Documentaire Louis-Ferdinand Céline, une légende, une vie de 1976 (durée 1h05) réalisé par Claude-Jean Philippe et Monique Lefevre. Vous pourrez y entendre le Dr Wuillemin, François Gibault, Eliane Bonabel, Michel Simon, Arletty, Raphaël Sorin, le Pasteur Löchen et Philippe Sollers.
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mercredi 31 octobre 2012
mardi 30 octobre 2012
« Une guerre dite pour une autre » : L.-F. CÉLINE - Louis GUILLOUX par Yves PAGÈS
UNE GUERRE DITE POUR UNE AUTRE
dans Voyage au bout de la nuit de L.-F. Céline et Le Sang noir de Louis Guilloux.
par Yves PAGÈS
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Céline a trente-huit ans quand parait Voyage au bout de la nuit et Guilloux trente-six quand paraît Le Sang noir. Comme s'ils avaient dû prendre du recul avant d' élaborer un dispositif romanesque capable de mesurer l'impact de la Grande Guerre sur leur génération. Mais ce recul ne tient-il pas d'abord à leur biographie respective ?
Issu de la petite bourgeoisie boutiquière, Céline quitte le collège à quinze ans et demi pour entrer en apprentissage. Issu d'une famille d'artisans modestes, Guilloux, boursier puis pion, abandonne ses études à dix-sept ans pour vivre de « petits métiers ». Dans l'après-guerre, ils vont tous deux profiter de leur expérience informelle d'autodidactes pour renouer avec des institutions culturelles ou universitaires , le premier en passant sa thèse de médecine, l'autre en devenant lecteur d'anglais à l'Intransigeant. Mais si ces parcours existentiels semblent voisins, un premier distinguo s'impose. Céline a côtoyé un milieu, et surtout un père, réactionnaire et antisémite. Guilloux a hérité d'une tradition paternelle socialiste. Ces ancrages familiaux antagoniques transparaissent clairement dans deux romans consacrés aux années 1900. Dans Mort à crédit, Céline s'attribue par
l'entremise de ses oncles, une existence fictive aux côtés des
apôtres de l'idéalisme scientiste. Dans La Maison du peuple,
Guilloux rend hommage au principe coopératif de solidarité sociale
pour lequel son père avait milité. Ces fictions rétrospectives ont
cependant un point commun, elles butent toutes deux sur l'imminente
catastrophe de 14-1 8. Comme si, dans les deux cas, il s'agissait
bien de faire son deuil des utopies dont la Belle Epoque semblait
porteuse et de souligner, a contrario, la fracture
qu'introduira la guerre au sein de la société et des consciences.
Autre différence
essentielle entre Céline et Guilloux. Le premier, engagé volontaire
en 1912 a eu une expérience du front, brève mais traumatisante;
tandis que son cadet a échappé de peu à la mobilisation de sa
classe d'âge. Observons cependant que le convalescent, puis réformé,
Louis Destouches et l'épargné de justesse Louis Guilloux, ont pour
des raisons distinctes vécu la majeure partie de ces quatre années
de conflit à l'arrière ou à l'étranger. A peu de choses près,
l'entrée en guerre se doubla pour eux d'une entrée dans la vie
active. Elle ne fut donc pas une expérience à sens unique de la
mort - dans la chair du jeune soldat Céline ou dans l'entourage du
jeune surveillant Guilloux, mais aussi une période d'intense
maturation intellectuelle. D'où ce constat paradoxal : leurémancipation mentale et
existentielle fut en grande partie conditionnée par la culture de
guerre.
Dès lors, on saisit
mieux pourquoi Céline et Guilloux n'ont pas participé à la vogue
des romans de Poilus des années vingt. Contrairement à ces repentis
du pacifisme de la Belle Epoque et à ces rescapés de la folie
meurtrière de 14-18, ils constituaient plutôt les mutants de la
génération suivante, à la fois objecteurs impuissants et rescapés
malgré eux de l'Union sacrée des consciences. D'où sans doute ce
délai d'incubation spirituelle qui les amena à différer leur
transposition littéraire de la Grande Guerre. Il appartenait aux
survivants des tranchées de témoigner à chaud, sinon à vif, de
leur calvaire. A l'inverse, les victimes civiles de la propagande
belliciste de masse devaient prendre du recul pour mieux analyser la
part maudite de cette guerre vécue et intériorisée plus
insidieusement. La maturation si tardive de Voyage et du Sang
noir suffit à montrer la difficulté de leurs auteurs à tourner
la page de ces charniers patriotiques, comme s' il ne s'agissait plus
seulement de rendre compte de sa sauvagerie interne, mais de revenir
sur une scène primitive de la barbarie de l'extérieur, de sonder
cet abcès de fixation morbide en portant un diagnostic sur
l'ensemble du corps social, d' interroger la guerre à partir des
responsabilités collectives de la Paix.
D'une même voix, Céline
et Guilloux nous annoncent que le Front n'était pas là où l'on
croyait. Privée de ses « boches
» émissaires officiels, la Première Guerre mondiale, romancée
presque par défaut, apparaît ici comme essentiellement intestine.
La barbarie belliciste, remise sur ses pieds dirait Marx, est à la
fois l'objet et le sujet d'un nouveau Front intérieur, divisant le
corps social en deux camps retranchés d'un côté les
soldats-figurants aux confins des frontières de l'invisible ; de
l'autre , les paisibles spectateurs de l'arrière. Pour Céline et
Guilloux , ce Front intérieur est d'abord un mur d'incompréhension.
C'est la séparation forcée des masses civiles et combattantes, qui,
par un jeu complexe de mystifications mutuelles, perpétue
l'auto-légitimation de la guerre. Le premier défi du Sang noir
et de Voyage tient à cela : transgresser la loi du secret
qui a mis deux humanités en quarantaine. Chacun à sa façon ,
Céline et Guilloux révèlent l'endroit et l'envers de cette double
aliénation. Céline décrit l'irréalité de l'arrière du point de
vue d'un soldat comme revenu d'outre-tombe ; et Guilloux l'irréalité
de l'hécatombe en cours du point de vue des notables d'une petite
ville de province. Ces sentiments d'irréalité semblent d'ailleurs
se répondre et faire du Voyage et du Sang noir des
romans strictement complémentaires, l'un prenant l'autre comme
référent implicite, et réciproquement.
Pour Bardamu, rescapé du
champ d'honneur, l'arrière-monde des civils apparaît sous un jour
absolument « mensonger ».
Tout y est désormais spectacle : «
journées » et « quêtes
» pour les blessés, stand de tir de fêtes foraines,
arrière-boutique réaménagée en bordel clandestin, tournée
théâtrale en hôpital militaire, etc. Ces insidieuses mises en
scène aboutissent à ce constat définitif : «
Bientôt, il n'y eut plus de vérité dans la ville »
(4). Comme si la théâtralisation des réalités de l'arrière par
la propagande de masse dépassait la vision fantasmatique que s'en
faisaient au même moment les soldats consignés au Front. On
retrouve, dans Le Sang noir, le même type de festivités
illusoires qui , a contrario, servent à dédramatiser la
perception du conflit par des non-combattants : un musée du Front
dans le parloir du lycée, un canon pris aux ennemis dans la cour, un
hôpital dans la sa lle des fêtes, une remise de la légion d'honneur dans la bibliothèque. Toutes ces mises en scène patriotiques
donnent au hors champ de la bataille une réalité fictive que seul
Cripure a l'honnêteté cynique d'assumer comme telle : «
La guerre n'est qu 'un conte. Un conte sanglant, mais un conte »
(5). De part et d'autre de cette scénographie irréelle, le
drame militaire semble se jouer sans acteurs. Il ne subsiste, face à
face, que deux sortes de spectateurs, la masse des jeunes conscrits
et l'élite de leurs notabilités parentales, toutes deux « dupées
», selon Guilloux; et
deux sortes de « voyeurs
» chez Céline,
hypnotisés soit par le spectacle incendiaire du front, soit par
celui du « théâtre»
civil qui « était partout » (6).
