Céline est-il le plus grand écrivain du XXe siècle avec Proust ?
Serge Kanony l'affirme avec beaucoup d'autres. Si le génie des
écrivains, des musiciens, des peintres, se manifeste dans celui qui est à
part, alors Céline est sans doute l'un d'eux. Serge Kanony n'a jamais
cessé de fréquenter son œuvre, devenant ainsi un spécialiste de l'auteur
du Voyage au bout de la nuit. Eric Mazet, éminence du célinisme, salue
en particulier la dimension mythique que Serge Kanony a donnée à Céline.
Le premier étonnement du lecteur est sans doute que, pour expliquer l'auteur le plus moderne, soit fait appel à un auteur grec des plus anciens, Hésiode, un contemporain d'Homère, à sa mythologie : le Chaos, masse indistincte et mélangée, qui a donné naissance à la Nuit d'où est issue « L'odieuse mort ». Serge Kanony appelle cette soupe originelle « ça », un mot neutre, dépréciatif, méprisant, d'où sont nés Céline et ses ouvrages, Voyage au bout de la nuit, et Mort à crédit, deux monstres que les libraires cachaient au fond de leur arrière-boutique, et que les lecteurs avaient l'impression de tenir dans leurs mains. A l'académie Goncourt, on a préféré ne pas donner le prix à Céline mais à Guy Mazeline, et les lecteurs préfèrent lire les romans populaires d'Eugène Dabit, qui contait les mêmes histoires tristes, mais d'une façon plus convenable. Les romans de Céline sont le constat cruel d'une réalité insoutenable : la mort. Et pour exprimer la vérité de ce qu'elle est, il faut la langue du « ça », proche de l'oral, bousculée, jouant avec les mots, s'occupant peu de syntaxes ; le contraire de la langue du « cela », policée, soucieuse du bien écrire. Le « Cela » est la langue des « nantis », le « ça » la langue des « miteux ». Il n'empêche que Céline est dans la grande tradition moraliste française, Pascal, Baudelaire. Est-elle de Pascal la phrase : « Nous sommes par nature si futiles que seules des distractions peuvent nous empêcher de mourir » ? Non, elle est, malgré son apparence pascalienne, de Céline. De Baudelaire, il n'est pas difficile de trouver une parenté avec l'esprit de Céline, dans le poème La Charogne, et dans d'autres que cite Serge Kanony.
Que Céline soit dans la tradition des grands moralistes français, nul ne peut en douter. Seulement il emploie le langage de son temps, non celui académique du siècle de Louis XIV, si attentif à la correction de la langue. De là, sa langue qui peut scandaliser par sa vulgarité. De là aussi sa fascination pour la scatologie qui tourne autour des lieux d'aisance et de ce qu'ils contiennent. Pour autant, Céline n'est pas seulement tragique, ses romans contiennent toujours des scènes comiques. Le Casse-pipe, de la première page à la dernière se lit avec sourire. Le livre de Serge Kanony est une invitation à relire Céline, et pour ceux qui ne l'ont jamais lu, à en entreprendre la lecture. Livre précieux, débroussaillant les thèmes de Céline, leur donnant leur véritable portée. Il faut remercier Serge Kanony, ancien élève et ancien professeur agrégé du lycée Lapérouse d'Albi, de cette introduction à la lecture de Céline. Même ceux qui le connaissent bien ont beaucoup à apprendre et le rattachement de Céline à Hésiode lui donne la seule dimension qui est finalement la sienne.
Le premier étonnement du lecteur est sans doute que, pour expliquer l'auteur le plus moderne, soit fait appel à un auteur grec des plus anciens, Hésiode, un contemporain d'Homère, à sa mythologie : le Chaos, masse indistincte et mélangée, qui a donné naissance à la Nuit d'où est issue « L'odieuse mort ». Serge Kanony appelle cette soupe originelle « ça », un mot neutre, dépréciatif, méprisant, d'où sont nés Céline et ses ouvrages, Voyage au bout de la nuit, et Mort à crédit, deux monstres que les libraires cachaient au fond de leur arrière-boutique, et que les lecteurs avaient l'impression de tenir dans leurs mains. A l'académie Goncourt, on a préféré ne pas donner le prix à Céline mais à Guy Mazeline, et les lecteurs préfèrent lire les romans populaires d'Eugène Dabit, qui contait les mêmes histoires tristes, mais d'une façon plus convenable. Les romans de Céline sont le constat cruel d'une réalité insoutenable : la mort. Et pour exprimer la vérité de ce qu'elle est, il faut la langue du « ça », proche de l'oral, bousculée, jouant avec les mots, s'occupant peu de syntaxes ; le contraire de la langue du « cela », policée, soucieuse du bien écrire. Le « Cela » est la langue des « nantis », le « ça » la langue des « miteux ». Il n'empêche que Céline est dans la grande tradition moraliste française, Pascal, Baudelaire. Est-elle de Pascal la phrase : « Nous sommes par nature si futiles que seules des distractions peuvent nous empêcher de mourir » ? Non, elle est, malgré son apparence pascalienne, de Céline. De Baudelaire, il n'est pas difficile de trouver une parenté avec l'esprit de Céline, dans le poème La Charogne, et dans d'autres que cite Serge Kanony.
Que Céline soit dans la tradition des grands moralistes français, nul ne peut en douter. Seulement il emploie le langage de son temps, non celui académique du siècle de Louis XIV, si attentif à la correction de la langue. De là, sa langue qui peut scandaliser par sa vulgarité. De là aussi sa fascination pour la scatologie qui tourne autour des lieux d'aisance et de ce qu'ils contiennent. Pour autant, Céline n'est pas seulement tragique, ses romans contiennent toujours des scènes comiques. Le Casse-pipe, de la première page à la dernière se lit avec sourire. Le livre de Serge Kanony est une invitation à relire Céline, et pour ceux qui ne l'ont jamais lu, à en entreprendre la lecture. Livre précieux, débroussaillant les thèmes de Céline, leur donnant leur véritable portée. Il faut remercier Serge Kanony, ancien élève et ancien professeur agrégé du lycée Lapérouse d'Albi, de cette introduction à la lecture de Céline. Même ceux qui le connaissent bien ont beaucoup à apprendre et le rattachement de Céline à Hésiode lui donne la seule dimension qui est finalement la sienne.
La Dépêche, 29 novembre 2012.
Préface d'Éric Mazet. Commander votre exemplaire
Il n'y a plus que dans la presse régionale qu'on lise encore d'aussi bons articles.
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