Lisibilité et idéologie, le cas du texte célinien
par Danielle RACELLE-LATIN
«
J'écris pour les rendre tous illisibles. »
L.-F. Céline.
Le refus de souscrire aux
codes linguistiques et culturels qui fondent la lisibilité du roman
bourgeois caractérise l' « intentionnalité » des écrits
céliniens. Nous plaçons le mot entre guillemets parce qu'il ne fait
que renvoyer à l'appréciation de l'écrivain sur sa pratique
littéraire. Sans augurer du niveau d'objectivité qu'elle manifeste,
il nous faut d'entrée de jeu constater que cette évaluation fut
corroborée par le public et sanctionnée par le désintérêt dans
lequel sont tombées les dernières productions céliniennes :
Guignols Band, Le Pont de Londres, D'un Château l'autre et
plus encore Rigodon, Nord ou Féerie pour une autre fois
sont actuellement des textes « illisibles ».
L'ostracisme dont cette
production fait l'objet ne peut pas que tenir à la compromission de
leur auteur vis-à-vis du national-socialisme et de l'antisémitisme
à une époque qui précédait de peu la seconde guerre mondiale. Le
fait est inhérent à la nature de la production elle-même, laquelle
ne fait qu'accuser une altérité déjà présente, mais à titre
latent, dans les deux premiers romans Voyage au bout de la nuit et
Mort à crédit, tous deux cités en bonne place (relative)
dans les ouvrages normatifs sur la littérature du xxe siècle.
On pourrait invoquer ici,
à titre d'hypothèse explicative, la théorie du saut qualitatif.
Les premiers textes de Céline contiendraient en eux des signes de
différence quantitativement limités et donc latents, qui, en
s'accroissant progressivement, auraient produit une brusque mutation
qualitative, mutation que l'on peut assurément faire coïncider avec
l'éclatement opéré dans la forme de communication antérieurement
adoptée. Le passage du roman polémique au pamphlet, de la fiction à
l'Histoire, manifeste chez l'écrivain un processus de réification
des phantasmes et, au point de vue du lecteur, atteste la
désagrégation d'une médiation littéraire acceptable
antérieurement. La subversion idéologique du texte célinien
restait lisible tant qu'elle s'accommodait d'une médiation
littéraire conforme à la pratique idéologique de la lecture
bourgeoise. Son caractère fondamental, l'incongruité, devenait par
contre irrecevable à partir du moment où, poursuivant sur sa lancée
anarchique, le texte projetait son altérité et sa duplicité
jusqu'à la transgression du code « fiction littéraire » et
faisait passer sans guillemets son discours fictionnel et délirant
dans le champ de l'Histoire. La sanction d'une telle transgression
est celle de la folie, ultime ostracisme de l'institution sociale.
L'exemple tend à
illustrer que ce n'est pas le contenu idéologique explicite de la
communication qui détermine l'acceptabilité ou la non-acceptabilité
du discours littéraire, mais sa « forme idéologique »
c'est-à-dire sa conformité ou sa non-conformité aux codes de la
lisibilité littéraire. C'est le reniement jugé pathologique des
codes de la littérarité qui condamne le discours célinien à ne
plus être entendu. Les pamphlets eux-mêmes et leur délire de
persécution antisémite fussent restés à la rigueur « lisibles »
pour autant que le lecteur eût pu être convaincu, ainsi que Gide
tenta de le dire, de leur caractère « poétique ».
La seule véritable
transgression est celle qui porte sur la typologie des discours
implicitement reconnue par l'idéologie. Un texte devient irrecevable
du fait qu'il trahit le type de discours auquel ses caractéristiques
linguistiques, rhétoriques et idéologiques le destinaient dans la
conscience sociale. Le pamphlet célinien transgresse et violente
irrémédiablement cette conscience sociale parce qu'il se donne à
lire tout à la fois pour un discours politique (référentiel,
didactique et performatif) et comme un pur jeu poétique, ballet
verbal connotant ironiquement sa propre pratique. Eût-il été poème
ou discours politique qu'il aurait été encore justiciable d'une
appréciation idéologique — fût-elle négative — et donc «
lisible ». Mais par son équivoque formelle il tombe hors de
l'espace idéologique, dans la folie. Il ouvre un lieu d'ambiguïté
insoluble, produit d'une double destruction : celle du discours
politique par le poème, celle du poème par le discours politique.