Mais cette aliénation
mutuelle n'est encore qu'un effet, plus ou moins intériorisé et
extrémisé, de l'Union sacrée des consciences, un impact indirect
de l'état de guerre sur l'état des esprits combattants ou non. Or
dans ce « monde à l'envers »,
selon l'expression célinienne, la guerre a aussi une puissance de
révélation. Elle pousse à leur limite des comportements qui lui
préexistaient. DansLe Sang noir, elle
met à nu la véritable nature d'un huis clos bourgeois et
provincial. Et, à observer de plus près dans cet oeil du cyclone a
priori paisible, on s'aperçoit qu'une guerre larvée s'inscrit en
filigrane dans chaque entrelacs du tissu social. Dès lors, tout peut
s' inverser aux yeux du lecteur. Est-ce le climat belliciste qui
conduit le professeur Nabucet à profiter des petites orphelines,
appliquant ainsi érotiquement un principe de philantropie
patriotique ? Ou n'est-ce pas plutôt cette perversion propre à
l'économie même de la charité qui suscite logiquement cette
machine à faire des pupilles de la Nation qu 'est la guerre? Le père
de Simone n'a-t-il pas expulsé deux vieilles femmes pour prendre
leur logement et, en guise de trophée pour cet acte de guerre
notarial, fait empaillé leur perroquet ? Ce ne sont ici que deux cas
limites parmi tant d 'autres, mais ils suffisent à démontrer qu'aux
yeux de Guilloux, la guerre n 'est à son tour que l'ultime
conséquence d'une morbidité sociale antérieure, l'exutoire
homicide d'un principe de cruauté latent. Et si les alter ego des
copistes flaubertins, Moka et Glâtre, ne cessent de capitaliser des
Images d'Epinal, c'est aussi parce que symboliquement la société
capitaliste n 'est jamais que le musée de ses guerres précédentes.
« Notre paix hargneuse
faisait dans la guerre même ses semences »
(7) , concluait déjà en ce sens Céline.
On sait d'ailleurs
combien l'auteur du Voyage a mis en relief les «
instincts de mort » des
héros malgré eux du front et des civils « pousse-au-crime ».
On sait aussi combien il a mis à nu la servitude volontaire des
masses enrégimentées ou laborieuses, empruntant alors les accents
mêmes de Cripure. Mais, là encore, il faut insister sur un point :
la guerre n'est jamais pour lui que la globalisation d'un rite
sacrificiel millénaire et, a contrario, la paix une guerre
civile « en suspens ».
D'où cet incroyable détour fictionnel qui conduit Bardamu à
retrouver les symptômes morbides de la guerre dans la brousse
coloniale, puis dans la misère urbaine New-Yorkaise, sans qu'au
terme de ce voyage, l'auteur ne précise jamais le moment de
l'armistice, comme si les conditions objectives de la guerre se
survivaient indéfiniment à elles-mêmes.
Selon deux dispositifs
narratifs complémentaires, Guilloux inscrit la guerre dans
l'histoire faussement paisible des rapports sociaux capitalistes et
Céline, lui, la voit se perpétuer sous les faux-semblants
misérables de la paix des années vingt. Mais s'ils devan cent ainsi
le précepte d'Orwell sur l'inclusion permanente de la guerre dans la
paix, leurs romans s'efforcent cependant de distinguer un espace
charnière, une zone de passage entre les premières lignes du combat
et l'arrière. Chez Guilloux, c'est l'école qui constitue ce curieux
sas de décompression au tour duquel s'organise toute l'architecture
romanesque. Chez Céline, c'est plutôt l'hôpital.
Une fois encore, ces deux
espaces vont de pair. Dans Le Sang noir, une partie du lycée
est convertie en hôpital. Dans Voyage, les « blessés
troubles » sont logés
dans un « lycée d'
Issy-les-Moulineaux, organisé bien exprès pour recevoir et traquer
doucement ou fortement aux aveux, selon les cas, ces soldats (...)
dont l'idéal patriotique était simplement compromis ou tout à fait
malade » (8). Car, à
bien des égards, ces institutions sont complémentaires. Le lycée,
comme lieu de transmission des connaissances, conditionne d 'abord
les futurs soldats que l'hôpital, comme lieu de cure, accueille de
retour du front. Dans les deux romans, la militarisation insidieuse
de ces lieux intermédiaires, conduit à leur faire jouer strictement
le même rôle. Il s'agit de «
rééduquer »
cliniquement ou moralement, ces corps ou ces psychés invalides, afin
de mieux les sacrifier par la suite. Le parallèle est d'autant plus
frappant que le psychiatre Bestombes dans Voyage et le
professeur Nabucet dans Le Sang noir parlent et agissent de
concert. Le premier prétend traiter les mutilés «
par l'électricité pour le corps et pour l'esprit, par de
vigoureuses doses d 'éthique patriotique, par de véritables
injections de morale reconstituante ! »
(9). De même, le second convie Georges, le fils cul-de-jatte des
concierges, à « chanter ».
en « brave » pour mieux
combattre son « cafard »
défaitiste. A la sophist ique de Bestombes, démontrant que le
patriotisme est d'essence altruiste tandis que la peur est égoïste,
répond celle de Nabucet , démontrant que les « poilus eux-mêmes
n'acceptent la maladie et la mort »
que « pour le triomphe de la culture »
(10). En recyclant les esprits et les corps, leurs discours épousent
le cercle vicieux de la guerre : celui d 'une «
récupération » clinique
des corps valides au service de la Patrie qui se confond désormais
avec la récupération des faits d'armes patriotiques par une morale
bourgeoise qui risquait de se désincarner.
Dans Voyage, seul
Bardamu, soumis à la théâtralisation permanente de l'hôpital,
comprend que les figurants-soldats sont devenus les souffre-douleur
du « monde civil et sanitaire ambiant »
(11), malades du voyeurisme de leurs sacrificateurs. Comme si la
guerre, issue d'une perversion collective sado-masochiste ne pouvait
combattre cette maladie de l'âme humaine qu' en saignant et amputant
les membres inférieurs du corps social. Et l'espace clinique est
bien à la croisée de ce paradoxe : elle est à la fois pathologie
spirituelle et médecine expéditive des chairs, sur le champ de
bataille autant que dans les usines Ford. Cripure semble partager en
bien des points ce diagnostic. Assistant à la remise de la légion
d'honneur de Madame Faurel, il imagine que, faute de décorations, on remette « aux uns :
une tête, aux autres : une jambe ou un bras »
(12). Cette « modeste proposition »
, à l'humour noir swiftien, révèle à son tour le commerce des
corps qui se trame derrière la reproduction scolaire d'une culture
en éta t de guerre et, a contrario, dévoile aussi le but inavoué
de la tran smission conformiste du savoir: rendre chaque membre du
corps social anonyme et interchangeable et, le cas échéant,
produire un soldat inconnu de masse.
On sait pourtant que
Cripure s'est livré l'année précédente à un hypocrite exercice
de surenchère patriotique devant ses pairs . De même, sur le bateau
qui le conduit en Afrique, Bardamu a consenti, pour éviter un
lynchage, à faire sienne la loghorrée cocardière. Ainsi, leurs
narrateurs respectifs ont beau prêter une conscience suraiguë à
ces deux personnages, cet esprit critique s'avère au bout du compte
incapable de passer à l'acte d'un e quelconque révolte. Il s'agit
main tenant d'i nterroger cette passivité fondamentale, cette
résignation empreinte de cynisme qui a déconcerté les premiers
admirateurs de Voyage surtout, mais aussi ceux du Sang
noir.
