Immeuble du 20 Ved Stranden à Copenhague (photo Marc Fischer) |
Nous poursuivons la publication de plusieurs témoignages de Bente Johansen-Karild, jeune danoise qui rencontra le couple Destouches pendant leur exil danois. Les épisodes précédents : I - Les Destouches à Copenhague, II - Ma première rencontre avec Céline, III - Céline à Copenhague, automne 1945, IV - Exil à Copenhague.
De Copenhague à Nice, été 1946 par Bente JOHANSEN-KARILD
En rentrant du Danemark en mai 1946, Karen Marie avait décidé d’organiser son proche avenir de plusieurs façons. Elle voulait avant tout tenir son rôle de mère avec le père de sa fille, Juan Serrat, son ami de cœur depuis de longues années, devenu à présent consul général d’Espagne à Stockholm. En outre, elle désirait avoir un appartement dans l’immeuble de Frederiksberg qu’elle avait acquis conjointement avec mon père. Étrangement, il y a là aussi un certain lien avec Céline puisque Johannes V. Jensen (1) a lui aussi habité au 2 Jacobys Allé.
Karen Marie fut naturellement irrité en voyant dans quel état elle retrouvait son appartement du 20 Ved Stranden : ses affaires personnelles sens dessus dessous, ses meubles abîmés. Il fallut même renouveler le papier peint. Néanmoins, elle laissa Lucette y habiter aussi longtemps que ce fut possible. L’appartement de Ved Stranden était une location. Il fallait donc le rendre impeccable lorsqu’on déménageait. Karen Marie dut faire appel à des artisans pour le remettre en état. Rappelons qu’à cette époque, on ne pouvait, selon la loi, occuper qu’un seul logement dans la capitale danoise.
Karen Marie avait sa bonne espagnole avec elle. Je me souviens très bien de Bienvenida quand elle habita à « Viben » (2). C’était une petite femme mince d’âge mûr, fort choquée de voir les jeunes Danoises en shorts et corsages sans manches. Karen Marie avait hérité de son père une grosse fortune, qu’elle investit de plusieurs manières. Une partie de cette fortune était toutefois immobilisée pour lui assurer une vieillesse à l’abri du besoin. Le père de Karen Marie, Anders Jensen (3), savait que sa fille était aussi entreprenante que lui et capable de se lancer dans de nouveaux projets, dussent-ils coûter une fortune.
Après bien des aléas, j’eus la permission de répondre à l’invitation qui m’avait été faite et de partir pour la France. Le 20 juillet 1946, j’embarquai dans un avion à destination de Marseille. C’était la première fois que je prenais l’avion : un grand événement pour moi !
Jytte Seidenfaden |
Jytte Seidenfaden (4), que je ne connaissais pas encore, était venue m’accueillir. Nous passâmes la nuit à l’hôtel avant de prendre le train pour Nice, où Monsieur Pirazzoli m’attendait en compagnie de Henri, un parent, qui nous conduisit à une allure folle jusqu’au Régina, à Cimiez. Jytte Seidenfaden et moi, nous habitions un très agréable trois-pièces au 4è. Monsieur et Madame Pirazzoli logeaient au rez-de-chaussée avec accès au parc.
Ils me reçurent avec beaucoup de cordialité et me firent l’impression de bons vivants qui appréciaient vraiment l’existence qu’ils s’étaient forgée à Nice, où ils rénovaient des appartements pour les revendre. Deux fois par jour, nous passions des heures à table à converser. Il y avait souvent des invités, surtout des membres de la famille. Dans mon journal d’alors, j’ai noté trois prénoms : Henri, Norrette et Jeannette (5). Norrette et son mari habitaient aussi au Régina. Je me souviens d’avoir été invitée chez eux avec une femme qui était une grande admiratrice de Céline. Un autre couple tenait un restaurant à Nice.