Fiction et Histoire sont renvoyées dos à dos dans une même
dérision et le texte sort du sens parce qu'il a brouillé les
clivages fondamentaux (discours politique/littéraire), autrement dit
les codes de repérage idéologique de la signification.
Ce phénomène de
transgression joue bien entendu également à l'intérieur d'un type
de discours donné. Ici, en l'occurrence, le discours littéraire.
Les « romans » céliniens nous en fournissent un bel exemple. On
peut dire que les deux premiers romans, Voyage au bout de la nuit
et Mort à crédit, bien que subversifs, sont « lisibles
» tandis que les derniers, transgressifs, ne sont plus acceptables
pour le lecteur-consommateur de romrans.
Le texte subversif est
lisible parce qu'en dépit de ses écarts il continue à se conformer
à une typologie générique particulière (ici celle du roman),
tandis que le texte transgressif opère une destruction radicale du
code générique régulateur.
La typologie de base du
genre romanesque est bien connue. Disons pour résumer les choses
schématiquement qu'il s'agit d'un discours principalement
représentatif d'une fiction, laquelle représente à son tour une
épreuve de la négativité assumée par un héros, cette crise étant
réversible.
Le Voyage au bout de
la nuit présente les signes certains d'une pratique
transgressive des codes littéraires, mais s'exerçant dans les
limites typologiques du discours romanesque. Aussi bien, en raison de
cette visée romanesque avouée, cette transgression sera-t-elle
récupérée esthétiquement comme forme signifiante d'une négativité
purement fictionnelle.
Dans le Voyage, la
subversion de la langue littéraire (langue écrite) par l'intrusion
d'une oralité désublimante (vulgarismes, argot, incongruités,
etc.) est le support d'une transgression idéologique (marques
d'extranéité culturelle, vision du monde antihumaniste, critique
radicale des valeurs sociales et morales...). Mais celle-ci, parce
qu'elle s'inscrit dans le cadre d'une fiction romanesque (expérience
fictive de la négativité) et, bien qu'elle soit le fait du
narrateur et non du seul personnage, est renvoyée à la secondarité
littéraire. La négativité idéologique de l'écriture devient «
lisible » parce qu'elle prend valeur de forme signifiante connotant
la négativité d'une fiction. De ce fait elle est récupérée et
positivée : la subversion initiale du code « langue littéraire »,
inscrite dans la pratique de l'écriture célinienne, devient un code
d'enrichissement de cette langue littéraire même. Nous voudrions
succinctement illustrer ce processus.
Manuscrit de Voyage au bout de la nuit |
La transposition de
l'effet de parlé à la langue écrite constitue dans le Voyage un
fait d'écriture dont la portée est effectivement transgressive : sa
fonctionnalité vise en effet à renverser le code romanesque fondé
sur la représentation d'une histoire vraisemblable pour lui
substituer un texte. Mixte de langue parlée et de langue littéraire
cette écriture brasse, pour les subvertir réciproquement, un nombre
considérable de codes linguistiques et littéraires, lesquels
renvoient à des signifiés ou des présupposés culturels : l'argot,
la parlure populaire sont les codes linguistiques d'un niveau social
et d'un ethos particulier (mythe social de la « mentalité populaire
»). Par leur utilisation en contexte littéraire, ils acquièrent en
sus la valeur de code esthétique : ils signifient un genre existant,
celui du populisme. La langue écrite et soutenue quant à elle
renvoie à des signifiés diamétralement opposés tant au niveau
socio-linguistique que littéraire : pratique conforme au code de la
bourgeoisie, elle ne marque dans le roman aucune socialité
particulière et se donne à lire comme un langage du subjectif, du
psychologique, comme un code adéquat à l'idéalité bourgeoise.