Si la militarisation du
lycée, conditionnant les consciences en genèse, et de l'hôpital,
rentabilisant les corps déchus du prolétariat, ont mis en lumière
leur nature maligne, il demeure que ces institutions ont une autre
fonction possible. L'espace scolaire témoigne aussi d'une utopie
maïeutique : celle de l'épanouissement des singularités de la
maîtrise et de la connaissance de soi. De même l'espace clinique
témoigne d'une utopique égalité sanitaire entre les hommes et d'un
respect absolu de la vie. Pour Bardamu comme pour Cripure, tout est
d'abord une affaire de deuil. La guerre les a conduit à faire leur
deuil de ces utopies, toutes deux mises au service de la mort. Comme
l'écrit Guilloux, paraphrasant une sentence célinienne : « La
vérité de cette vie, ce n'est pas qu'on meurt : c'est qu'on meurt
volé » (13). Et ce
qu'ici, on a volé à Cripure autant qu'à Bardamu, c'est un idéal
depuis longtemps asservi à d'autres fins.
La vocat ion médicale de
Bardamu, si elle porte encore la trace d' une éthique originelle de
la solidarité, demeure une façon d'exorciser une invalidité de
guerre définitive. Elle a déjà fait l'expérience de ses propres
limites. Dès lors, le docteur-mutilé « 75 pour 100 »
sait qu'il ne sera jamais rien d'autre que le rouage d'un système
qui l'a lui-même broyé. Il ne peut espérer autre chose que révéler
à travers son statut paradoxal de médecin-maladif les
contradictions de cette mission curative, froidement assassine en
temps de guerre, désarmée face à la misère sociale en temps de
paix.
Chez Cripure, la guerre
ne constitue pas un traumatisme initial, mais une confirmation a
posteriori d'un échec existentiel. En effet, dans l'espoir
d'intégrer l'Université, Cripure a d'abord dû faire son deuil des
idéaux contenus dans sa thèse sur Turnier, puis accepter de devenir
un banal professeur de morale et enfin consentir à l'Union sacrée
des propagandes de masse. Pourtant, il est aussi celui qui, subissant
l'indiscipline naturelle de la jeunesse, la porte aux nues en son for
intérieur. Celui qui approuve secrètement «
l'irrespect des idoles »
(14) dont ces élèves les plus chahuteurs font preuve. Celui qui a
suscité la révolte pacifiste de Lucien et l'idéalisme
intransigeant d 'Etienne, mais qui ne peut l'assumer haut et fort
sans contredire, et son statut, et les leçons pessimistes qu'il en a
tirées. Car, Crtpure a compris depuis longtemps que ce qu'il
enseigne vraiment, il ne peut le communiquer que malgré lui, non pas
par simple lâcheté, mais parce que l'institution scolaire avec
laquelle il fait maintenant corps est par essence conformiste. Sa
libre-parole, institutionnalisée, est devenue une langue aussi morte
que celle en ordre de bataille. Si Bardamu avait tardivement pris
conscience que la société militarisée n'est qu'un immense hôpital
pour incurable et la médecine sociale un placebo de la misère
sociale, Cripure a compris depuis longtemps que toute pédagogie
libératrice est vouée à un mur d'incompréhension que la guerre
va mettre en abyme entre les rééduqués du Front et les donneurs de
leçon de l'arrière. D'une certaine façon, la pathologie du géant
invalide Cripure n'est que la somatisation d'une initiation à la
révolte en deuil d'elle-même, l'incarnation souffrante et grotesque
d'un impossible « professeur de désordre ».
« Cripure est le Don
Quichotte d'aujourd'hui. Dans la littérature française
contemporaine, je ne connais qu'une figure qui lui soit concurrente,
et c'est ce docteur Bardamu »(15),
conclut Aragon. Ne sont-ils pas tous deux, comme le chevalier à la
triste figure, prisonniers des contradictions d'une société malade
de corps et d'esprit, et dont la guerre suffit à révéler l'état
critique ? Ne sont-ils pas les petits-bourgeois fossoyeurs
d'eux-mêmes et du vieux monde qui va disparaître avec eux, comme le
seigneur Don Quichotte l'avait été avec l'époque féodale ? Cette
hypothèse fait cependant l'impasse sur un point essentiel : Don
Quichotte a été jusqu 'au bout le sujet belliqueux et téméraire
de sa propre faillite. On peut juger son épopée suicidaire, mais
non lui ôter son sens de l'héroïsme. Tandis que chez Cripure , il
s'agit d'emblée d' être plus suicidaire que la société elle-même,
mais d'un suicide qui ne serait pas porteur d'une quelconque valeur
héroïque. Sa mort est l'acte manqué d'un duel, autrement dit un
ami-duel passé à l'acte. Comme aboutissement logique d'un pur
itinéraire de petites lâchetés, compromis et reniements, il ne
délivre qu 'un sens en creux. De même, le docteur Bardamu,
professant une médecine sans honneur ni honoraire se voue-t-il, par
« provocation volontaire
», à la misère qu'il
est censé soigner, épousant alors le destin de son alter ego
Robinson, suicidé par procuration à la fin de Voyage selon
un programme aussi désespérant que désespéré : «
Eh bien, c'est tout, qui me répugne et qui me dégoûte à présent
! » (16). Les destins de Cripure et Bardamu
convergent ainsi en une seule et même politique du pire. Tous deux
ne font pas le sacrifice de leur vie pour que leurs contradictions
mortelles produisent un sens rédempteur ou un monde nouveau. Ils
refusent cet ultime don de soi, qui appartiendrait encore à une
rhétorique de combat. Aucun héroïsme ne fait plus illusion à
leurs yeux. Ils savent qu'ils vont mourir sur le champ de leur propre
déshonneur.
Ce distinguo est
essentiel. En effet, si l'oeuvre au noir du pessimisme de Guilloux et
de Céline conduit à refuser de donner un sens cathartique à la
défaite de leurs personnages, c'est parce que le suicide collectif
militariste n'a pas vocation à délivrer une issue révolutionnaire.
La guerre est une apogée de morbidité, non le lieu d' une secrète
dialectique entre la vie et la mort . Contrairement à nombre de
leurs contemporains, ils n'ont pas tiré des leçons schématiquement
marxistes de l'hécatombe mondiale de 14-18. En ce sens, Cripure et
Bardamu sont plus proches d'Hamlet que de Don Quichotte, ils
condamnent les venus de l'héroïsme en bloc, fut-il retourné contre
lui-même. Leur perdition volontaire ne les venge pas non plus. C'est
ce que sous-entend à mots couverts Guilloux, tra nsformant
l'enterrement de Cripure en une cérémonie expiatoire poussant à
son paroxysme le théâtre sacrificiel de l'Union sacrée des
consciences. Le sens de sa rébellion auto-destructrice n'échappera
pas à son ultime récupération. Les « récupérés »
des Conseils de guerre en ont fait trop souvent l'expérience
malheureuse. Quant à Bardamu, son suicide différé n'hésite pas
sur le seuil d'une révolution, il est seulement à l'image d'une
guerre qui n'a pas encore cessé de finir.
Si ces deux romans sont
aussi « noirs »
l'un que l'autre, c'est parce qu'ils décrivent la guerre, non comme
une expression ouverte d'un antagonisme social, mais comme un système
morbide en vase-clos. Certains jugeront cependant que le parallèle
est quelque peu forcé. Entre Céline et Guilloux, il y a aussi les
mutineries de 1917, celles que le premier passe sous silence, que
l'autre met en point d'orgue de sa fiction. Leur sensibilité
politique, comme leur stratégie narrative diffèrent sur ce point.