Le 24 juillet, une excursion était prévue pour que nous allions pique-niquer à une quinzaine de kilomètres de Nice. Départ fixé à 13 heures, du Régina. Il fallut d’abord attendre une heure que Madame Pirazzoli fût prête. Le reste de la famille devait nous rejoindre. Eux aussi étaient en retard, de sorte qu’avec Jytte Seidenfaden nous eûmes le temps d’aller nous baigner dans le fleuve, dans une eau claire et froide. Après le déjeuner, nous allâmes tous faire la sieste dans l’herbe avant de ramasser du bois pour faire un feu sur lequel fut cuit le repas du soir. Nous bûmes du champagne et différents vins, puis nous finîmes la soirée en jouant et en chantant. Jytte et moi, nous nous lançâmes dans « C’était un samedi soir » (6), une vieille chanson danoise.
Avec Jytte Seidenfaden nous avions de bonnes et nombreuses conversations lorsque nous nous retrouvions seules dans l’appartement ou alors quand nous nous rendions à la Promenade des Anglais pour nous baigner. C’est grâce à elle que je fus présentée au poète et héros de la Résistance Roland Claudel, lequel m’introduisit auprès de tout un groupe d’artistes qui se réunissaient à l’Union des Intellectuels.
Lorsque j’expliquais que j’étais invitée chez la belle-mère de Céline, on haussait les épaules. Certes, c’était un écrivain connu, mais le meilleur service qu’on pouvait lui rendre, c’était de l’oublier. En revanche, on parlait abondamment de Sartre et de l’existentialisme. Moi qui était Danoise, je devais bien connaître Kieerkegaard. Non ? Ma foi, j’avais lu « Ou bien ou bien » à seize ans et m’était étonnée de ses étranges fiançailles avec Régine, mais expliquer ses pensées philosophiques, j’en étais bien incapable, que ce fût en danois ou, encore moins, en français. A l’union, en plus des intellectuels, il y avait des peintres, des sculpteurs, des acteurs, des chanteurs et des danseurs, notamment Helen Armfelt, qui ne me mit en rapport avec deux ballerines qui avaient ouvert des écoles de danse classique à Nice, Mme Karpova et Mme Sedowa. Mes parents m’avaient envoyé de l’argent, que j’avais changé difficilement en vue de suivre un cours international à Besançon. Je préférai l’employer à m’entraîner chez l’une, le matin, chez l’autre, l’après-midi. En outre, je prenais des leçons particulières chez elles. Il était aussi possible de faire un peu d’équitation à Nice.
Mes journées étaient bien remplies : exercices de danse, baignades, exercices de danse. Le soir, j’étais fréquemment invitée à sortir avec les artistes dont j’avais fait la connaissance. Je me souviens en particulier d’une éblouissante « nuit blanche », une fête populaire avec de magnifiques cortèges. Pour y participer, il fallait s’habiller en blanc. Musique et danses battirent leur plein à ciel ouvert, avec vue sur la mer.
Tout comme à Copenhague, je bénéficiais régulièrement de billets de faveur au théâtre, à l’opéra, au ballet, et on m’invitait à aller saluer les artistes après le spectacle. C’est ainsi que je fus amenée à rencontrer le Russe Algaroff, qui dansait admirablement : rien d’étonnant à ce que, six ans après, il soit devenu danseur étoile à l’Opéra de Paris.
C’était une merveilleuse époque stimulante et enrichissante pour la jeune fille de 19 ans que j’étais. Je commençai à sauter les repas trop riches, trop lourds du Régina, aussi parce que je ne pouvais pas les supporter, et ne rentrai que tard le soir.
Ils me reçurent avec beaucoup de cordialité et me firent l’impression de bons vivants qui appréciaient vraiment l’existence qu’ils s’étaient forgée à Nice, où ils rénovaient des appartements pour les revendre. Deux fois par jour, nous passions des heures à table à converser. Il y avait souvent des invités, surtout des membres de la famille. Dans mon journal d’alors, j’ai noté trois prénoms : Henri, Norrette et Jeannette (5). Norrette et son mari habitaient aussi au Régina. Je me souviens d’avoir été invitée chez eux avec une femme qui était une grande admiratrice de Céline. Un autre couple tenait un restaurant à Nice.