L'écriture active est ici un jeu réellement dialectique dans la
mesure où elle vise à brouiller la transparence de ces codes de
lecture. Par sa fonction mimique (et non simplement mimétique), elle
rend mobiles les signifiés par rapport aux codes qu'elle traverse et
attaque leur taxinomie. Ainsi les signes de la langue parlée,
populaire, y sont-ils déplacés de leur signifié social de telle
sorte qu'ils prennent progressivement (au cours de ce qui serait une
écriture-lecture) fonction de signifiants strictement textuels.
Pour nous limiter à un
exemple simple, nous citerons le cas du rappel du pronom, tournure
syntaxique utilisée systématiquement par la narration. Celle-ci se
donne d'abord à lire, conformément au code, comme signe d'un usage
populaire chargé du pouvoir de connoter la marginalité du locuteur
par une intonation d'invective ou de ressentiment social.
Innombrables sont les phrases du type : « Tu parles si ça a dû le
faire jouir, la vache ! » / « Le jour on les aurait bien bousillés
jusqu'aux essieux, ces salauds-là », qui se caractérisent par le
rappel du pronom sujet ou complément ou de l'un et l'autre en
combiné (« Je le connaissais le Robinson moi » / « C'est même ce
jour-là, je m'en suis souvenu, depuis qu'il a pris l'habitude de la
rencontrer dans ma salle d'attente, la vieille Henrouille, Robinson
»).
Cette structure est
cependant génératrice de tout un travail de déconstruction
rationnelle de la phrase qui affecte tout aussi bien les registres de
la langue écrite et littéraire que ceux de la langue parlée
(populaire, trivial, familier). Un même schème de dénotation
rythmique en perturbe la distinction :
«
C'est un quartier qu'en est rempli d'or, un vrai miracle et
même qu'on peut l'entendre le miracle à travers les portes avec son
bruit de dollars qu'on froisse, lui toujours trop léger le Dollar,
un vrai Saint-Esprit, plus précieux que du sang. »(1)
«
Elle les tenait déjà d'ailleurs la misère au cou, au corps,
les mignonnes, elles n'y couperaient pas. Au ventre, au souffle,
qu'elle les tenait déjà la misère par toutes les ondes de leurs
voix minces et fausses aussi... »
(2)
Du registre populaire
cette structure verbale se médiatise jusqu'à rejoindre enfin le
style impressionniste des passages « littéraires » transcrits en
style soutenu :
«
Chaque fois, au départ, pour se mettre à la cadence, il leur
faut du temps aux canotiers. La dispute. Un bout de pale à l'eau
d'abord et puis deux ou trois hurlements cadencés et la forêt qui
répond, des remous, ça glisse, deux rames puis trois, on se cherche
encore, des vagues, des bafouillages, un regard en arrière vous
ramène à la mer qui s'aplatit là-bas, s'éloigne et devant soi la
longue étendue lisse contre laquelle on s'en va labourant, et puis
Alcide encore un peu sur son embarcadère que je perçois loin
presque repris déjà par les buées du fleuve, sous son énorme
casque, en cloche, plus qu'un morceau de tête, petit fromage de
figure et le reste d' Alcide en dessous à flotter dans sa tunique
comme perdu déjà dans un drôle de souvenir en pantalon blanc. »
(3)
Le clivage langue
populaire /langue littéraire s'en trouve transgressé au profit
d'une écriture qui n'est plus socialisable et qui ne codifie plus
effectivement que les signifiés textuels fondamentaux : révolte et
impuissance, chaos et relâchement, ballottement débile d'une
déviance qui n'est plus celle d'un sujet « situable » dans
l'espace social, mais celle de la société tout entière. L'écriture
se fait ainsi métalangage poétique, compétence purement rythmique
où se forment et se déforment dans un grand mouvement négateur de
sac et de ressac les différentes physionomies sociales et
culturelles de la performance linguistique qu'elle réduit à une
équivalence symbolique dans la négativité.
