2011 : l'année Céline s'achève ! Parmi les publications suscitées par le cinquantième anniversaire de son décès, une revue, Spécial Céline (1), dont l'écrivain et critique littéraire Joseph Vebret justifie ainsi la parution : « Cinquante après sa mort, survenue le 1er juillet 1961, le docteur Destouches, alias Céline, suscite encore polémique, controverse, incompréhension et rejets de toutes sortes. Et lorsque l'on voit avec quel le facilité certains sont parvenus à faire plier le gouvernement quant à la célébration de cet anniversaire, on imagine sans mal que l'écrivain est loin, très loin d'être réhabilité, même si, et personne ne le conteste, Céline est l'un des rares écrivains majeurs du vingtième siècle. Mais derrière l'oeuvre se profile le bonhomme, difficile, odieux, provocateur, sûr de son fait et conscient de son apport à la littérature. (...) L'oeuvre est encensée, mais l'homme n'est pas réhabilité pour autant. » Spécial Céline, dont la première livraison a eu lieu en juillet dernier, sous le titre Le Roman noir de Céline, « entend donc être complémentaire » des ouvrages consacrés à l'auteur de Voyage au bout de la nuit, en essayant de démêler, chez cet infréquentable, la part du génie de sa part maudite, toutes deux trop souvent inextricablement mêlées. Le premier numéro de la revue est d'ailleurs sous-titré Révélations sur un génie. « Réalisé avec la complicité de David Alliot —auteur de D'un Céline l'autre (Robert Laffont), de Céline en verve (Editions Horay) et Céline, idées reçues sur un auteur sulfureux (Le cavalier bleu) — Spécial Céline entend proposer tous les trois mois des entretiens inédits, des études, des éclairages sur la vie et l'oeuvre, des documents méconnus à découvrir ou redécouvrir et des extraits d'ouvrages parus ou à paraître. » Ce que fait, mais de façon plus intimiste, depuis trente ans, Marc Laudelout, dans son indispensable Bulletin Célinien, de parution mensuelle (2). Marc Laudelout est aussi, d'ailleurs, un collaborateur de ce Spécial Céline. Pour les infatigables déchiffreurs littéraires, le matériau romanesque, chez Céline, semble inépuisable. Reste toujours un coin à fouiller et à explorer. Quelques arpents qui réservent de nouvelles mises au jour pour la pioche minutieuse des archéologues de la geste célinienne. D'autant que Céline fut un fabuleux et prolifique épistolier. La revue de Joseph Vebret se donne donc pour tâche de scruter « les écrits périphériques mineurs qui constituent l'épistyle du gros œuvre célinien, dans lequel on pourrait notamment inclure les lettres ouvertes, les préfaces, les articles et interviews, les réponses à des enquêtes, etc. Des productions qui, bien que situées en dehors des orbes traditionnels (romans et pamphlets), sont souvent autant de ponts jetés entre l'écrivain et son public ». L'auteur de Mort à crédit, « sujet inépuisable de recherches et de questionnements ».
Un siècle meurtrier
Dans ce premier numéro, en référence à une phrase extraite de Rigodon : « Nous vivons presque sept vies de chat », David Alliot découpe l'existence patibulaire de Louis-Ferdinand Céline en sept tranches, sur volant à grande vitesse chacune d'elle, dont il saisit de façon elliptique et aérienne quelques clichés susceptibles d'enrichir, sinon de modifier, notre vision toujours changeante de l'iconographie célinienne. Et pour cause : la vie mouvementée de Céline, avant que celui-ci ne devienne, après les épreuves, l'ermite de Meudon, est tout aussi captivante que son oeuvre. « Il a été l'acteur des soubresauts de son temps, et pour certains, il y a participé. » Une fois de plus, rallumons le kaléidoscope. . .
1 - Première vie : 1894-1911. Cette tranche pourrait s'intituler : l'imprégnation. Naissance le 27 mai 1894 à Courbevoie dans une famille de la petite bourgeoisie. « Six mois après la naissance de Louis Destouches éclate l'affaire Dreyfus. Cet événement ne sera pas sans conséquences. L'ordre, l'armée, le travail et la patrie sont des valeurs de la famille Destouches. Auguste, son père, est un lecteur assidu de la presse antisémite de l'époque, et jusqu'à sa mort, en 1933, il refusera de croire en l'innocence du capitaine Dreyfus... Tousces éléments participeront à l'éducation de Louis Destouches qui baignera dans une ambiance ultra-nationaliste et antisémite. » Pas un nationalisme doctrinal, mais celui, instinctif et spontané, du petit peuple français. Un patriotisme à fleur de peau, jailli de la tripe populaire. C'est ce sentiment de colère, brut de décoffrage, non distillé dans les alambics du raisonnement universitaire, que Céline fera souffler de façon irrationnelle et tempétueuse dans ses pages les plus enfiévrées de folle colère et de fureur vengeresse. . .