Le 24 juillet, une excursion était prévue pour que nous allions pique-niquer à une quinzaine de kilomètres de Nice. Départ fixé à 13 heures, du Régina. Il fallut d’abord attendre une heure que Madame Pirazzoli fût prête. Le reste de la famille devait nous rejoindre. Eux aussi étaient en retard, de sorte qu’avec Jytte Seidenfaden nous eûmes le temps d’aller nous baigner dans le fleuve, dans une eau claire et froide. Après le déjeuner, nous allâmes tous faire la sieste dans l’herbe avant de ramasser du bois pour faire un feu sur lequel fut cuit le repas du soir. Nous bûmes du champagne et différents vins, puis nous finîmes la soirée en jouant et en chantant. Jytte et moi, nous nous lançâmes dans « C’était un samedi soir » (6), une vieille chanson danoise.
Avec Jytte Seidenfaden nous avions de bonnes et nombreuses conversations lorsque nous nous retrouvions seules dans l’appartement ou alors quand nous nous rendions à la Promenade des Anglais pour nous baigner. C’est grâce à elle que je fus présentée au poète et héros de la Résistance Roland Claudel, lequel m’introduisit auprès de tout un groupe d’artistes qui se réunissaient à l’Union des Intellectuels.
Lorsque j’expliquais que j’étais invitée chez la belle-mère de Céline, on haussait les épaules. Certes, c’était un écrivain connu, mais le meilleur service qu’on pouvait lui rendre, c’était de l’oublier. En revanche, on parlait abondamment de Sartre et de l’existentialisme. Moi qui était Danoise, je devais bien connaître Kieerkegaard. Non ? Ma foi, j’avais lu « Ou bien ou bien » à seize ans et m’était étonnée de ses étranges fiançailles avec Régine, mais expliquer ses pensées philosophiques, j’en étais bien incapable, que ce fût en danois ou, encore moins, en français. A l’union, en plus des intellectuels, il y avait des peintres, des sculpteurs, des acteurs, des chanteurs et des danseurs, notamment Helen Armfelt, qui ne me mit en rapport avec deux ballerines qui avaient ouvert des écoles de danse classique à Nice, Mme Karpova et Mme Sedowa. Mes parents m’avaient envoyé de l’argent, que j’avais changé difficilement en vue de suivre un cours international à Besançon. Je préférai l’employer à m’entraîner chez l’une, le matin, chez l’autre, l’après-midi. En outre, je prenais des leçons particulières chez elles. Il était aussi possible de faire un peu d’équitation à Nice.
Mr Pirazzoli |
Tout comme à Copenhague, je bénéficiais régulièrement de billets de faveur au théâtre, à l’opéra, au ballet, et on m’invitait à aller saluer les artistes après le spectacle. C’est ainsi que je fus amenée à rencontrer le Russe Algaroff, qui dansait admirablement : rien d’étonnant à ce que, six ans après, il soit devenu danseur étoile à l’Opéra de Paris.
C’était une merveilleuse époque stimulante et enrichissante pour la jeune fille de 19 ans que j’étais. Je commençai à sauter les repas trop riches, trop lourds du Régina, aussi parce que je ne pouvais pas les supporter, et ne rentrai que tard le soir.
Comme je sautais trop souvent les repas, Madame Pirazzoli me mit en garde contre la traite des blanches. Étant indépendante, je savais très bien me débrouiller toute seule. Mais sa pauvre bonne, Jacqueline, elle, n’avait pas le droit de sortir seule. J’eus pitié d’elle et, heureusement, j’eus le droit de l’inviter quelquefois au cinéma. De plus, je lui achetais des hebdomadaires illustrés et des friandises.
La « dolce vita » n’avait duré que deux semaines lorsque Jacqueline vint me réveiller un beau matin à sept heures : il fallait compter la porcelaine et l’argenterie, les emballer et les mettre dans des caisses ; l’appartement devait être vidé, mais les Pirazzoli en avaient un autre, rue Massenet, près de la Promenade des Anglais. Ils comptaient sur moi pour les aider à déménager, d’où la raison d ce réveil matinal et de la mise en chantier avec Jacqueline ! Je me rappelle que les vitres étaient si sales qu’il fallut m’y reprendre à deux fois pour les nettoyer.
La corvée suivante fut de mettre du lino sur le sol. Jacqueline était apparemment rompue à ce genre d’exercice, mais moi, qui n’avait pas la moindre expérience de travail pratique en dehors de m’occuper de chevaux, je me retrouvais tellement épuisée que je n’étais plus capable de suivre mes cours de danse.