La « parole » narrative
issue de cette pratique subversive de la langue ne peut plus être
mise au compte du personnage ou du narrateur fictif que si l'on se
rend dupe du jeu de trompe-l'oeil qu'affiche pourtant la nature
mimique de l'écriture. Par son allure populaire et argotique
celle-ci motive bien en apparence la situation des héros dans
l'espace socio-linguistique et socio-idéologique du monde fictionnel
(personnages déclassés, argotiers, réfractaires à l'ordre social)
ainsi que l'action narrative comme procès de déviance sociale. Mais
cette illusion s'affiche comme illusion, le réalisme stylistique
étant détruit par les inconséquences volontaires de la « parole »
(attribution de parlure argotique ou vulgaire à des personnages
bourgeois secondaires, registre tantôt populaire tantôt soutenu de
la narration). En avouant sa fabrique artificielle l'écriture se
montre sans cesse et tend à détruire l'illusion romanesque.
Une relecture du texte
permettrait par ailleurs de constater que bon nombre de séquences
narratives ne sont effectivement que des métaphores discursives «
objectivées » ironiquement dans l'espace diégétique. Ainsi par
exemple la métaphore de la galère-société présente dans
l'ouverture-programme du texte est-elle l'origine de la séquence
fantastique de l'« Infanta Combitta », galère espagnole à
laquelle Bardamu sera vendu par un prêtre africain pour être
conduit dans le « nouveau monde ». Ici encore l'écriture pointe
comme surdétermination ironique de la fiction. La subversion du
genre et l'utilisation d'une intertextualité complexe dans le roman
(conte, satire, picaresque fantastique) découle en droite ligne de
la pratique démotique de l'écriture qui se fonde sur la
transgression du code « langue littéraire ». De même que
l'écriture se constitue par le mixage fantaisiste de niveaux
incompatibles de la langue, de même le texte littéraire fonctionne
comme confrontation incongrue des codes génériques propres à la
langue littéraire. Et ce, afin d'attaquer la fonction de
représentation de la littérature mais surtout, à travers elle,
cette représentation même du monde qu'elle autorise.
On peut constater
néanmoins que cette textualité n'a opéré qu'un blocage temporaire
à la lisibilité du Voyage au bout de la nuit. La critique,
un instant déroutée, eut tôt fait de récupérer cette incongruité
« expressive » comme l'indice d'une nouvelle systématique formelle
qui sauve la cohérence esthétique de « l'oeuvre » en même temps
que sa lisibilité comme roman, c'est-à-dire comme langage médiat
de la Valeur.
L'usage d'une parole
narrative traversée par des discours incompatibles, les
contradictions de l'oeuvre ainsi que son hétérogénéité du point
de vue des genres peuvent en effet se fonder en « pertinence
expressive » aux yeux de cette critique du fait que le roman
représente un héros déclassé (populaire), engagé dans une
épreuve de délaissement moral et social. Ainsi son univers de
représentation ne peut-il être lui-même qu'un « chaos en suspens
» (expression de Bardamu, le héros de l'aventure). C'est cette
expressivité que l'esthétique du roman « représente » à son
tour par le chaos des codes de la langue et de la littérature. La
forme n'est là que pour confirmer à titre homologique le sens
psychologique de la fiction, l'expérience d'une anomie individuelle,
l'épreuve d'un « voyage au bout de la nuit ».
La narration ne fait que
représenter la fiction. Le livre ne s'ouvre-t-il as sur une rupture
de silence (« Ça a débuté comme ça. Moi j'avais jamais rien dit.