2 - Deuxième vie : 1911-1931. Période formative. Mais dans une époque chaotique et singulière, où se déroule tout à la fois, de façon fracassante, la fin d'un monde et l'avènement, dans les douleurs, de l'ère industrielle. Une période hors norme sur laquelle certaines existences contemporaines semblent se calquer. Ainsi en sera-t-il de la formation du futur écrivain. En 1911 Louis Destouches, à peine dix-huit ans, « devance l'appel et s'engage pour trois ans au 12e Cuirassiers de Rambouillet. (...) Lorsqu'en 1914 éclate la Grande Guerre (...) son régiment se met rapidement en marche. (...) Les premiers mois du conflit seront éprouvants. Avancées et retraites incessantes sous le feu de l'ennemi et sous une chaleur de plomb. Pendant ces longues marches, le jeune Parisien découvre la violence de la guerre, la mort, et la triste réalité des combats. (...) En octobre, au cours d'une mission où il s'est porté volontaire, le cuirassier Destouches, blessé au bras, est renvoyé à l'arrière pour être soigné. Cet acte de bravoure lui vaudra la médaille militaire et une page entière dans L'Illustré national ». L'atrocité de cette guerre exterminatrice façonnera de façon négative la vision du monde de ce soldat à peine sorti de l'adolescence, radicalisant à l'extrême un pessimisme, sans doute inné chez lui, de la condition humaine. Une désespérance qu'il peindra toutefois avec des couleurs truculentes, d'une gaieté agressive, à la manière explosive des peintres du Fauvisme. Comme les couleurs « sorties du tube » d'un Maurice de Vlaminck, les mots de Céline visent avant tout l'affectif. L'expérience de la guerre fera égale ment de lui un pacifiste acharné. D'où, vingt ans plus tard, le combat sans merci qu'il conduira, sabre au clair, contre les boutefeux, avec une frénésie exacerbée par l'urgence du conflit à venir. Pour l'heure, dans le monde exsangue de l'après-guerre, la vie du soldat démobilisé continue de ressembler à une épopée picaresque et surprenante. Après le milieu des proxénètes de Londres (Guignols band), le voici au Cameroun, ancien ne colonie allemande tout juste reconquise par les Français, où, mêlant comme Arthur Rimbaud exotisme et mercantilisme, il vend de la bimbeloterie aux peuplades africaines pour le compte d'une compagnie commerciale. De retour en France il se fait aussitôt embaucher comme conférencier par la Fondation Rockefeller « pour sensibiliser la population bretonne aux méfaits de la tuberculose ». Ses talents d'orateurs le font vite remarquer. « A Rennes, il séduit la fille du docteur Athanase Follet, médecin influent de la Faculté de médecine. » Son futur beau-père l'oriente alors vers les études médicales. Des études expédiées au pas de charge. Dans la société meurtrie mais euphorique de l'après-guerre tout semble parfois s'accélérer à la façon burlesque d'un film muet. L'étudiant en médecine bénéficie aussi, pour brûler les étapes, d'un double sésame : son passé d'ancien combattant et la protection de son mandarin de beau-père. Le carabin de hasard achève ses études express par sa thèse sur la vie du médecin hongrois Philippe-Ignace Semmelweis. Un texte court et brillant, plus littéraire que scientifique. Qu'importe : à l'époque la virtuosité littéraire force encore bien des portes. La thèse de Céline lui ouvrira celles de la Société des Nations où il décroche un poste au service hygiène. A Genève, quelques frasques sentimentales nuiront toute fois gravement à sa réputation. « Circonstance aggravante, pendant son séjour genevois, Louis Destouches écrit une pièce de théâtre satirique, L'Eglise, ayant la S.D.N. pour cadre. Cette pièce inachevée et inégale apparaît aujourd'hui comme une sorte de matrice primitive de Voyage au bout de la nuit. On y découvre Bardamu, Molly, l'arrivée à New York... Mais aussi des considérations racistes et antisémites... Louis Destouches aura l'audace de montrer le manuscrit de L'Eglise à un supérieur qui est d'origine juive... En 1927, le contrat du médecin n'est pas renouvelé... » Ce dernier se retrouve au dispensaire de Clichy... Médecin des pauvres le jour, écrivain la nuit, tel un Balzac clandestin...
