Pierre Assouline a rendu compte du XIXè colloque Céline organisé par la SEC les 6-8 juillet dernier, d'abord dans une version "courte" d'un article paru dans Le Monde des livres du 13 juillet 2012, puis sur son blog, La République des livres, aujourd'hui 19 juillet. C'est ce dernier que nous reproduisons ci-dessous.
Céline, un fantôme à Berlin
Il faut aller en Allemagne avec les céliniens pour entendre parler intelligemment de « Céline et l’Allemagne ». C’était le thème du dix-neuvième colloque international de la Société d’Etudes Céliniennes qui s’est tenu du 6 au 8 juillet à Berlin. De l’avis de nombreux habitués de ces réunions, ce fut un excellent crû. Pas de polémique ni de contestation. Que de l’échange et du débat d’idées entre spécialistes, pas tous universitaires mais tous chercheurs à leur façon, devant un public composé d’étudiants et de professeurs. La contribution de Christine Sautermeister (Université de Hambourg), a été particulièrement remarquée. Elle y a exploré les relations entre Céline et le leader collaborationniste et ministre Marcel Déat à Sigmaringen, château où les Allemands exilèrent le gouvernement de Vichy en 1944-1945. L’écrivain avait donné sa version dans D’un château l’autre (1957) : un ermite acharné à défendre une politique condamnée, un homme avec lequel il avait pris ses distances. Pour connaître celle de Déat, il ne suffisait pas de relire ses Mémoires politiques (1989) ; encore fallait-il éplucher son Journal de guerre inédit aux Archives nationales. On y découvre que leurs retrouvailles régulières, chez le ministre du Travail à l’heure du café, ne sont plus seulement professionnelles mais cordiales. Ce qui trahit un rapprochement certain même si on prend en compte les questions d’intérêt ; or si « Déat dédouane politiquement son « compagnon » en mentionnant son esprit critique vis à vis des Allemands », Céline, lui, prit bien soin d’effacer toute trace de leurs relations, allant même après la guerre jusqu’à le renier.
Margarete Zimmermann (Freie Universität de Berlin) s’est penchée sur les représentations de Berlin dans Nord (1960). « Pluie, soleil, ou neige Berlin n’a jamais fait rire, personne! » écrivait-il. A partir de là, après avoir évoqué le Berlin des voyageurs français de l’entre-deux-guerres, les Béraud, Gide, Martin du Gard, Giraudoux, Soupault, Mac Orlan, Drieu La Rochelle, il était intéressant d’observer l’empreinte du fantôme de Céline sur la jeune littérature contemporaine emberlinisée, qu’il s’agisse de Sophie Calle, Jean-Yves Cendrey, Julien Santoni et surtout de Christian Prigent :
« Son livre Berlin. Deux temps, trois mouvements (1999) renvoie à une série de textes francophones sur cette ville qui, après 1989, est vécue comme un terrain d’expérimentation de nouveaux modes de vie et de nouvelles formes artistiques, une métropole jeune et dynamique mais aussi une chambre d’échos historiques. Comme à la fin de la République de Weimar, la ville attire alors à nouveau les artistes. Les écrivains francophones font partie de ceux-ci et représentent un groupe aussi important que diversifié. Céline est un ‘fantôme’ bien vivant dans cette nouvelle littérature que Berlin est en train de générer. Il ne cesse d’imposer sa présence. »
Céline n’ y a passé que dix jours entre la fin août et le début septembre 1944. Journaliste au Canard enchaîné, David Fontaine a eu à cœur d’étudier sa puissante transposition de Berlin en ville-fantôme et soleil noir en y incluant des images plus anciennes glanées lors de brefs voyages d’études comme médecin de la SDN dans les années trente, puis en 1942 sur invitation des autorités à sa demande. Pierre-Marie Miroux a, pour sa part, apporté un passionnant éclairage sur le délire nordique de Louis-Ferdinand Destouches, de père flamand et de mère bretonne, enraciné du côté du Quesnoy, non loin de Valenciennes, à la source d’« une sorte de boussole intérieure qui l’aimante irrésistiblement vers le Nord », fantasmé comme un lieu féerique de retour aux origines. La contribution du juriste Louis Burkard, futur avocat, consacrée à la délicate question de l’interdiction en droit des pamphlets antisémites de Céline, a impressionné par sa nouveauté. Celle-ci fut d’abord exercée par l’auteur lui-même dès son retour d’exil, et cette volonté de ne pas voir ces trois livres réédités à été prolongé jusqu’à ce jour pas sa veuve. Il les avait retirés de son œuvre. Qu’elle s’appuie sur les droits patrimoniaux plutôt que sur le droit moral, elle n’en reste pas moins fondée sur le droit d’auteur. Jusqu’au 1er janvier 2032. Dès lors qu’un tribunal les jugera digne d’un intérêt historique et documentaire, et qu’ils sortiront dûment encadrés de préfaces et de postfaces, ils devraient échapper à des poursuites pénales pour appel à la haine raciale.
« Aussi bien, on voit que l’interdiction pénale ne revêt plus la même inflexibilité que l’interdiction fondée sur le droit d’auteur. Qu’il y ait accord avec les parties civiles ou défense au nom de l’intérêt historique et littéraire, la réédition future des trois pamphlets de Louis- Ferdinand Céline a des chances d’échapper, enfin, à l’interdiction juridique. »
La haute tenue de l’ensemble des communications fut saluée, à l’exception de celle d’une universitaire venue de très loin qui marmonna durant plus d’une heure dans un français incompréhensible quelque chose sur le rapport métonymique de Céline à la guerre. Reste le mystère inentamé du niveau d’allemand de Céline : « Il le parlait mais dès que la conversation devenait complexe, il passait à l’anglais qu’il maitrisait mieux » a assuré André Derval (Imec) avant de rappeler qu’entre treize et quinze ans, le jeune Destouches avait fait plusieurs séjours linguistiques, en Allemagne tout d’abord : 1907-1908 (Diepholz, Karlsruhe), puis en Angleterre en 1909 (Rochester, Broadstairs). Céline n’aimait pas cette langue qui lui cassait les oreilles, et par laquelle il disait n’entendre que des ordres, des cris, des injures et jamais de poésie. Mais aimait-il les Allemands à défaut de leur langue ? Au terme d’une contribution fouillée, Pascal Ifri (Washington University) conclut que, si il a éprouvé de la sympathie pour eux tant qu’Hitler pouvait gagner la guerre, il les a détestés à nouveau dès que cette perspective disparut. Le reste, tout aussi riche, en janvier lorsque la Société d’études céliniennes publiera les actes du colloque.
Un mot encore. Juste une question d’organisation. L’hôtesse du colloque a très bien fait les choses au Frankreich zentrum de la Frei Universität Elle en a d’autant plus de mérite que c’était une solution de remplacement. En effet, depuis de nombreuses années, la Société d'études céliniennes tient ainsi conclave savant tous les deux ans, une fois sur deux en France (à la BnF par exemple) et l’autre à l’étranger dans les Instituts français. Ce fut le cas à Milan, Budapest, Prague, Amsterdam ; cela aurait dû l’être à Berlin après que son président Me François Gibault en eut fait la demande auprès de l’ambassadeur Maurice Gourdault-Montagne et de son conseiller culturel Charles Malinas. Mais il essuya un refus au motif que le centre culturel et l’Institut français de Berlin se donne pour objectif de « promouvoir la littérature française de l’extrême modernité à travers des auteurs susceptibles de pouvoir présenter eux mêmes leurs œuvres au public allemand » ; il écrivit à nouveau en rappelant qu’il ne sollicitait que la mise à disposition de leur amphithéâtre ; cette fois, sa lettre demeura sans réponse. « On ne leur demandait pas d’organiser quoi que ce soit ! On n’a même pas pu obtenir qu’ils mettent notre programme dans leurs présentoirs. C’est nul ! ». Manifestement, quand on représente la France en Allemagne, il reste toujours quelque chose d’un passé qui ne passe pas.
Pierre ASSOULINE
La République des livres, 19 juillet 2012.
La République des livres, 19 juillet 2012.
Nous remercions l'auteur d'avoir bien voulu nous autoriser à reproduire cet article.
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