Rien. ») pour se clôturer sur un retour au silence (« Et qu'on
n'en parle plus ») identifiant donc acte de narration et de
représentation, mais au profit de cette dernière évidemment ? Le
travail de l'écriture est ramené aux dimensions de la « parole »
du héros et c'est à travers le code populiste préexistant, en
fonction de la marginalité sociale du personnage qu'il pose, que
seront rationalisées les subversions textuelles. La lecture est de
ce fait à nouveau permise. Le texte voit sa négativité effective
récupérée au ciel de l'idéalité esthétique. La subversion des
codes littéraires telle que la pratique le Voyage peut ne pas
être comprise comme une remise en question de la lisibilité
romanesque et de l'idéologie qu'elle présuppose. Le Voyage
est bien un roman à forme originale qui « représente » la mise en
question individuelle de l'ordre social par la « parole » d'un
héros négative, et qui signifie cette négation fictionnelle selon
la logique des codes littéraires : leur utilisation chaotique
n'empêche pas qu'ils continuent de signifier (dialectiquement)
l'ordre, le sens, la valeur. Bien au contraire puisque cette
destruction ironique représente précisément dans l'oeuvre
l'expérience d'une enténébration de ceux-ci.
Cette lisibilité du
Voyage au bout de la nuit que nous retraçons succinctement,
et de façon un peu sournoise, révèle la clôture idéologique de
toute lecture. Elle laisse également supposer la nature
réactionnaire du phénomène d'esthétisation.
Le processus
d'esthétisation semble bien être proportionnel au travail de la
subversion littéraire : plus le texte réalise dans sa pratique une
destruction de la représentation du monde conforme à l'idéologie,
plus cette négativité sera récupérée esthétiquement. Encore
faut-il qu'il n'y ait pas transgression du code de lisibilité
fondamental. Dans le cas du Voyage, la subversion des codes
littéraires s'accommode bien, en effet, du type du discours
romanesque puisque la parole s'y présente encore, fût-ce
illusoirement, comme celle d'un personnage engagé dans une fiction
ou dans le récit de cette fiction. Tel sera encore le cas pour Mort
à crédit, en dépit de l'intensification des formes de la
subversion verbale que cette seconde production manifeste (emploi
systématique de l'effet de parlé, vulgarismes, argot,
déconstruction rationnelle plus grande de la phrase linguistique et
de la phrase narrative). Par contre, dans les dernières productions
de Céline, la subversion, en accentuant encore davantage les écarts
au genre romanesque, aboutit à une transgression visible; le support
de la lisibilité fictionnelle, à savoir le personnage, disparaît :
c'est l'écrivain Céline qui « parle » désormais et la « réalité
» que le langage désintègre comme la négativité que cette
destruction véhicule ne trouvent plus par conséquent leur code de
médiation. La superposition chaotique des genres (épique,
satirique, historique, fantastique, poétique, auto-biographique,
romanesque...) y est systématisée au point qu'aucun de ces codes
génériques ne peut plus être pris comme code de base ou comme type
de discours régulateur d'une lisibilité acceptable. Le langage
résiste ici comme phénomène irréductible. Que cette transgression
soit le fait de la folie, du délire autistique ou d'un refus
concerté de faire de la littérature autrement qu'en la
déconstruisant, c'est là un problème de lecture critique qui ne
concerne pas le lecteur-consommateur de sens, lequel se contente de
sanctionner l'altérité de l'écriture en refermant le livre.
Dans les limites du
discours littéraire, tout écrit est lisible pour autant qu'il se
codifie conformément à un type générique. Les subversions
apportées à ce type de base, si elles troublent la sécurité
idéologique du lecteur, n'en sont pas moins récupérables
esthétiquement, pour autant qu'elles n'attaquent pas sa norme
d'interprétation.
Les formes subversives se
déchiffrent dès lors comme connotations ou comme signifiants
d'enrichissement du code fondamental et leur négativité vient
renforcer le système de récupération de la lisibilité.