De même, à travers le personnage de Lucien, une autre porte est
laissée entrouverte, celle du voyage en URSS. Mais sont-ce vraiment
là les issues majeures ou les ferments d'émancipation collective
qui iraient au-delà du « bout de la nuit » ? On remarquera à cet
égard que la mutinerie manquée du Sang noir s'achève sur le
lynchage rituel de l'officier au départ du train, selon une clôture
typiquement célinienne. On notera en outre que le soviétisme
affiché du voyageur Lucien, n'est pas l'unique point de fuite qui
changerait la perspective du livre, mais une fugue adolescente parmi
d'autres, le détail d'un puzzle romanesque jamais unifié. Or c'est
sans doute ce morcellement-là qui permet d'accéder aux paradoxales
leçons d'espérance du vitalisme de Guilloux.
Au cours de mes
recherches sur Céline, il m'est apparu que si la trame de Voyage
ne fictionnalisait pas une seule doctr ine politique, l'oeuvre
fourmillait pourtant de microfictions subversives, dont j'ai sondé
les affinités anarchisantes (17). La plupart de ces brèches
tenaient à un même processus : se priver de tout honneur pour
advenir au gai savoir de l'opprobre social. Cette quête du «
déshonneur automatique » conduira Bardamu à devenir le maquereau
de Molly aux Amériques pour refuser l'exploitation salariée chez
Ford. Elle conduira le caporal Princhard à voler des boîtes de
conserve pour être emprisonné loin du Front. Elle conduira Robinson
et la mère Henrouille à se faire passer pour fous afin de mieux
échapper à la folie homicide de l'ordre familial . Il me semblerait
essentiel de soumettre Le Sang noir à une analyse similaire
partant du même précepte énoncé par Cripure : « Rouler jusqu'à
l'extrême fond de la bassesse, là où les derniers liens humains
achèvent de se dénouer et de pourr ir » et se perdre dans une «
Ivresse mal dirigée »
(18). On s'apercevrait alors que, faute de croire aux vertus
réalistes-socialistes d'un message globalisant, Guilloux a lui aussi
parsemé son roman de projets d'émancipation précaires, d'attitudes
éthiques fragiles et d'objections de conscience partielles . Il
faudrait citer le chapardage d'une bouteille de champagne par Moka,
échappant ainsi brièvement à sa condition de répétiteur du
conformisme social. Il faudrait citer Simone, se rendant étrangère
à ses parents en les volant d'abord, puis en les insultant selon les
vers libres du roman tisme anglais. Il faudrait citer Madame de
Villapane, imposant à sa pension un règlement si sévère qu'elle
en tarit la clientèle pour mieux préserver l'utopie d'un hors champ
amoureux délivré du principe d'échange commercial. Il faudrait
bien sûr prendre au pied de la lettre toutes les tentations
fantasmatiques de Cripure : passer la « saison du bachot » au
bordel pour inventer un « rapport fraternel avec des femmes qui
savaient ne pas se moquer de lui, ne pas avoir pitié non plus »
(19), rêver d'un mariage en blanc avec sa souillon illetrée au
banquet duquel on inviterait tous les « vagabonds » du voisinage
et, enfin, évidemment, selon le programme minimum d'un hédonisme
jamais triomphant, boire pour être deux.
Toutes ces lignes de
fuite romanesques dessinent la véritable trame politique du livre,
éphémère, disparate et jamais totalisante, celle d'une sensibilité
libertaire latente, rétive à son propre crédo doctrinal et,
surtout, ayant fait son deuil de tout idéalisme après la défaite
mondiale de 14-18. Dès lors , il est temps de revenir à la seule
filiation manifeste du Sang noir et de Voyage, Georges
Palante, cet alter ego de Cripure que Guilloux a côtoyé au
lycée, ce suicidé de la société dont la légende, revenue aux
oreilles du breton Céline à la fin des années vingt (20), l'a sans
doute secrètement inspiré.
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Cette communication a paru initialement dans les Actes du Colloque Louis Guilloux et la guerre (Saint-Brieuc 4-5-6 novembre 1994).
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Nous remercions l'auteur d'avoir bien voulu nous autoriser à reproduire ce texte.
Sur son site internet, une page est consacrée à l'ensemble de ses écrits sur Céline : http://www.archyves.net/html/LesFictionsdupolitique.html
NOTES
(1) Voyage, p. 10,
Denoël, 1932 (cil~ in Bibliothèqu e de la Pléiade,
1981).
(2) Le Sang noir,
Folio Ga llimard, p. 12.
(3) Voyage, p. 47.
(4) Idem, p. 54.
(5) Le Sang noir,
p. 207.
(6) Voyage, p. 90.
(7) Idem, p. 72 .
(8) Idem, p. 61.
(9) Idem, p. 94.
(10) Le Sang noir,
pp. 109-110.
(11) Voyage, p.
87.
(12) Le Sang noir,
p. 306.
(13) Phrase inscrite sur
le bandeau du Sang noir à sa sortie en 1935. Cf. la citation
de Céline «
La vérité de ce monde, c'est la mort »,
Voyage, p. 200.
(14) Le Sang noir,
p. 199.
(15) Arogon parle avec
D. Arban, Segben. 1968, p. 98.
(16) Voyage, p.
493.
(17) Yves Pagès, Les
Fictions du politique chez L.-F. C éline, Seuil, 1994.
(18) Le Sang noir,
p. 238.
(19) Le Sang noir,
p. 142.
(20) «
Edith Lebon (première épouse de Céline) reconnaît l'influence
qu'exerça sur Louis Destouches le philosophe Georges Palante »
(Pierre Lainé, De la débacle à l'insurrection contre le
monde moderne,
Doctorat d' Etat, Université Paris VI, 1973, pp, 95-96).
En kiosque : Spécial Céline n°7 - Le véritable Céline
Vient de paraître : Spécial Céline
n°7 (novembre/décembre 2012/janvier 2013). En vente en kiosque. Sommaire :
Actualité
Présence célinienne, par David Alliot
Étude
Deux bardes bretons, L.-F. Céline et Théophile Briant, par Éric Mazet
Anthologie
Propos d'outre-tombe portés sur Céline - Première partie, par Éric Mazet
Extrait
Bruno Léandri raconte L.-F. Céline, par David Alliot
Extrait
Roger Nimier et Louis-Ferdinand Céline, une amitié littéraire, par David Alliot
Étude
Céline et la Grande Guerre, par Charles-Louis Roseau
Portrait
Les intuitions de Robert Poulet, par Francis Bergeron
Le numéro 8 de Spécial Céline paraîtra le29 janvier 2013.
Actualité
Présence célinienne, par David Alliot
Étude
Deux bardes bretons, L.-F. Céline et Théophile Briant, par Éric Mazet
Anthologie
Propos d'outre-tombe portés sur Céline - Première partie, par Éric Mazet
Extrait
Bruno Léandri raconte L.-F. Céline, par David Alliot
Extrait
Roger Nimier et Louis-Ferdinand Céline, une amitié littéraire, par David Alliot
Étude
Céline et la Grande Guerre, par Charles-Louis Roseau
Portrait
Les intuitions de Robert Poulet, par Francis Bergeron
Le numéro 8 de Spécial Céline paraîtra le29 janvier 2013.
dimanche 28 octobre 2012
Échos céliniens...
> Allemagne : l'éditeur allemand Wilhelm Fink publie cette année une analyse du texte célinien de Sven Thorsten Kilian intitulé Die Szene des Erzählens, Ereignishaftes Sprechen in "Bagatelles pour un massacre", "Guignol's band" und "Féerie pour une autre fois" von Louis-Ferdinand Céline. www.fink.de.