La « dolce vita » n’avait duré que deux semaines lorsque Jacqueline vint me réveiller un beau matin à sept heures : il fallait compter la porcelaine et l’argenterie, les emballer et les mettre dans des caisses ; l’appartement devait être vidé, mais les Pirazzoli en avaient un autre, rue Massenet, près de la Promenade des Anglais. Ils comptaient sur moi pour les aider à déménager, d’où la raison d ce réveil matinal et de la mise en chantier avec Jacqueline ! Je me rappelle que les vitres étaient si sales qu’il fallut m’y reprendre à deux fois pour les nettoyer.
La corvée suivante fut de mettre du lino sur le sol. Jacqueline était apparemment rompue à ce genre d’exercice, mais moi, qui n’avait pas la moindre expérience de travail pratique en dehors de m’occuper de chevaux, je me retrouvais tellement épuisée que je n’étais plus capable de suivre mes cours de danse.
Le 2 septembre, j’emménageai donc rue Massenet, mais pas dans l’appartement que j’avais aidé à installer. On m’assigna une chambre de bonne en sous-sol, où ne pénétrait pas le moindre rayon de soleil, et, de plus, sans lumière électrique, les deux premiers jours. Ce brutal passage du Régina à un réduit obscur et humide fit que je tombais malade et eus de la fièvre. Je ne fus jamais amenée à habiter l’appartement, mais je me fis bientôt à ma nouvelle situation, recouvrais mes forces et repris ma vie.
Plus tard, ce même mois de septembre, ce fut un grand événement pour moi que d’aller au Festival de Cannes : les élégantes stars du cinéma, Grace Moore qui chantait… Les différentes soirées dansantes se terminaient à trois heures du matin et nous qui n’avions pas de voiture, devions tuer le temps dans un bistrot à attendre le premier train du matin pour Nice. C’était une étrange expérience de voyager en robe du soir avec tous les ouvriers qui, à sept heures du matin, se rendaient à leur travail à Nice.
J’eus, à la même époque, le plaisir d’assister à une conférence de la célèbre actrice Madeleine Sologne.
Mme Sedowa avait créé un petit solo spécialement pour moi : « Le Pas de Diane » sur de la musique de Chopin. Une princesse russe me proposa de le danser à l’une de ses soirées. On m’offrit aussi d’entrer dans le Corps de Ballet de Monte Carlo, si je désirais rester en France. Mais ma mère m’interdit toute forme de représentation publique et me fit brutalement part de sa promesse à Lucette de s’assurer qu’au retour, je passerais par Paris prendre, chez l’oncle de Céline, du linge que je rapporterais avec moi.
Quand Else et Henning Jensen (7) vinrent à Nice, ils habitèrent d’abord, au Régina, la chambre d’ami de l’appartement des Pirazzoli. Bien sûr, je me rendis à Cimiez pour les rencontrer et, avec Monsieur et Madame Pirazzoli, nous passâmes une excellente soirée ensemble.
Else et Henning Jensen étaient impatient de savoir où ils logeraient durant leur séjour en France, tandis que Lucette habitait dans leur appartement de Kronprinsessegade à Copenhague.
Et voilà que je devais me préparer à repartir. Je quittai Nice le 8 octobre avec, en poche, un billet de 3è classe pour Paris. Quelques amis m’accompagnèrent au train. Le Dr François Beer m’offrit un dessin qu’il avait fait de moi et un livre qu’il avait consacré à Van Gogh. En outre, il me donna l’adresse d’un restaurant à Paris où, en me recommandant de lui, je serais fort bien traitée.
Après un voyage de quatorze heures, j’arrivai à Paris tellement sale que la première chose que je fis fut d’aller dans un « bains-douches ». Ensuite, à la poste, pour aller chercher une lettre et de l’argent de ma mère. Chez Mme Lindequist (8), à Copenhague, j’avais rencontré Eliane (9). Elle et sa sœur m’invitèrent à dîner et à un spectacle donné au Châtelet. J’allai aussi rendre visite à une amie de Karen Marie, Mabel Thorn, que je connaissais du Danemark. Elle travaillait dans une élégante maison de haute couture, mais son rêve était de posséder une villa dans le Midi de la France. J’aurais aussi voulu rencontrer Irène (10), une autre amie de Karen Marie, mais n’en eus pas le temps. J’avais suffisamment à faire, notamment d’aller chercher des visas dans diverses ambassades et de voir la plupart des curiosités de Paris.
