En ce printemps 2012, Céline se voit cité deux fois au cinéma. La première au cours du film Sur la route
tiré du roman de Jack Kerouac réalisé par Walter Salles et sorti le 23
mai 2012. C'est Viggo Mortensen qui s'y colle, d'abord lors d'un
dialogue où il évoque les difficultés de traduction du style célinien,
ensuite lorsque le réalisateur nous propose en fond sonore d'un épisode
de délire lié à la fièvre, les premières lignes mises en exergue de Voyage au bout de la nuit : «
Voyager, c'est bien utile, ça fait travailler l'imagination. Tout le
reste n'est que déceptions et fatigues. Notre voyage à nous est
entièrement imaginaire. Voilà sa force. », etc... L'Union évoque ce film dans un papier ciné. Céline serait aussi cité dans la film d'Alain Chabbat Sur la piste du Marsupilami. Nous essaierons de vous proposer les extraits de ces films très prochainement...
Aujourd'hui, c'est un passage de La Femme flic que nous vous proposons. Film d'Yves Boisset sorti en 1980, on peut y découvrir le personnage d'un médecin vitupérant et acariâtre vivant reclus au milieu de ses chats Mauriac, Malraux et Gallimard ! Rôle vous l'aurez deviné inspiré de notre célèbre Docteur Destouches. C'est David Alliot qui nous le rappelle dans Spécial Céline n°5 à l'occasion de la publication d'un extrait des mémoires du réalisateur qui évoque sa rencontre avec Céline dans les années 50, extrait que nous reproduisons ci-dessous.
François Simon interprète le docteur Godiveau aux côtés de Miou-Miou (Inspecteur Levasseur) et Alex Lacast (Inspecteur Simbert) :
C'est en rentrant du tournage passionnant mais éprouvant de Liberté 1 que j'eus la chance inespérée de rencontrer fugitivement Louis-Ferdinand Céline.
J'avais à l'époque une fiancée adorable. Elle s'appelait Évelyne, préparait une licence d'histoire de l'art et se passionnait pour la danse classique. Un samedi de printemps, elle me demanda de venir la chercher à la sortie de son cours de danse. C'était à Meudon chez une certaine Mme Destouches.
- Lucette ?
Elle me regarda abasourdie.
- Oui. Lucette Destouches ! Tu la connais ?
- Son mari est écrivain ?
- Non, je crois qu'il est médecin. Mais je ne l'ai jamais vu. Il paraît que c'est un vieil ours assez désagréable.
J'avais depuis toujours une admiration un peu horrifiée pour Céline. J'avais dévoré Mort à crédit et Voyage au bout de la nuit, et suivi dans ses récits autobiographiques son parcours chaotique. Je savais qu'il vivait retiré dans une petite maison à Meudon où sa femme animait sous son vrai nom, Lucette Destouches, un cours de danse classique.
C'est donc le coeur battant que je sonnai en fin de journée à la grille du pavillon de banlieue de Mme Destouches. C'était une dame d'un certain âge, un peu méfiante mais très charmante.
Lorsque je lui demandai s'il lui paraissait possible de rencontrer son mari, elle se referma comme une huître. Il ne voulait voir personne en dehors de quelques amis intimes et se méfiait comme de la peste des gens qui prétendaient l'admirer. Surtout des jeunes qu'il tenait volontiers pour des foutriquets hypocrites.
Comme elle aimait beaucoup Évelyne, elle promit pourtant d'intercéder en ma faveur auprès de son mari.
Le samedi suivant, je sonnai à nouveau à la grille du pavillon de meulière pour venir chercher Évelyne. J'eus à peine le temps de saluer Mme Destouches que j'entendis, venue de nulle part, la voix graillonneuse de Céline.
- Il est là, l'ahuri ?
Encouragée par cette aimable invitation, Mme destouches me désigna, derrière une haie, une petite tonnelle. Installé devant une masse de papiers, Céline était engoncé dans une pelisse élimée, un gros cache-col autour du cou malgré la chaleur de cette fin d'après-midi.
Il me jeta à peine un regard, visiblement plus intéressé par les charmes d'Évelyne, avant de coasser avec un ricanement :
- Vous avez bien de la chance, jeune homme. Elle est charmante votre petite danseuse. Alors, comme ça, vous êtes dans le cinéma ?
Je lui expliquai mes activités d'assistant. Il n'avait pas l'air passionnée par les exploits de Maurice Ronet et de Corinne Marchand dont il ignorait jusqu'à l'existence. Mais il manifesta un brusque intérêt lorsque j'évoquai Michel Simon que je venais de rencontrer et qui m'avait convié à visiter le musée d'objets érotiques qu'il avait constitué dans sa maison de Noisy.
- Il paraît que c'est un salopiot, mais c'est un foutu bon acteur. Si ces abrutis s'étaient décidés à tourner le Voyage au bout de la nuit, je l'aurais bien vu en Bardamu. On m'a dit que chez lui, c'était bourré de cochonneries. Vous me raconterez ça la prochaine fois.
J'étais fou de joie. Grâce à Michel Simon, c'était presque une invitation à revenir.
Peu après, l'interprète de Boudu sauvé des eaux et de L'Atalante me reçut en compagnie de sa guenon Zaza à laquelle il ne cessait de manifester une tendresse troublante. Il assurait d'ailleurs qu'elle pratiquait les plus excquises fellations qu'il ait connues en cinquante ans de pratique.
Michel Simon collectionnait les objets érotiques depuis l'âge de douze ans. Et son musée secret révélait des trésors impressionnants. Émouvants même, comme il se plaisait à le dire sans détour.
- Quand je vois ces petites merveilles, moi ça me fait bander.
Il y avait des sièges phalliques fabriqués pour le comte de Choiseul, un énorme pénis en argent ciselé ayant appartenu à la Grande Catherine de Russie, des sexes de femmes en caoutchouc et même un phallus phénicien en verre qui datait de plus de vingt siècles. Mais la plièce qui m'a le plus impressionné reste sans doute le fameux vélo d'appartement de Michel Simon qui préfigurait la machine à branler de Boris Vian dans son roman Et on tuera tous les affreux. De la selle de ce vélo surgissait à chaque tour de pédale un vigoureux phallus de cuir censé donner au cycliste un plaisir sans égal.
Au moment de nous séparer, Michel Simon ne manqua pas d'entonner de sa voix sarcastique et fracassée le sulfureux « Notre-Père » des Rouilles encagées de Benjamin Péret :
« Notre Père qui êtes au Con
Que votre cul soit défoncé. »
Évidemment, le récit de cette escapade enchanta Céline qui me réclamait toujours plus de détails scabreux sur les trésors artistiques détenus par Michel Simon. Au grand dam de Mme Destouches qui trouvait tout cela bien choquant.
Par la suite, mes relations mondaines s'étant un peu distendues avec Évelyne, je n'eus plus l'occasion de revoir Louis-Ferdinand Céline.
Yves Boisset, La vie est un choix, Plon, 2011, p.56-58.
Commande possible sur Amazon.fr.
A lire :
A voir :
> Les livres qui tuent (téléfilm sur l'assassinat de Robert Denöel)
C'est sympa de la part d'Yves Boisset, mais objectivement, c'est raté... Caricatural et pas subtil.
RépondreSupprimerYves Boisset n'a pas eu l'occasion de revoir Céline, surtout parce que ce dernier est mort très peu de temps après au début de l'été 1961.
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