1 - Première vie : 1894-1911. Cette tranche pourrait s'intituler : l'imprégnation. Naissance le 27 mai 1894 à Courbevoie dans une famille de la petite bourgeoisie. « Six mois après la naissance de Louis Destouches éclate l'affaire Dreyfus. Cet événement ne sera pas sans conséquences. L'ordre, l'armée, le travail et la patrie sont des valeurs de la famille Destouches. Auguste, son père, est un lecteur assidu de la presse antisémite de l'époque, et jusqu'à sa mort, en 1933, il refusera de croire en l'innocence du capitaine Dreyfus... Tousces éléments participeront à l'éducation de Louis Destouches qui baignera dans une ambiance ultra-nationaliste et antisémite. » Pas un nationalisme doctrinal, mais celui, instinctif et spontané, du petit peuple français. Un patriotisme à fleur de peau, jailli de la tripe populaire. C'est ce sentiment de colère, brut de décoffrage, non distillé dans les alambics du raisonnement universitaire, que Céline fera souffler de façon irrationnelle et tempétueuse dans ses pages les plus enfiévrées de folle colère et de fureur vengeresse. . .
2 - Deuxième vie : 1911-1931. Période formative. Mais dans une époque chaotique et singulière, où se déroule tout à la fois, de façon fracassante, la fin d'un monde et l'avènement, dans les douleurs, de l'ère industrielle. Une période hors norme sur laquelle certaines existences contemporaines semblent se calquer. Ainsi en sera-t-il de la formation du futur écrivain. En 1911 Louis Destouches, à peine dix-huit ans, « devance l'appel et s'engage pour trois ans au 12e Cuirassiers de Rambouillet. (...) Lorsqu'en 1914 éclate la Grande Guerre (...) son régiment se met rapidement en marche. (...) Les premiers mois du conflit seront éprouvants. Avancées et retraites incessantes sous le feu de l'ennemi et sous une chaleur de plomb. Pendant ces longues marches, le jeune Parisien découvre la violence de la guerre, la mort, et la triste réalité des combats. (...) En octobre, au cours d'une mission où il s'est porté volontaire, le cuirassier Destouches, blessé au bras, est renvoyé à l'arrière pour être soigné. Cet acte de bravoure lui vaudra la médaille militaire et une page entière dans L'Illustré national ». L'atrocité de cette guerre exterminatrice façonnera de façon négative la vision du monde de ce soldat à peine sorti de l'adolescence, radicalisant à l'extrême un pessimisme, sans doute inné chez lui, de la condition humaine. Une désespérance qu'il peindra toutefois avec des couleurs truculentes, d'une gaieté agressive, à la manière explosive des peintres du Fauvisme. Comme les couleurs « sorties du tube » d'un Maurice de Vlaminck, les mots de Céline visent avant tout l'affectif. L'expérience de la guerre fera égale ment de lui un pacifiste acharné. D'où, vingt ans plus tard, le combat sans merci qu'il conduira, sabre au clair, contre les boutefeux, avec une frénésie exacerbée par l'urgence du conflit à venir. Pour l'heure, dans le monde exsangue de l'après-guerre, la vie du soldat démobilisé continue de ressembler à une épopée picaresque et surprenante. Après le milieu des proxénètes de Londres (Guignols band), le voici au Cameroun, ancien ne colonie allemande tout juste reconquise par les Français, où, mêlant comme Arthur Rimbaud exotisme et mercantilisme, il vend de la bimbeloterie aux peuplades africaines pour le compte d'une compagnie commerciale. De retour en France il se fait aussitôt embaucher comme conférencier par la Fondation Rockefeller « pour sensibiliser la population bretonne aux méfaits de la tuberculose ». Ses talents d'orateurs le font vite remarquer. « A Rennes, il séduit la fille du docteur Athanase Follet, médecin influent de la Faculté de médecine. » Son futur beau-père l'oriente alors vers les études médicales. Des études expédiées au pas de charge. Dans la société meurtrie mais euphorique de l'après-guerre tout semble parfois s'accélérer à la façon burlesque d'un film muet. L'étudiant en médecine bénéficie aussi, pour brûler les étapes, d'un double sésame : son passé d'ancien combattant et la protection de son mandarin de beau-père. Le carabin de hasard achève ses études express par sa thèse sur la vie du médecin hongrois Philippe-Ignace Semmelweis. Un texte court et brillant, plus littéraire que scientifique. Qu'importe : à l'époque la virtuosité littéraire force encore bien des portes. La thèse de Céline lui ouvrira celles de la Société des Nations où il décroche un poste au service hygiène. A Genève, quelques frasques sentimentales nuiront toute fois gravement à sa réputation. « Circonstance aggravante, pendant son séjour genevois, Louis Destouches écrit une pièce de théâtre satirique, L'Eglise, ayant la S.D.N. pour cadre. Cette pièce inachevée et inégale apparaît aujourd'hui comme une sorte de matrice primitive de Voyage au bout de la nuit. On y découvre Bardamu, Molly, l'arrivée à New York... Mais aussi des considérations racistes et antisémites... Louis Destouches aura l'audace de montrer le manuscrit de L'Eglise à un supérieur qui est d'origine juive... En 1927, le contrat du médecin n'est pas renouvelé... » Ce dernier se retrouve au dispensaire de Clichy... Médecin des pauvres le jour, écrivain la nuit, tel un Balzac clandestin...
