Louis-Ferdinand
Céline a sollicité l’asile politique à l’Espagne de Francisco Franco. Le
romancier français le plus controversé de l’Histoire cherchait, ainsi, à éviter
d’être jugé pour trahison dans son pays. C’est ce que rapporte ces jours-ci l’hebdomadaire
politique L’Express, faisant écho à un grand reportage sur ce
sujet publié dans le n°51 de la revue spécialisée Histoires Littéraires,
qui a eu accès aux archives du Ministère des Affaires étrangères espagnol où
fut traitée la demande.
C’était en
1949 et l’auteur du fondamental « Voyage au bout de la nuit » (1932),
ce roman grandiose qui dénonce la guerre et le colonialisme, craignait qu’un
jugement ne le condamne à la prison ou, peut-être, à la guillotine. Accusé de
complicité avec le régime de Vichy et d’indignité nationale, son avocat
Jean-Louis Tixier Vignancour (autre collaborateur notoire), lui aurait
conseillé d’abandonner l’Hexagone pour éviter une condamnation qui s’annonçait
alors trop sévère, étant donné l’approche de la fin de la seconde guerre
mondiale.
C’est
ainsi que le romancier français le plus traduit du XXe siècle après Proust se
résigna à l’exil danois où il passa un an et demi en prison et quatre de plus
dans une baraque rudimentaire sur les bords de la Baltique pour ne pas revenir
comme un pestiféré dans cette patrie qui le haïssait. Auparavant, il avait
essayé, sans succès, de se réfugier en Suisse ou en Espagne.
Sous la
pression de son épouse Lucette, l’écrivain entre en contact avec les autorités
espagnoles, par l’intermédiaire de son ami, Antonio Zuloaga, ancien attaché
culturel à l’Ambassade d’Espagne à Paris. Apparemment, le régime du général
Franco donna, en un premier temps, une réponse affirmative à cette demande. Mais
une mise en garde du Gouvernement de de Gaulle, laissant entendre que l’accueil
de l’écrivain nuirait aux bonnes relations bilatérales, fit échouer ce projet,
comme le rapporte l’historien et professeur émérite de l’Université de Séville,
Jean-Paul Goujon dans son important dossier intitulé « Le rêve espagnol de Céline, documents inédits ».
Aimé ou
haï, incompris la plupart du temps, Céline est incontestablement une gloire des
Lettres européennes et, cependant, un traître, un antisémite, condamné en 1950
par la République française à une année de réclusion (qu’il avait déjà
effectuée au Danemark), 50.000 francs d’amende, la confiscation de la moitié de
ses biens et la dégradation nationale. Ce dernier châtiment qui s’appliquait à
tous les traîtres pendant la période de l’après-guerre, n’était pas anodin :
privation du droit de vote et du droit de porter des armes, interdiction de se
présenter à des élections ou de solliciter un emploin public, perte de tout
grade et décoration militaires et exclusion des professions juridiques,
professorales, journalistiques et bancaires.Amnistié
en 1951 grâce à un tour de passe-passe de son représentant légal (qui le
présenta comme blessé de la guerre de 14 sous son véritable patronyme de
Destouches), notre homme revint en France et s’installa avec son épouse Lucette
dans la maison d’amis à Nice, très loin des cercles littéraires parisiens qui
lui étaient fermés pour toujours. Il finit ses jours à Meudon (Hauts de Seine),
exerçant la médecine sous son vrai nom avec la plus grande discrétion jusqu’à son
décès, en 1961, victime d’un anévrisme cérébral.
Pardonner à Louis
Même
après sa mort, ses compatriotes n’ont pas pardonné à Céline la publication de
trois pamphlets indignes dans lesquels il flirtait avec l’antisémitisme et le
nazisme : Bagatelles pour un massacre (1937), L’Ecole
des cadavres (1938) et Les beaux draps (1941). D’où le
fait que le 1er juillet 2011, le cinquantième anniversaire de sa mort n’ait eu
droit à la moindre commémoration officielle, suite à la décision de dernière
heure du ministre de la Culture d’alors, Frédéric Mitterrand, face à la
protestation de certains citoyens indignés. « Cet
hommage mettrait à la torture notre mémoire d’orphelins d’une Shoah pendant
laquelle son talentueux délire attisa vigoureusement le feu de la haine contre
les juifs. A ceux qui s’offusqueraient en exigeant sa rédemption publique, nous
répondons que beaucoup de siècles doivent s’écouler avant que l’on célèbre au même
niveau les victimes et les bourreaux » disait la missive envoyée au
ministère par l’avocat Serge Klarsfeld, célèbre chasseur de nazis et Président
de la FFDJF (Association des Fils et Filles de Déportés juifs de France).
Malgré
tout, l’auteur de Mort à crédit continue à être régulièrement
réédité et à susciter des études comme celles de Jean-Paul Goujon. Parmi les
dernières manifestations consacrées à son œuvre, figurent les lectures dramatisées
que l’acteur Fabrice Luchini a données avec un grand succès ces derniers temps,
de même que la récente adaptation théâtrale du Voyage au Théâtrede l’Oeuvre à Paris. Une mention spéciale doit être accordée au très
opportuniste livre-guide Le Paris de Céline (Albin Michel), où l’historien
et auteur de « best sellers » Patrick Buisson propose un itinéraire
insolite à travers les lieux où s’est déroulée la vie de ce personnage
polémique jusqu’à sa tombe, dont le maire de Paris, lui-même, Bertrand Delanoé,
a dit l’an dernier : « Céline était un excellent écrivain, mais un
parfait salaud ».
Juan Manuel BELLVER
El Mindo, 11 décembre 2012.
Traduction Annie CLOULAS
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