Dès le 14 octobre, je m’étais mise en rapport avec Louis Guillou (11) qui m’invita à déjeuner chez lui et sa femme le 17.
Je me sentis parfaitement à l’aise dans leur appartement, qui évoquait pour moi celui où, enfant, j’étais invitée par un vieil oncle qui maintenait le goût et les traditions d’avant le tournant du siècle. Après le repas, Louis Guillou m’emmena aux Invalides voir le tombeau de Napoléon. Mon hôte m’apparut comme quelqu’un de fort sympathique, tout à fait pince-sans-rire.
J’étais arrivé en France avec deux valises. J’en repartais avec quatre, très lourdes. J’avais aussi eu la légèreté d’acheter, presque tous les jours, un livre chez le même bouquiniste. Apprenant que je repartais, il m’avait offert un petit recueil d’aphorismes.
Comme le monde est petit ! Par hasard, j’avais rencontré à Paris une vieille camarade d’école, Kirsten Vestbirk, qui était venue là, avec sa mère, faire des emplettes. Elles habitaient Londres et m’ont invitée à aller les voir.
Le 19 octobre 1946, bien installée avec mes bagages dans le « Nord-Express », je partageai le même compartiment du wagon-lit avec une jeune fille anglaise qui avait beaucoup voyagé. Nous avions bien des choses à nous raconter, et nous restâmes en correspondance pendant des années.
La vision désolante de l’Allemagne en ruines et des enfants qui mendiaient le long des voies faisait un terrible contraste avec l’atmosphère légère d’avant-guerre que j’avais trouvée dans le Midi de la France.
Bente KARILD
Traduction de François Marchetti
Notes
1- Johannes V. Jensen (1873-1950), auteur danois, lauréat du Prix Nobel de littérature en 1944. Proche ami de Thorvald Mikkelsen, qui lui avait fait rencontrer Céline et sa femme à Klarskovgaard. Il semble que Johannes V. Jensen ait fait les yeux doux à Lucette, ce qui avait souverainement déplu à Céline, qui, par la suite, le jugea écrivain médiocre.
2- Littéralement « Le vanneau ». Maison de campagne de Karen Marie Jensen, à Strøby Egede, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Copenhague.
3- Andres Jensen (1861-1940), père de Karen Marie Jensen. Boucher de formation, il était devenu un riche propriétaire foncier, possédant notamment le domaine de Cathrinebjerg (368 hectares), à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Copenhague. C’est lui qui, en 1910, fit construire, au cœur de la capitale danoise, le luxueux Hôtel Palads, et, à la même époque, le non moins luxueux Hôtel Marienlyst à Elseneur. Pendant des décennies, ce dernier établissement abrita le seul casino autorisé en Scandinavie, qui, de plus, s’honora du privilège royal.
4- Belle-fille de Aage Seidenfaden, directeur de la police de Copenhague. Elle compta parmi les danois qui aidèrent le couple Destouches.
5- Cousin et cousines des Pirazzoli.
6- « Det var en lordag aften », classique de la mélodie danoise romantique : « C’était un samedi soir. J’étais assis et t’attendais. Tu ne vins pas… »
7- Else Jensen et son époux Henning (décédé), couple d’artistes peintres. A l’époque de l’incarcération de Céline, Henning Jensen était provisoirement gardien de prison à la Vestre Faengsel. Il sympathisa tout de suite avec Céline, dont il dit à sa femme que c’était un « être absolument hors du commun ». C’est dans l’appartement des Jensen que Lucette, puis Céline habitèrent pendant environ un an, alors que les Jensen étaient en France. On sait par le témoignage d’Else Jensen que l’appartement fut rendu dans un parfait état de propreté et que Céline ne ménagea pas sa reconnaissance aux Jensen pour leur hospitalité.