Schproum chez les jurés du Concourt
3 - Troisième vie : 1932-1937. Les trompettes de la renommée saluent de façon bruyante mais dis cordante sa brusque irruption en littérature. Le succès du Voyage au bout de la nuit, avec son parfum de scandale —les jurés du Prix Concourt (3) se déchirent comme au temps de l'affaire Dreyfus -, fait de son auteur « la coqueluche du tout-Paris littéraire ». Toutefois, quatre ans plus tard, Mort à crédit déroute la critique et une grande partie des lecteurs. « Au moment de la sortie du livre, personne ne comprend l'aspect novateur du deuxième roman de Céline qui, d'un point de vue stylistique, surpasse Voyage au bout de la nuit (...). Cet ouvrage est un échec commercial. » Déçu, Céline s'en va visiter Leningrad. « Le moins que l'on puisse dire c'est que les charmes de l'Union Soviétique le laisseront de marbre. A peine revenu en France, il couche sur le papier ce qu'il a vu et donne son opinion sur ce qu'il a visité... ». Une condamnation sans appel du régime communiste...
4 - Quatrième vie : 1937-1940. Le siècle prend feu. Les incendiaires sont à l'oeuvre et le polémiste, qui sonne furieusement le tocsin, s'embrase lui aussi ; « Mea Culpa est une charge d'une rare violence contre le système soviétique. Tout y passe. Sous la plume incandescente de Céline, il n'y a rien à sauver du régime des soviets. » Un obus qu'il lance en plein Front populaire. Geste iconoclaste qui ne lui sera jamais pardonné ! Cet te quatrième vie, dans laquelle l'auteur renoue avec les succès de librairie, sera celle, exacerbée jusqu'au paroxysme, du pamphlétaire. « Depuis quelque temps déjà Céline pressent un nouveau conflit entre la France et l'Allemagne et veut l'éviter à tout prix. A cet effet il écrit un autre texte polémique et prend parti contre ceux qui poussent à la guerre. Céline n'est pas un homme de compromis... » Sa dénonciation des bellicistes, c'est de circonstance, se fera à l'arme lourde. « Quand Bagatelles pour un massacre est mis en vente, fin 1937, le livre est plutôt bien accueilli par la critique et le succès commercial est au rendez-vous. A droite on salue la publication d'un texte plein de verve qui dit tout haut ce que beau coup pensent tout bas. A gauche on apprécie cette attaque en règle contre les Juifs, considérés comme une caste connivente du monde patronal et financier... » Il est toujours bon de remettre précisément les passions politiques dans le contexte où elles sont nées. L'année suivante (1938), bien qu'animée du même souffle cataclysmique, L'Ecole des cadavres (titre une fois de plus génial et ô combien prémonitoire) fait toutefois un peu l'effet d'une redite frisant la redondance et n'obtient de ce fait qu'un demi-succès. « Depuis les accords de Munich, l'opinion sait qu'une guerre avec l'Allemagne est désormais inévitable. » Ces pamphlets en forme d'éclairs fulgurants précédant la foudre, s'accordent en quelque sorte avec une situation internationale pleine d'électricité et d'orages en suspens. Le pamphlétaire, oracle impétueux, est à l'unisson de la météo politique de cette période de tous les dangers, où de fortes perturbations se préparent derrière les nuages de plus en plus sombres de la diplomatie européenne.
(A suivre.)
Jean COCHET
Présent, 10 décembre 2011.
(1) Spécial Céline (120 euros pour 8 numéros), 53 rue du Chemin vert — 92100 Boulogne Billancourt. Tel. : 01 46 10 21 21 - www.lafontpresse.fr
(2) Le Bulletin Célinien, BP 70, B 1000 Bruxelles 22, Belgique. — www.lfceline. fr.st — Le prix de l'abonnement pour l'année (11 numéros) est de 50 euros.
(3) L'un d'eux, en l'occurrence Roland Dorgelès, écrira avec indulgence et amusement : « Autrefois, quand les membres d'un jury littéraire n'étaient pas d'accord sur les mérites des candidats, ils discutaient avec ardeur — du moins, je le suppose— , avec conscience— du moins, je l'espère — et l'on finissait par désigner celui qu'on croyait le bon. Aujourd'hui, tout cela est changé. MM. les juges "tombent la veste", se collettent sur le trottoir et, formant le cercle des badauds, les échotiers marquent le coup. (...) La Providence m'ayant doté d'une heureuse nature, ces moeurs me divertissent au lieu de m'irriter. »
4 - Quatrième vie : 1937-1940. Le siècle prend feu. Les incendiaires sont à l'oeuvre et le polémiste, qui sonne furieusement le tocsin, s'embrase lui aussi ; « Mea Culpa est une charge d'une rare violence contre le système soviétique. Tout y passe. Sous la plume incandescente de Céline, il n'y a rien à sauver du régime des soviets. » Un obus qu'il lance en plein Front populaire. Geste iconoclaste qui ne lui sera jamais pardonné ! Cet te quatrième vie, dans laquelle l'auteur renoue avec les succès de librairie, sera celle, exacerbée jusqu'au paroxysme, du pamphlétaire. « Depuis quelque temps déjà Céline pressent un nouveau conflit entre la France et l'Allemagne et veut l'éviter à tout prix. A cet effet il écrit un autre texte polémique et prend parti contre ceux qui poussent à la guerre. Céline n'est pas un homme de compromis... » Sa dénonciation des bellicistes, c'est de circonstance, se fera à l'arme lourde. « Quand Bagatelles pour un massacre est mis en vente, fin 1937, le livre est plutôt bien accueilli par la critique et le succès commercial est au rendez-vous. A droite on salue la publication d'un texte plein de verve qui dit tout haut ce que beau coup pensent tout bas. A gauche on apprécie cette attaque en règle contre les Juifs, considérés comme une caste connivente du monde patronal et financier... » Il est toujours bon de remettre précisément les passions politiques dans le contexte où elles sont nées. L'année suivante (1938), bien qu'animée du même souffle cataclysmique, L'Ecole des cadavres (titre une fois de plus génial et ô combien prémonitoire) fait toutefois un peu l'effet d'une redite frisant la redondance et n'obtient de ce fait qu'un demi-succès. « Depuis les accords de Munich, l'opinion sait qu'une guerre avec l'Allemagne est désormais inévitable. » Ces pamphlets en forme d'éclairs fulgurants précédant la foudre, s'accordent en quelque sorte avec une situation internationale pleine d'électricité et d'orages en suspens. Le pamphlétaire, oracle impétueux, est à l'unisson de la météo politique de cette période de tous les dangers, où de fortes perturbations se préparent derrière les nuages de plus en plus sombres de la diplomatie européenne.
(A suivre.)
Jean COCHET
Présent, 10 décembre 2011.
(1) Spécial Céline (120 euros pour 8 numéros), 53 rue du Chemin vert — 92100 Boulogne Billancourt. Tel. : 01 46 10 21 21 - www.lafontpresse.fr
(2) Le Bulletin Célinien, BP 70, B 1000 Bruxelles 22, Belgique. — www.lfceline. fr.st — Le prix de l'abonnement pour l'année (11 numéros) est de 50 euros.
(3) L'un d'eux, en l'occurrence Roland Dorgelès, écrira avec indulgence et amusement : « Autrefois, quand les membres d'un jury littéraire n'étaient pas d'accord sur les mérites des candidats, ils discutaient avec ardeur — du moins, je le suppose— , avec conscience— du moins, je l'espère — et l'on finissait par désigner celui qu'on croyait le bon. Aujourd'hui, tout cela est changé. MM. les juges "tombent la veste", se collettent sur le trottoir et, formant le cercle des badauds, les échotiers marquent le coup. (...) La Providence m'ayant doté d'une heureuse nature, ces moeurs me divertissent au lieu de m'irriter. »
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