> Lorant Deutsch : M, le magazine du Monde consacre dans son numéro du 26 octobre 2012 un article à Lorant Deutsch et au Paris de Céline de Patrick Buisson, qui vient de paraître chez Albin Michel. A lire ici.
> Fabrice Luchini a accordé une interview au magazine Illimité, le magazine des cinémas UGC, à l'occasion de la sortie du film Dans la maison de François Ozon. Céline est évoqué à quelques reprises. A télécharger ici. Anecdote : A la fin du film, Luchini se fait assommer à l'aide d'un livre, mais pas n'importe quel livre. Un bel exemplaire de Voyage au bout de la nuit relié cuir. Nous vous proposerons les images dès que possible.
> Philippe Sollers : "Êtes-vous tweet ou Louis-Ferdinand Céline ?" est le titre de la dernière chronique de Philippe Sollers publié dans Le Point du 26 octobre 2012.
> Voyage au bout de la nuit dans la presse suédoise : le site svd.se consacre un long article à Voyage au bout de la nuit, sa réception, sa langue, etc. La sortie aux éditions Vertigo d'une nouvelle traduction de D'un château l'autre avait déjà fait l'objet d'un article paru le 1er octobre 2012 sur le site www.corren.se. On redécouvre aussi Céline en Finlande avec la réédition de Voyage au bout de la nuit évoqué ici le 9 octobre et l'organisation par l'Université d'Helsinki d'un séminaire Céline le 27 septembre 2012 en présence d'Henri Godard.
Le Bulletin célinien n°346 - novembre 2012
Vient de paraître : Le Bulletin célinien n°346. Au sommaire :
- Marc Laudelout : Bloc-notes
- M. L. : Les pamphlets enfin réédités
- Bernard Gasco : À propos de mon livre…
- Jérôme Leroy : Roger Nimier : la légende et la dette
- M. L. : Actualité célinienne
- Émeric Cian-Grangé : Entretien avec Philippe Alméras
Un numéro de 24 pages, 6 € franco à :
Marc Laudelout, Bureau St Lambert, BP 77, 1200 Bruxelles.
- Marc Laudelout : Bloc-notes
- M. L. : Les pamphlets enfin réédités
- Bernard Gasco : À propos de mon livre…
- Jérôme Leroy : Roger Nimier : la légende et la dette
- M. L. : Actualité célinienne
- Émeric Cian-Grangé : Entretien avec Philippe Alméras
Un numéro de 24 pages, 6 € franco à :
Marc Laudelout, Bureau St Lambert, BP 77, 1200 Bruxelles.
samedi 27 octobre 2012
« Les yeux de la nuit » : Henri Godard évoque Voyage au bout de la nuit - France culture - 19 juin 2012
C'est Voyage au bout de la nuit qui occupe Adèle Van Reeth et son invité, Henri Godard, pour « Les nouveaux chemins de la connaissance », émission diffusée le 19 juin 2012 sur France culture :
jeudi 25 octobre 2012
Le Petit Célinien - Lettre d'actualité n°34
Pour recevoir gratuitement par courriel à chaque parution la lettre d'actualité du Petit Célinien, laissez-nous votre mail à l'adresse habituelle : lepetitcelinien@gmail.com.
Le Petit Célinien - Lettre d'actualité n°34.
> Télécharger nos anciens numéros ici.
Le Petit Célinien - Lettre d'actualité n°34.
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Vient de paraître : Dictionnaire de la correspondance de L.-F. Céline aux éditions du Lérot
La correspondance de Céline, foisonnante, qui s'étale de 1907 à 1961, année de la mort de l'écrivain, reste encore aujourd'hui incomplète, et certaines correspondances inédites continuent chaque année d'être exhumées, à l'image des lettres au Dr Alexandre Gentil, publiées pour la première fois en 2011 dans le numéro de décembre de la Revue des deux mondes.
Cette véritable « oeuvre seconde » que constitue ce corpus épistolaire ouvre un univers parfois absent des romans. L'idée de ce dictionnaire est donc, selon ses auteurs, de mieux comprendre cette « oeuvre seconde ».
Pour ce faire, cet ensemble, proposé en trois volumes, regroupe d'une part des notices de tous les correspondants connus à ce jour (738 destinataires sont recensés), et d'autre part une palette de notices analytiques qui viennent décrire, expliquer, éclaircir et analyser les caractéristiques de la correspondance elle-même. Les deux premiers volumes, illustrés de nombreuses photos, reproductions de documents, manuscrits et dédicaces, précèdent un troisième volume constitué d'une Chronologie épistolaire, qui vient recenser systématiquement jour après jour la correspondance échangée par Céline, mêlant ainsi éléments biographiques et correspondances.
Une somme de travail impressionnante, qui répondra aux attentes de ceux, chercheurs, amateurs ou simples curieux, qui veulent tout savoir sur la correspondance célinienne.
M.G.
Le Petit Célinien, 25 octobre 2012
Commander votre exemplaire :
150 € les 3 volumes
DU LÉROT, éditeur
Les Usines Réunies
16140 TUSSON
Tél : 05 45 31 71 56
ou sur
Dans la presse :
> Politis (13 décembre 2012)
> Politis (13 décembre 2012)
mercredi 24 octobre 2012
Nouvelles traductions : D'un château l'autre et Céline de Philippe Muray
Cette année 2012 reste riche en éditions ou rééditions étrangères des textes de ou sur Céline. Nous en avons répertorié quelques-unes :
> Espagne : De un castillo a otro par les éditions RBA publié le 10 février 2012. www.sellorba.com.
> Allemagne : le Céline de Philippe Muray vient de paraître aux éditions Matthes & Seitz Berlin. Traduction Nicola Denis. Une seconde couverture est proposée sur le site de l'éditeur : www.matthes-seitz-berlin.de.
> Royaume-Uni : chez Alma Classics trois traductions : Guignol's band de Bernard Frechtman et Jack Nile, London bridge (Guignol's band II) par Dominic di Bernardi, et Journey to the End of the Night traduit par Ralph Manheim. www.almaclassics.com.
> Finlande : Aux éditions Siltala, Voyage au bout de la nuit. Traduction de Jukka Mannerkorpi. www.siltalapublishing.fi.
> Roumanie : Une traduction de Féerie pour une autre fois aux éditions Paralela 45. Traduction Irina Negrea. www.edituraparalela45.ro.
Morte a credito, prochain album du groupe Zen Circus
On connaissait l'hypothèse du parallèle entre la chanson End of the night du groupe américain The Doors et Voyage au bout de la nuit, des chansons de Bruno Gratpanche interprétées par Jean-Michel Dauphy, ou bien encore la chansonnette de Pierre Perret Ferdinand, c'est aujourd'hui le groupe italien Zen Circus qui affiche clairement son attrait pour Céline en intitulant son prochain album Morte a credito (sortie en janvier 2013) :
En vue de l'année sabbatique imminente du groupe Zen Circus même le batteur Karim Qqru est prêt à se mettre à son compte avec un projet intitulé La nuit des longs couteaux. L’album qui aura pour titre Mort à credit est un hommage au roman de Louis-Ferdinand Céline, l’une des sources d’inspiration avec Albert Camus. La sortie est prévue pour le 21 janvier 2013 chez Black Candy Records/Warner, tandis que le single sera lancé au mois de décembre.
mardi 23 octobre 2012
Échos céliniens...
> Christophe Malavoy, invité par la Foire du Livre de Brive, dédicacera son livre Céline même pas mort ! (Balland, 2011) et participera à une rencontre lecture le dimanche 11 novembre 2012. Foire du livre de Brive, du 9 au 11 novembre 2012. www.foiredulivre.net.
