Le site Terres Nykthes a publié en novembre dernier un entretien avec Daniel Stilinovic, qui vient de faire paraître On sera rentrés pour les vendanges aux éditions Pierre-Guillaume de Roux, roman ayant pour héros les soldats de 14 endurant la vie dans les tranchées. Au cours de cet entretien est évoqué Céline, son style, sa langue, son écriture de la guerre de 14. Extraits :
Ils sont
aussi l’occasion de goûter à votre verve lexicale, qui s’y déploie dans
les grandes largeurs ! Et de feuilleter des pages
d’histoire… En vous lisant on pense évidemment à Céline, non que
votre langue soit "célinienne" mais elle est inventive, vigoureuse comme
la sienne, avec beaucoup de points d’exclamation. Quel
est votre rapport avec Céline ?
Il est l’un des auteurs qui m’a le plus profondément marqué. Et Proust aussi: pour moi, ce sont les deux plus grands écrivains français. Pourtant je suis un gros lecteur – je lis en moyenne un livre par semaine, quand je suis en forme et que je n’écris pas. Mais ils restent à mes yeux les plus grands. Et c’est curieux parce que humainement, ils sont l’un et l’autre infréquentables; Céline était égocentrique, caractériel, et je ne parle pas de son antisémitisme de pacotille, qui je crois est beaucoup plus littéraire que réel mais n’empêche: écrire toutes les conneries qu’il a écrites sur les juifs pendant la guerre il fallait vraiment être irresponsable ! Quant à Proust, cette petite chochotte qui se faisait enfiler par ses copines, cet enfant gâté… il ne devait pas être très fréquentable non plus. Moi, j’essaie de rester fréquentable… c’est se donner beaucoup d’importance que de chercher à jouer les divas! Pour ce qui est de l’écriture, je n’ai pas cherché à "écrire comme" Untel, ça n’a aucun intérêt puisque ça a déjà été fait; j’ai plutôt tâché de trouver une langue nouvelle, celle d’aujourd’hui – ou de demain, si on est un peu prétentieux et qu’on se prenne pour un auteur…
Il est l’un des auteurs qui m’a le plus profondément marqué. Et Proust aussi: pour moi, ce sont les deux plus grands écrivains français. Pourtant je suis un gros lecteur – je lis en moyenne un livre par semaine, quand je suis en forme et que je n’écris pas. Mais ils restent à mes yeux les plus grands. Et c’est curieux parce que humainement, ils sont l’un et l’autre infréquentables; Céline était égocentrique, caractériel, et je ne parle pas de son antisémitisme de pacotille, qui je crois est beaucoup plus littéraire que réel mais n’empêche: écrire toutes les conneries qu’il a écrites sur les juifs pendant la guerre il fallait vraiment être irresponsable ! Quant à Proust, cette petite chochotte qui se faisait enfiler par ses copines, cet enfant gâté… il ne devait pas être très fréquentable non plus. Moi, j’essaie de rester fréquentable… c’est se donner beaucoup d’importance que de chercher à jouer les divas! Pour ce qui est de l’écriture, je n’ai pas cherché à "écrire comme" Untel, ça n’a aucun intérêt puisque ça a déjà été fait; j’ai plutôt tâché de trouver une langue nouvelle, celle d’aujourd’hui – ou de demain, si on est un peu prétentieux et qu’on se prenne pour un auteur…
La guerre de 14, dans Voyage au bout de la nuit, ne tient qu’en quelques pages mais je crois qu’après avoir lu ce roman, on ne peut pas penser à
cette guerre sans avoir à l’esprit Bardamu et Robinson…
Mais parfaitement ! Ce que Céline a écrit sur la guerre de 14 compte parmi les plus belles pages romanesques consacrées à cette période ! Sinon, pour moi, il y a deux romans sur la guerre de 14 que je trouve vraiment exceptionnels : d’une part le cycle de Maurice Genevoix parce que c’est écrit par un combattant, et La Peur, de Gabriel Chevalier – l’auteur, entre autres, de Clochemerle et Clochemerle-Babylone – qui est un récit autobiographique; cette peur, il l’a vraiment vécue. À côté, Les Croix de bois de Dorgelès, Le Feu de Barbusse, c’est de la gnognotte !
Mais parfaitement ! Ce que Céline a écrit sur la guerre de 14 compte parmi les plus belles pages romanesques consacrées à cette période ! Sinon, pour moi, il y a deux romans sur la guerre de 14 que je trouve vraiment exceptionnels : d’une part le cycle de Maurice Genevoix parce que c’est écrit par un combattant, et La Peur, de Gabriel Chevalier – l’auteur, entre autres, de Clochemerle et Clochemerle-Babylone – qui est un récit autobiographique; cette peur, il l’a vraiment vécue. À côté, Les Croix de bois de Dorgelès, Le Feu de Barbusse, c’est de la gnognotte !
[...]
Dans On sera rentrés pour les vendanges, votre style emprunte beaucoup aux argots, militaire notamment ; d’où vous vient ce
goût pour la langue argotique ? Ce registre est-il propre à ce roman ?
Non, j’écris comme ça… J’essaye d’écrire comme on parle. En sachant bien que l’écrit, ce n’est jamais de l’imitation: pour donner l’illusion du langage parlé il faut fournir un putain de travail d’écriture, et ça relève vraiment de la littérature! Si vous transcrivez simplement l’oral, à l’arrivée vous avez un truc plat, minable. Par exemple, il n’y a pas plus travaillé que la langue de Céline, alors qu’on a l’impression que c’est de la langue parlée. Mais chaque mot, chaque virgule sont pesés; c’était un travailleur acharné. