Véritable îlot de verdure du IIè arrondissement parisien, faisant face à la Bibliothèque Nationale, le square Louvois fut créé en 1836. Jusqu'en 1820, s'est élevé à cet endroit le théâtre de l'Opéra, finalement fermé puis détruit après l'assassinat dans le théâtre du duc de Berry, deuxième fils du futur Charles X. En 1844, l’architecte français d’origine italienne Ludovico Visconti (1791-1853) y érigea une des plus jolies fontaines de Paris arborant des sculptures féminines de Jean-Baptiste Klagmann symbolisant la Seine, la Loire, la Saône et la Garonne. C'est finalement l'ingénieur Alphand qui donna au jardin son visage actuel. Il fut inauguré le 15 août 1859, à l'occasion de la fête de Napoléon III.
Le 1er octobre 1900, le jeune Louis Destouches est inscrit à l'école communale de la rue de Louvois, située à deux pas du logement familial et de la boutique de sa mère, Passage Choiseul.
Ecole de la rue de Louvois |
A cette époque, Louis est un « enfant intelligent, mais d'une paresse excessive entretenue par la faiblesse de ses parents. Était capable de très bien faire sous une direction ferme. Bonne instruction. Éducation très relâchée », si l'on en croit cette affirmation d'un de ses professeurs.
Il y restera jusqu'au 27 février 1905, date de son départ pour l'école catholique Saint Joseph des Tuileries située au 6 rue du 29 juillet. L'héritage reçut par ses parents suite au décès de la grand-mère, Céline Guillou, le 18 décembre 1904 permet en effet au couple Destouches une certaine aisance financière et décide donc de l'inscrire dans cette école privée, qui propose un enseignement religieux, de bonne réputation et aux règles plus strictes.
Pour Céline, ce square Louvois, c'est donc d'abord sa première école :
« Avec Grand-mère Caroline, on apprenait pas très vite. Tout de même un jour, j'ai su compter jusqu'à cent et même je savais lire mieux qu'elle. J'étais prêt pour les additions. C'était la rentrée de l'école. On a choisi la Communale, rue des Jeûneurs, à deux pas de chez nous, après le Carrefour des Francs-Bourgeois, la porte toute foncée.
On suivait un long couloir, on arrivait dans la classe. Ca donnait sur une petite cour, et puis sur un mur si haut, si élevé, que le bleu du ciel restait après. Pour qu'on regarde pas en l'air, nous autres, y avait en pus un rebord en tôle qui formait préau. On devait s'intéresser qu'aux devoirs et pas troubler l'instituteur. Je l'ai connu à peine celui-là, je me souviens que de ses binocles, de sa longue badine, des manchettes sur son pupitre.
C'est Grand-mère elle-même qui m'a conduit pendant huit jours, le neuvième je suis tombé malade. » (Mort à crédit, p. 585, Pléiade)
« Ma mère m'a reconduit à l'école avec mille
recommandations. Elle était dans tous ses états en arrivant rue des
Jeûneurs. Les gens l'avaient déjà prévenue, qu'on me garderait pas huit
jours. Je me suis pourtout tenu peinard, on m'a pas chassé. J'apprenais
rien, c'est un fait. Ca me désespérit l'école, l'instituteur en
barbiche, il en finissait jamais de nous broutter ses problèmes. Il me
fouttait la poisse rien qu'à le regarder. Moi d'abord d'avoir tâté, avec
Popaul, la vadrouille, ça me débectait complètement de rester ensuite
comme ça assis pendant des heures et des payes à écouter des inventions. » (Mort à crédit, p. 606, Pléiade)
« J'en savais assez, je pouvais m'en
aller... J'ai pris les cent sous... Je suis sorti du Passage... Je suis
resté un petit moment près du bassin square Louvois... Comme ça sur un
banc, je réfléchis... » (Mort à crédit)
« Passage Choiseul, il n'y a pas beaucoup de spectacles de la nature ?
- Ah ! il n'y en a aucun.
- Vous étiez un petit gosse de Paris qui connaît peu la nature, l'air pur. Comment avez-vous découvert la nature ?
-
Au cimetière, pour aller voir la tombe de ma grand-mère, quand elle est
morte. Au cimetière et puis au square Louvois parce que c'était mon
école. » (A Louis Pauwels et André Brissaud, 1959)
De cette époque, Céline ne gardera que peu d'amis. Seule restera Simone Saintu, rencontré durant un cours de piano, et avec laquelle il échangera de très belles lettres lors de son voyage en Afrique en 1916-1917. Est-ce ce passage à l'école communale, qu'il n'aime guère, qui lui fera écrire quelques années plus tard un véritable réquisitoire contre l'institution, ses méthodes et les matières enseignées :
De cette époque, Céline ne gardera que peu d'amis. Seule restera Simone Saintu, rencontré durant un cours de piano, et avec laquelle il échangera de très belles lettres lors de son voyage en Afrique en 1916-1917. Est-ce ce passage à l'école communale, qu'il n'aime guère, qui lui fera écrire quelques années plus tard un véritable réquisitoire contre l'institution, ses méthodes et les matières enseignées :
« On apprend rien à l’école que des sottises
raisonnantes, anémiantes, médiocrisantes, l’air de tourner con
râbacheur. Regardez les petits enfants, les premières années… ils sont
tout charme, tout poésie, tout espiègle guilleretterie… À partir de
dix, douze ans, finie la magie de primesaut ! mués louches sournois
butés cancers, petits drôles plus approchables, assommants, pervers
grimaciers, garçons et filles, ragoteux, crispés, stupides, comme papa
maman. Une faillite ! Presque déjà parfait vieillard à l’âge de douze
ans ! Une culbute des étoiles en nos décombres et nos fanges !
Un désastre de féerie.
Quelle raison ? La puberté ? Elle a bon dos ! Non ! Parce que dressés tout de suite en force, sonnés d’emblée dès l’école, la grande mutilante de jeunesse, l’école leur aura coupé les ailes au lieu de leur ouvrir toutes grandes et plus grandes encore ! L’école n’élève personne aux nues, elle mutile, elle châtre. Elle ne crée pas des hommes ailés, des âmes qui dansent, elle fabrique des sous-hommes rampants qui s’intéressent plus qu’à quatre pattes, de boutiffes en égouts secrets, de boîtes à ordures en eaux grasses. » (Les Beaux draps)
Un désastre de féerie.
Quelle raison ? La puberté ? Elle a bon dos ! Non ! Parce que dressés tout de suite en force, sonnés d’emblée dès l’école, la grande mutilante de jeunesse, l’école leur aura coupé les ailes au lieu de leur ouvrir toutes grandes et plus grandes encore ! L’école n’élève personne aux nues, elle mutile, elle châtre. Elle ne crée pas des hommes ailés, des âmes qui dansent, elle fabrique des sous-hommes rampants qui s’intéressent plus qu’à quatre pattes, de boutiffes en égouts secrets, de boîtes à ordures en eaux grasses. » (Les Beaux draps)
« Les écoles fonctionnent dans ce but, ce sont les lieux de torture pour
la parfaite innocence, la joie spontanée, l’étranglement des oiseaux,
la fabrication d’un deuil qui suinte déjà de tous les murs, la poisse
sociale primitive, l’enduit qui pénètre tout, suffoque, estourbit pour
toujours toute gaîté de vivre. » (Les Beaux draps)
« Au lieu d’apprendre les participes et tant que ça de géométrie et de
physique pas amusante, y a qu’à bouleverser les notions, donner la
prime à la musique, aux chants en choeur, à la peinture, à la
composition surtout, aux trouvailles des danses personnelles, aux
rigodons particuliers, tout ce qui donne parfum à la vie,
guilleretterie jolie, porte l’esprit à fleurir, enjolive nos heures,
nos tristesses, nous assure un peu de bonheur, d’enthousiasme, de
chaleur qui nous élève, nous fait traverser l’existence, en somme sur
un nuage.
C’est ça le Bon Dieu à l’école, s’enticher d’un joli Bel-Art, l’emporter tout chaud dans la vie. Le vrai crucifix c’est d’apprendre la magie du gentil secret, le sortilège qui nous donne la clef de la beauté des choses, des petites, des laides, des minables, des grandes, des splendides, des ratées, et l’oubli de toutes les vacheries. » (Les Beaux draps)
« L’enfance notre seul salut. L’École. Non à partir des sciences exactes, du Code civil, ou des morales impassibles, mais reprenant tout des Beaux-Arts, de l’enthousiasme, de l’émotion, du don vivant de la création, du charme de race, toutes les bonnes choses dont on ne veut plus, qu’on traque, qu’on vexe, qu’on écrabouille. » (Les Beaux draps)
« Sans création continuelle, artistique, et de tous, aucune société possible, durable, surtout aux jours d’aujourd’hui, où tout n’est que mécanique, autour de nous, agressif, abominable. » (Les Beaux draps)
« Mais je vois l’homme d’autant plus inquiet qu’il a perdu le goût des fables, du fabuleux, des Légendes, inquiet à hurler, qu’il adule, vénère le précis, le prosaïque, le chronomètre, le pondérable. Ça va pas avec sa nature. » (Les Beaux draps)
C’est ça le Bon Dieu à l’école, s’enticher d’un joli Bel-Art, l’emporter tout chaud dans la vie. Le vrai crucifix c’est d’apprendre la magie du gentil secret, le sortilège qui nous donne la clef de la beauté des choses, des petites, des laides, des minables, des grandes, des splendides, des ratées, et l’oubli de toutes les vacheries. » (Les Beaux draps)
« L’enfance notre seul salut. L’École. Non à partir des sciences exactes, du Code civil, ou des morales impassibles, mais reprenant tout des Beaux-Arts, de l’enthousiasme, de l’émotion, du don vivant de la création, du charme de race, toutes les bonnes choses dont on ne veut plus, qu’on traque, qu’on vexe, qu’on écrabouille. » (Les Beaux draps)
« Sans création continuelle, artistique, et de tous, aucune société possible, durable, surtout aux jours d’aujourd’hui, où tout n’est que mécanique, autour de nous, agressif, abominable. » (Les Beaux draps)
« Mais je vois l’homme d’autant plus inquiet qu’il a perdu le goût des fables, du fabuleux, des Légendes, inquiet à hurler, qu’il adule, vénère le précis, le prosaïque, le chronomètre, le pondérable. Ça va pas avec sa nature. » (Les Beaux draps)
M.G.
Le Petit Célinien, 30 juin 2012.
La classe de l'école Saint-Joseph des Tuileries (1905). Céline est au 2è rang en partant du haut, et le 2è en partant de la droite. |
Sur le sujet :
> Le Paris de Céline (I) : le square des Arts-et-métiers
> Le Paris de Céline (II) : Clichy-la-Garenne
> Le Paris de Céline (III) : 11 rue Marsollier
Belles photos, belles citations et bien choisies, à méditer.
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