> La Fontaine : Gilles de Becdelièvre publie une nouvelle biographie de Jean de La Fontaine intitulée La Fontaine, ultime confession (Ed. Télémaque, 2012).
> Presse : Deux articles, tout deux assez sévères, accompagnent la sortie de Le Paris de Céline de Patrick Buisson (Albin Michel, 2012) : le premier sur le blog d'Yves Pagès www.archyves.net, le 19 octobre, le second de Guy Konopnicki publié sur le site de Marianne, www.marianne.net, le 20 octobre 2012.
> Arletty est l'objet d'une nouvelle parution. Cet entretien avec Robert de Laroche, Arletty, paroles retrouvées vient de paraître aux éditions La Tour Verte.
> Les Fidélités successives est le titre du dernier roman de Nicolas d’Estienne d’Orves.On y croiserais le nom de Céline par l'un des personnages, Simon Bloch, ami de l'écrivain. Source : www.valeursactuelles.com.
> Pierre Assouline recevait en 1988 dans l'émission A voix nue, diffusée sur France Culture, Lucien Combelle. A télécharger ici.
> Lire Philippe Muray est le titre du recueil d'essais que consacre les éditions P.-G. de Roux à Philippe Muray, sous la direction d'Alain Cresciucci. Commandez votre exemplaire sur Amazon.fr.
Théâtre : « Y'en a que ça emmerde qu'il y a des gens de Courbevoie... ? » le 27 octobre 2012 à Paris
Bande-annonce :
Le
spectacle emprunte des voies inédites et résolument originales dans le
choix et l’approche des romans, des entretiens et de la correspondance
de Louis-Ferdinand Céline, pris pour l’essentiel dans sa maturité et
au-delà, entre la fin de l’année 1944, et sa mort, le 01 Juillet
1961. Il se veut une randonnée intime d’une heure dans les traces
souvent imprévisibles de ce grand solitaire…
Samedi 27 octobre 2012
20h30
Catch Palace
3, rue d'Avron
75020 PARIS
Métro Avron
Réservations
06 22 39 01 84
yenaquecaemmerde.fr
yenaquecaemmerde.fr
A lire :
dimanche 21 octobre 2012
Vient de paraître : Céline ? C'est Ça !... de Serge KANONY
Et si on lisait Céline autrement ? Et si Céline renouait avec les grands mythes fondateurs de notre culture ? Et si la clé de cette œuvre, géniale et scandaleuse, se laissait entrevoir dans le monosyllabe par lequel s'ouvre son premier roman Voyage au bout de la nuit : « Ça a débuté comme ça. » ?
Le « Ça » célinien, c'est d'abord le Chaos originel, la Nuit primordiale des antiques cosmogonies, d'où surgissent tant l'œuvre que l'auteur ; c'est aussi deux guerres mondiales pleines de bruit et de fureur, où se déchaîne la folie meurtrière des hommes ; c'est encore une langue de rupture, chaotique, charriant le meilleur, mais aussi le pire : celui des éructations antisémites ; c'est enfin le « Ça » intérieur, la part maudite dont chacun est porteur.
Le « Ça » célinien, c'est d'abord le Chaos originel, la Nuit primordiale des antiques cosmogonies, d'où surgissent tant l'œuvre que l'auteur ; c'est aussi deux guerres mondiales pleines de bruit et de fureur, où se déchaîne la folie meurtrière des hommes ; c'est encore une langue de rupture, chaotique, charriant le meilleur, mais aussi le pire : celui des éructations antisémites ; c'est enfin le « Ça » intérieur, la part maudite dont chacun est porteur.
Serge Kanony ouvre une porte que d'autres n'avaient fait qu'entrouvrir, derrière laquelle on entendait de drôles de cris. Serge Kanony ouvre la boîte de Pandore d'où s'échappent des ombres redoutables.
Serge KANONY, Céline ? C'est Ça !..., Le Petit Célinien Éditions, 2012.
Préface d'Éric Mazet.
216 pages, format 14x21. Tirage limité sur papier bouffant. ISBN 978-2-7466-5216-3.
Illustration de couverture : Loïc Zimmermann.
216 pages, format 14x21. Tirage limité sur papier bouffant. ISBN 978-2-7466-5216-3.
Illustration de couverture : Loïc Zimmermann.
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Les Entretiens du Petit Célinien (IX) : Serge KANONY
Agrégé de lettres classiques, Serge Kanony a enseigné le français, le latin et le
grec à des élèves de Première et de Terminale. Il est l’auteur
d'un second essai : Céline ? C’est ça !... (Le Petit Célinien Editions, 2012).
A mon arrivée à
Toulouse, inscrit à la fac des lettres, un copain a joué le rôle
du passeur : il m’a parlé de Céline dont j’ignorais
jusqu’au nom, et m’a dirigé vers une petite librairie à deux
pas de la basilique Saint-Sernin : La Bible d’or. Le
libraire, un petit homme tout en rondeurs, au visage lisse et
avenant, officiait dans un minuscule espace devant un auditoire
restreint qui se renouvelait au gré des heures : des étudiants, un
journaliste et critique de cinéma, auteur avec le directeur de la
cinémathèque d’un Panorama du film noir. Tant et si bien
que ma découverte de Céline est allée de pair avec celle des
Walsh, Lang, Mankiewicz…
Découvrir Céline dont
on ne m’avait dit mot au lycée c’était me revancher des Sartre,
Camus et autres auteurs dont je m’étais nourri. De l’après-guerre
aux années soixante, l’existentialisme avec son icône Jean-Paul
Sartre était dans l’air du temps. Pour se faire une idée de cette
Sartrolatrie, il suffit de lire ce que nous en dit Gabriel Matznef
dans Le taureau de Phalaris : « En classe de philo,
j’avais un condisciple qui nourrissait une fervente admiration pour
Jean-Paul Sartre… il suivait Sartre dans la rue… il
collectionnait ses mégots. »
Dans cette librairie,
donc, que des auteurs non conformistes et en réaction contre
l’idéologie dominante : les Hussards avec Blondin, Nimier,
le copain de Céline, etc. C’est là que j’ai acheté la plupart
des romans de Céline, les Cahiers de l’Herne, etc.
Pour moi, comme pour
beaucoup, la porte d’entrée qui a ouvert sur Céline ce fut Voyage
au bout de la nuit. D’un seul coup, brutalement, sans même
respecter les paliers de décompression, je me hissais de la nausée
sartrienne à la nausée célinienne. De Roquentin à Bardamu. Le
premier dégueule dans l’abstrait, ontologiquement, dans le Jardin
public de Bouville ; le second, physiquement, dans la boue des
Flandres.
Après la licence, pour
présenter l’agrégation, il fallait avoir rédigé un Diplôme
d’Etudes Supérieures ; sans hésiter, je choisis de composer un
mémoire sur Céline, disposant ainsi d’une année pour pousser
plus avant ma découverte de l’univers célinien. C’était en
1965 et les travaux critiques consacrés à cet auteur étaient peu
nombreux : trois Belges : Marc Hanrez, Pol Vandromme et Robert
Poulet, une Française : Nicole Debrie.
L’importance de ce
mémoire n’était pas dans son contenu, mais dans le fait qu’il
constituait une sorte de certificat de baptême, un devoir de
fidélité.
Il est bien plus facile
de donner les raisons pour lesquelles on n’aime pas un auteur, un
livre ou une personne que de dire celles pour lesquelles on les aime.
Le coeur a ses raisons… Pourquoi Montaigne aimait-il La Boétie ?
Parce que c’était lui ! Pourquoi j’aime Céline ? Parce que
c’est Céline, parce qu’il touche en moi à des zones que les
autres auteurs n’atteignent pas, n’atteindront jamais ; au plus
profond de ma viande. Céline ? Il est intradermique, les autres,
épidermiques ! Je crois qu’il y a là une part de mystère, ne pas
trop gratter !
Voyage au bout de la
nuit, je l’ai téléchargé, mis dans le disque dur de ma
mémoire, sécurisé… Mon de poche, celui de mes vingt ans, tout
écorné, surligné, avec plein de notes, je l’ai toujours à
portée. Si je veux vérifier une phrase, d’instinct, j’y vais
tout de suite. Sur l’échelle Richter de mes préférences, il fait
force 9 ! Mort à crédit ? Force 8. La trilogie allemande ?
Force 7.
Qu’est-ce que j’aime
dans l’oeuvre célinienne ? Sa démesure, son hybris, son Verbe, sa
puissance d’évocation, sa poésie, son délire, son côté
dionysiaque…
Céline ? Grandes orgues
et petite musique de nuit.
Bien sûr, Mort à
crédit est presque tout aussi présent en moi que le Voyage.
Selon moi, ils sont complémentaires. Dans le Voyage est
énoncée la vision célinienne du monde à travers la poésie de la
Nuit, émaillée d’aphorismes ; on «
s’instruit ».
Qui a lu le Voyage on ne la lui fera pas sur l’homme ; on y
fait son éducation, on est Candide qui voyage de l’Europe à
l’Amérique en passant par l’Afrique et qui revient « plein
d’usage et raison », etc.
Mais dans le Voyage
la bonde n’est pas lâchée, les flots sont encore contenus dans
les digues du langage. Dans Mort à crédit, les digues
pètent, celles de la phrase, le torrent verbal emporte tout… La
moindre altercation entre Ferdinand et son père se change en une
gigantomachie.
Ce que j’aime dans le
Voyage ? Cette hésitation entre les résidus du style écrit
et la langue parlée, l’argotique, leur télescopage ; sa dimension
mythique (la Nuit, la Mort…), sa poésie surtout, même celle des
phrases filées que l’auteur à reniées. Il n’est pas interdit
d’aimer Céline contre lui-même !
Deux exemples :
D’abord la poésie à
l’ancienne : « Les vivants qu’on égare dans les cryptes
du temps/dorment si bien avec les morts/qu’une même ombre les
confond déjà. » Un alexandrin, un octosyllabe, un décasyllabe.
A la moderne :
« Il avait comme un tisonnier en bas de l’oesophage qui lui
calcinait les tripes… Bientôt, il serait plus que des trous… Les
étoiles passeraient à travers avec les renvois. » Poésie
cosmique.
Ou encore : « …
comme si son âme lui serait sortie du derrière, des yeux, du
ventre, de la poitrine, qu’elle m’en aurait foutu partout,
qu’elle en illuminait la gare… » Poésie mystique.
La trilogie allemande,
aussi, à ne pas oublier (D’un château l’autre, Nord,
Rigodon) avec un Berlin éventré, ses champs de ruines, ses
hôtels dont les couloirs vous basculent dans le vide, les
bombardements, etc. Seul, peut-être, un film de Douglas Sirk (je
pense au soldat Graeber cherchant sa maison natale parmi les
entassements de gravats dans A time to love and a time to die)
se hisse à la hauteur des évocations céliniennes. Ce que j’aime enfin :
le dernier Céline, celui des interviewes (1957-1961), le Céline
moraliste qui décrypte notre époque, commente l’actualité d’une
manière souvent prophétique.
Votre premier livre,
D'un Céline et d'autres (L'Harmattan, 2010), démontrait
combien la littérature française des cinq derniers siècles est
restée d'une étonnante modernité.
Un «
classique » est
toujours « moderne »,
mais il n’est pas certain que le moderne d’aujourd’hui sera le
classique de demain !
Le titre m’a posé des
problèmes. J’ai renoncé à l’ordre chronologique car, partir de
Montaigne en passant par Pascal, Racine, aurait découragé bien des
lecteurs. Pourtant Montaigne avec son essai Des coches est
d’une brûlante actualité : les Espagnols avec Pizarro débarquant
chez les Amérindiens, ce sont les Ricains débarquant en Irak :
mêmes pillages, mêmes tortures.
On entend souvent dire à
propos d’une oeuvre, d’un artiste : il est dépassé. C’est
confondre le domaine esthétique avec le Grand Prix de Monaco ou les
Vingt-Quatre Heures du Mans ! Un romancier, un poète ne sont jamais
dépassés, ils sont parfois oubliés ; s’ils sont oubliés, c’est
parce que ne se trouve pas dans leurs écrits quelque chose qui les
rattache à nous, à l’universel.
Quoi de plus moderne que Les Fleurs du mal ? Baudelaire y invente la poésie urbaine, celle des cheminées qui crachent leurs fumées, des fêtards sortant de boîte au petit matin, et la chanson de Jacques Dutronc Paris s’éveille n’est rien d’autre que la mise en musique du poème Le crépuscule du matin.
Quoi de plus moderne que Les Fleurs du mal ? Baudelaire y invente la poésie urbaine, celle des cheminées qui crachent leurs fumées, des fêtards sortant de boîte au petit matin, et la chanson de Jacques Dutronc Paris s’éveille n’est rien d’autre que la mise en musique du poème Le crépuscule du matin.
C’est tout cela que
j’essaye de montrer dans ce premier essai littéraire : la
modernité des écrivains passés.
Votre nouvel ouvrage,
Céline ? C'est Ça !... (Le Petit Célinien Éditions,
2012), est un essai littéraire dont le sous-titre est : Petites
variations sur un gros mot. Faut-il entrevoir la clef de l'oeuvre
célinienne dans le monosyllabe par lequel s'ouvre Voyage au bout
de la nuit : « Ça a débuté comme ça. » ?
Cet incipit m’a
toujours fasciné. Sa banalité voulue me semblait cacher quelque
chose. Confirmation m’en a été donnée par la lecture d’un
court article de Raymond Jean intitulé : Ouvertures, phrases
seuils, paru en 1971, où à propos du premier Ça, il
évoquait la matière à « l’état de chaos… le ça des
psychanalystes et de Groddeck… »
A partir de là,
l’illumination : je me suis souvenu du poète grec Hésiode et de
sa Théogonie : « Donc, avant tout fut CHAOS… »
Mais, bon Dieu, le voilà le Chaos célinien : C’est le Ça ! Et
cette Nuit née du Chaos, c’est Céline, cet enfant de la nuit qui
enfante, à son tour, Voyage au bout de la nuit. Et les trois
monstres : Cottos, Briarée, Gyès que leur père « cachait tous
dans le sein de la Terre », ce sont les trois monstres céliniens
: les pamphlets que les libraires cachent au sein des
arrière-boutiques !
Le Ça célinien c’est
le Big Bang initial qui crache « une masse informe et confuse…
un entassement d’éléments mal unis et discordants » (Ovide),
un bordel cosmique dont Céline se porte témoin, chroniqueur…
Le titre, comme le
sous-titre « Petites variations sur un gros mot » ne
prennent sens qu’après la lecture de l’essai. Le gros mot ne
renvoie pas ici à une injure ou à une grossièreté, sens qui est
le sien dans le langage courant.
Je prends l’expression
gros mot dans l’acception que lui donne Paul Valéry.
Celui-ci ironise sur les philosophes qui s’échinent à rendre
compte de certaines réalités qui nous dépassent, et dont le sens
ne se laisse pas épuiser, dont on ne peut jamais faire le tour, et
qui se prêtent ainsi à toutes les définitions. Comme exemples de
gros mots il proposait Dieu, Ame, Nature, Liberté, etc. A
leur image le Ça n’est pas seulement le démonstratif que nous
connaissons tous, il est avant tout un gros mot, parce qu’il
est synonyme du Chaos.
Il s’agit, je le
répète, de variations, ce qui me laisse la liberté de jouer avec
ce mot qui, sous ma plume, tantôt renvoie au Chaos, tantôt
redevient un simple démonstratif.
Quand il est le
démonstratif, je le fais entrer dans une opposition avec Cela,
ce qui me permet un petit développement sur l’intrusion de la
langue parlée dans la langue écrite. Je reprends la remarque faite
par Henri Godard dans Poétique de Céline : « Céline a
choisi de dire “Ça
a débuté comme ça.”
et non : “Cela a
commencé de la manière suivante”
».
Dans un autre chapitre le
Ça devient synonyme du Ça freudien, et je me jette
avec délice dans un développement scatologique.
On le voit donc bien :
cet essai d’une centaine de pages [216 pages], est tout le
contraire d’une thèse épaisse, sérieuse et ordonnancée ; il va
de Ça, de Cela…
Pouvons-nous par
ailleurs lire cette oeuvre comme étant l'expression d'une pensée
mythique, transposée par l'auteur pour les besoins de son art ?
Que l’oeuvre de Céline
plonge ses racines dans les plus anciens mythes de la tradition
occidentale, qui le contesterait aujourd’hui ? Le mythe est partout
chez Céline : dans ses romans et dans sa personne même. Aujourd’hui
Céline est un mythe.
Lorsque Voyage au bout
de la nuit parut en 1932, les contemporains, étonnés (frappés
par la foudre) par la nouveauté de son écriture prirent cet
auteur pour un réaliste qui ne se plaisait que dans l’évocation
de l’ordure, et laissèrent souvent échapper la dimension mythique
du roman.
Le Voyage nous
renvoie à l’Odyssée, à Ulysse, tout cela transposé dans le
monde contemporain : une Odyssée en négatif, en dégradé. A
Bardamu-Ulysse Molly-Calypso ne promet pas l’éternelle jeunesse et
l’immortalité, mais le gite, le couvert et la rêverie à volonté
!
Dans le même roman,
Bardamu devenu Énée descend aux Enfers, ceux de l’hôtel Laugh
Calvin.
Le Ça qui ouvre
le premier roman se présente, on l’a vu, comme l’équivalent du
Chaos hésiodique, et dans Voyage les personnages plus
présents que Bardamu, Robinson ou Molly, ce sont la Mort, la Nuit,
le Néant.
Toujours dans la
mythologie grecque les Dieux prenaient en charge ce Chaos, pour
l’ordonner, l’agencer et en faire un ordre, une parure
c'est-à-dire un Cosmos ; pour l’accomplissement de cette
tâche, les Dieux étaient qualifiés de Démiurges :
ordonnateurs du Chaos. Céline, c’est l’anti-démiurge ;
ce foutoir cosmique, il se contente de le regarder et, pour nous le
montrer, son écriture se modèle sur lui : une écriture éclatée.
Chez lui, la parure se situe dans la beauté convulsive de son
écriture : un « Cosmon Acosmon », c'est-à-dire un ordre
désordonné, une parure déparée.
Parfois la mythologie
fait intrusion directement dans le récit : la barque de Caron dans
D’un château l’autre.
Et quand il jure, Céline substitue même au Nom de Dieu
classique un « nom de Styx » mythique (Féerie pour une
autre fois)
Pour qui écrivait
Céline ? Dans quel but ?
Peut-on répondre à une
telle question, je m’en réfèrerai tout simplement… à Céline
lui-même. Interrogé en 1957 par Madeleine Chapsal, journaliste à
L’Express, qui lui demande «
Pour qui écrivez-vous ? »,
il répond : « Je n’écris pas pour quelqu’un. C’est
la dernière des choses, s’abaisser à ça ! On écrit pour la
chose elle-même. »
Je suis d’accord avec
lui : on écrit pour écrire. Pourquoi la danseuse danse-t-elle ?
Pour danser, comme nous le dit Paul des cimetières Valéry. C’est
ce qui différencie la marche de la danse. On marche pour aller
quelque part ; la marche est utilitaire ; la danse est gratuite.
Pour quelles raisons ?
Montaigne prétendait qu’il n’avait écrit Les Essais que
pour ses amis, parents et alliés ! Evidemment il mentait ou
bien il avait une sacrée famille : tous ses frères humains.
Difficile, alors, pour ceux qui revendiquent une telle filiation de
faire une cousinade !
Quant aux raisons
qu’avance Céline (payer le terme), celui qui les croirait ferait
la preuve qu’il est naïf, qu’il n’a rien compris.
Dans un entretien, Céline
a déclaré un jour écrire «
pour rendre les autres [écrivains] illisibles ».
De ce côté là il n’a pas mal réussi ; il y a désormais un
avant et un après Céline.
Je retournerais
volontiers la question : « pour
qui Céline écrivait-il »
en « contre qui Céline
écrivait-il ». Il écrit
contre la guerre, les petits colons, les gadoues banlieusardes,
contre la Mort, le cancer du rectum, contre lui-même (liste non
exhaustive).
Chez Céline, écrire est
un cri, celui d’Edvard Munch.
Avez-vous enseigné
Céline dans vos classes ?
J’ai toujours enseigné
en lycée en classe de Première et de Terminale. A cette époque il
n’y avait pas un programme national, et chaque professeur avait la
liberté d’expliquer les auteurs et les oeuvres qu’il souhaitait.
L’enseignement des lettres était facultatif pour les terminales
scientifiques et portait sur des auteurs du XXè siècle. Je
choisissais donc les auteurs qui avaient ma préférence : Proust,
Valéry, Bernanos, Céline. C’est ainsi que je commentais le
Voyage. Par la suite, j’ai fait la même chose avec mes
classes de Première. Mais dans les années 90 les programmes ont été
nationalisés, et tous les élèves de toutes les classes de
1ère et Terminales Littéraires ont étudié les mêmes auteurs :
Aragon, Aimé Césaire, Primo Lévi, etc. Je suppose que cela
aujourd’hui a changé.
L'intérêt que vous
portez à cet auteur vous a-t-il valu quelques désagréments d'ordre
professionnel ?
En province, tout au
moins à mon époque (1970/80), expliquer Céline n’était pas
courant ; la place qui lui était allouée dans les manuels était
réduite : dans le XXè Lagarde et Michard (éd 1962), 1,5
page contre 8 à Giono, 39 à Proust. Dans l’édition de 1988, de
1,5 il passe à 8 pages. Aujourd’hui le lycée où j’ai enseigné
a choisi comme manuel de littérature celui des éditions Nathan qui
accorde 4 pages à Céline et 3 à Sartre.
Mes élèves aimaient
bien le Voyage, et l’un deux par la suite a fait une thèse
de 3è cycle sur Céline ; certains parents, je l’ai su plus tard,
ont été choqués de voir Céline débarquer dans le lycée ;
certains s’en sont plaint, mais le proviseur arrêtait tout.
Sur la liste du bac de
Français Céline avait sa place ; certains examinateurs faisaient
des réflexions à mes élèves du genre : Ah, encore cette liste !
Les listes politiquement correctes étant celles où figuraient Boris
Vian, Claire Etchérelli, Richard Wright.
Pas de désagréments,
sinon une réputation sulfureuse auprès de certains collègues. Il
faut dire à leur décharge que je n’ai jamais fait d’effort pour
m’intégrer à cette corporation : je n’appartenais pas à leur
syndicat, je n’achetais pas mes pantalons à la Camif, je ne
roulais pas en Renault, je ne tractais pas une caravane… Bref, t’as
pas le look, coco !
Propos recueillis par
Emeric CIAN-GRANGÉ
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