
Le Petit Célinien, 20 octobre 2011.
Photos Le Petit Célinien 2011
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(:
RépondreSupprimermerci pour cet article
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