8- « Rie » Lindequist, alors photographe en renom, cousine germaine de Karen Marie Jensen et amie d’Ella Johansen, mère de Bente Karild-Johansen.
9- Eliane Bonabel (1920-2000), nièce de Charles Bonabel, ami de Céline. En 1946, elle fit le voyage de Copenhague pour apporter soutien à Céline et Lucette. Elle a illustré les Ballets de Céline en 1959. A l’âge de 12 ans, elle avait fait toute une série de dessins pour illustrer Voyage au bout de la nuit. Les Illustrations pour Voyage au bout de la nuit d’Eliane Bonabel ont été éditées en 1998 par les soins d’Emile Brami, aux éditions de La Pince à Linge.
10- Irène Mc Bride. Danseuse américaine dont Céline s’était épris sans succès à New York en 1934. Elle vint à Paris suivre les cours de Mme Egorova.
11- Oncle maternel de Céline. C’est dans son appartement que la mère de Céline était morte, le 6 mars 1945.
Bente Johansen à Nice en 1946 sur la promenade des Anglais |
J’eus, à la même époque, le plaisir d’assister à une conférence de la célèbre actrice Madeleine Sologne.
Mme Sedowa avait créé un petit solo spécialement pour moi : « Le Pas de Diane » sur de la musique de Chopin. Une princesse russe me proposa de le danser à l’une de ses soirées. On m’offrit aussi d’entrer dans le Corps de Ballet de Monte Carlo, si je désirais rester en France. Mais ma mère m’interdit toute forme de représentation publique et me fit brutalement part de sa promesse à Lucette de s’assurer qu’au retour, je passerais par Paris prendre, chez l’oncle de Céline, du linge que je rapporterais avec moi.
Quand Else et Henning Jensen (7) vinrent à Nice, ils habitèrent d’abord, au Régina, la chambre d’ami de l’appartement des Pirazzoli. Bien sûr, je me rendis à Cimiez pour les rencontrer et, avec Monsieur et Madame Pirazzoli, nous passâmes une excellente soirée ensemble.
Else et Henning Jensen étaient impatient de savoir où ils logeraient durant leur séjour en France, tandis que Lucette habitait dans leur appartement de Kronprinsessegade à Copenhague.
Et voilà que je devais me préparer à repartir. Je quittai Nice le 8 octobre avec, en poche, un billet de 3è classe pour Paris. Quelques amis m’accompagnèrent au train. Le Dr François Beer m’offrit un dessin qu’il avait fait de moi et un livre qu’il avait consacré à Van Gogh. En outre, il me donna l’adresse d’un restaurant à Paris où, en me recommandant de lui, je serais fort bien traitée.
Après un voyage de quatorze heures, j’arrivai à Paris tellement sale que la première chose que je fis fut d’aller dans un « bains-douches ». Ensuite, à la poste, pour aller chercher une lettre et de l’argent de ma mère. Chez Mme Lindequist (8), à Copenhague, j’avais rencontré Eliane (9). Elle et sa sœur m’invitèrent à dîner et à un spectacle donné au Châtelet. J’allai aussi rendre visite à une amie de Karen Marie, Mabel Thorn, que je connaissais du Danemark. Elle travaillait dans une élégante maison de haute couture, mais son rêve était de posséder une villa dans le Midi de la France. J’aurais aussi voulu rencontrer Irène (10), une autre amie de Karen Marie, mais n’en eus pas le temps. J’avais suffisamment à faire, notamment d’aller chercher des visas dans diverses ambassades et de voir la plupart des curiosités de Paris.
Dès le 14 octobre, je m’étais mise en rapport avec Louis Guillou (11) qui m’invita à déjeuner chez lui et sa femme le 17.
Je me sentis parfaitement à l’aise dans leur appartement, qui évoquait pour moi celui où, enfant, j’étais invitée par un vieil oncle qui maintenait le goût et les traditions d’avant le tournant du siècle. Après le repas, Louis Guillou m’emmena aux Invalides voir le tombeau de Napoléon. Mon hôte m’apparut comme quelqu’un de fort sympathique, tout à fait pince-sans-rire.
J’étais arrivé en France avec deux valises. J’en repartais avec quatre, très lourdes. J’avais aussi eu la légèreté d’acheter, presque tous les jours, un livre chez le même bouquiniste. Apprenant que je repartais, il m’avait offert un petit recueil d’aphorismes.
Comme le monde est petit ! Par hasard, j’avais rencontré à Paris une vieille camarade d’école, Kirsten Vestbirk, qui était venue là, avec sa mère, faire des emplettes. Elles habitaient Londres et m’ont invitée à aller les voir.
Le 19 octobre 1946, bien installée avec mes bagages dans le « Nord-Express », je partageai le même compartiment du wagon-lit avec une jeune fille anglaise qui avait beaucoup voyagé. Nous avions bien des choses à nous raconter, et nous restâmes en correspondance pendant des années.
La vision désolante de l’Allemagne en ruines et des enfants qui mendiaient le long des voies faisait un terrible contraste avec l’atmosphère légère d’avant-guerre que j’avais trouvée dans le Midi de la France.
Bente KARILD
Traduction de François Marchetti
Notes
1- Johannes V. Jensen (1873-1950), auteur danois, lauréat du Prix Nobel de littérature en 1944. Proche ami de Thorvald Mikkelsen, qui lui avait fait rencontrer Céline et sa femme à Klarskovgaard. Il semble que Johannes V. Jensen ait fait les yeux doux à Lucette, ce qui avait souverainement déplu à Céline, qui, par la suite, le jugea écrivain médiocre.
2- Littéralement « Le vanneau ». Maison de campagne de Karen Marie Jensen, à Strøby Egede, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Copenhague.
3- Andres Jensen (1861-1940), père de Karen Marie Jensen. Boucher de formation, il était devenu un riche propriétaire foncier, possédant notamment le domaine de Cathrinebjerg (368 hectares), à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Copenhague. C’est lui qui, en 1910, fit construire, au cœur de la capitale danoise, le luxueux Hôtel Palads, et, à la même époque, le non moins luxueux Hôtel Marienlyst à Elseneur. Pendant des décennies, ce dernier établissement abrita le seul casino autorisé en Scandinavie, qui, de plus, s’honora du privilège royal.
4- Belle-fille de Aage Seidenfaden, directeur de la police de Copenhague. Elle compta parmi les danois qui aidèrent le couple Destouches.
5- Cousin et cousines des Pirazzoli.
6- « Det var en lordag aften », classique de la mélodie danoise romantique : « C’était un samedi soir. J’étais assis et t’attendais. Tu ne vins pas… »
7- Else Jensen et son époux Henning (décédé), couple d’artistes peintres. A l’époque de l’incarcération de Céline, Henning Jensen était provisoirement gardien de prison à la Vestre Faengsel. Il sympathisa tout de suite avec Céline, dont il dit à sa femme que c’était un « être absolument hors du commun ». C’est dans l’appartement des Jensen que Lucette, puis Céline habitèrent pendant environ un an, alors que les Jensen étaient en France. On sait par le témoignage d’Else Jensen que l’appartement fut rendu dans un parfait état de propreté et que Céline ne ménagea pas sa reconnaissance aux Jensen pour leur hospitalité.
8- « Rie » Lindequist, alors photographe en renom, cousine germaine de Karen Marie Jensen et amie d’Ella Johansen, mère de Bente Karild-Johansen.
9- Eliane Bonabel (1920-2000), nièce de Charles Bonabel, ami de Céline. En 1946, elle fit le voyage de Copenhague pour apporter soutien à Céline et Lucette. Elle a illustré les Ballets de Céline en 1959. A l’âge de 12 ans, elle avait fait toute une série de dessins pour illustrer Voyage au bout de la nuit. Les Illustrations pour Voyage au bout de la nuit d’Eliane Bonabel ont été éditées en 1998 par les soins d’Emile Brami, aux éditions de La Pince à Linge.
10- Irène Mc Bride. Danseuse américaine dont Céline s’était épris sans succès à New York en 1934. Elle vint à Paris suivre les cours de Mme Egorova.
11- Oncle maternel de Céline. C’est dans son appartement que la mère de Céline était morte, le 6 mars 1945.
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