Les formes
transgressives, par contre, parce qu'elles attaquent la lisibilité
dans ses fondements, font sortir de l'idéologique. Elles sont
historiques et dialectiques. Les formes subversives du discours
romanesque ne sont lisibles que si elles sont computables,
c'est-à-dire susceptibles de s'inscrire comme des célébrations
ornementales dans le temps institutionnalisé de la fiction. Fiction
qui ne reste omniprésente dans la lecture que parce qu'elle est le
garant du caractère strictement individuel, accidentel, non
historique de la négativité. Récemment Charles Grivel, dans son
ouvrage sur La Production de l'intérêt romanesque, rappelait
notamment, en termes peu suspects d'essentialisme, le caractère
nécessairement mythique de la lecture comme recouvrement de
l'origine à travers le temps du lire. Le plaisir de lire n'est là
que pour permettre celui de la relecture. Le temps romanesque, comme
chute ou émergence dans la négativité, n'est présenté que pour
réactiver la force hypnotique du temps idéologique, temps antérieur
et postérieur à la fiction lisible. La lecture comme pratique
idéologique épouse donc la structure circulaire qui conduit le sens
du même au même à travers un espace qui ne peut être que tracé
d'avance.
Déplacée
phantasmatiquement du réel historique à la fiction, la négativité—
nous dirions plus volontiers l'Historicité, lieu de travail des
formes et du sens — peut être ainsi reniée pour autoriser
l'aveuglement mythique, l'obturation de la conscience historique en
idéologie, temps du prototype, temps du code, origine, dirait
Grivel.
La négativité, pour
autant qu'elle se donne à lire dans le roman, fût-elle accusée en
des termes particulièrement subversifs, n'empêche donc pas pour
autant le lecteur de « danser en rond » c'est-à-dire d'opérer une
récupération euphorique et limitatrice du texte en le délestant de
son altérité effectivement dialectique. Et ce, en fonction du code
générique lui-même, qui autorise, par le processus de récupération
esthétique, la lisibilité idéologique des « oeuvres ».
Danielle RACELLE-LATIN
Littérature, n°12, 1973,
pp.86-92.
Notes
1. Voyage au bout de la nuit,
Paris, Éditions Balland, 1966, p. 142.
2. Ibid., p. 265.
3. Ibid., p. 120.
Epargnez-nous les texticules de cette passionaria 70 ! Assez l’avons-nous subie en son temps ! Depuis elle est parvenue à rendre illisible Simenon ! C’est dire...
RépondreSupprimerQuel jargon ! quel ronron... qui faisait fureur, posait son chercheur, à la Faculté n°7, couloir 68... discours pédant, codifié, illisible, pesant... narcissique, pseudo-scientifique... toute une époque ! tout ça, 300 pages, pour démontrer que Voyage était un roman sans profondeur ni authenticité, réactionnaire, fabriqué à partir de recettes à la mode en vue d'un succès de vente... ce qu'elle aurait pu faire avec Rabelais ou Balzac...
RépondreSupprimerAh mais elle était gironde DaRaLa, plutôt belle môme, j’ai connu des escarmouches farouches à son propos, d’un célinien parisien qu’en était vert, qui parlait de pocher les yeux d’un quidam qui avait déclaré que son mari était plus beau qu’elle, enfin tout un micmac, et que je fus chargé de modérer. C’était le bon temps, à Liège, vers 1975. On s’empoignait pour des riens, dans ce temps-là. Pour un mot, une intention. Tout finissait toujours dans les palabres, heureusement. Impuissance des intellos.
RépondreSupprimerEnfin DaRaLa consentait à « communiquer »... Ouch la débandade ! plus d’amoureux, plus d’intellos batailleurs, juste un public contrit, n’y comprenant mie, et une furieuse envie de foutre le camp ! Fallait rester : c’était dans le contrat.
Quelle belle époque, quand même !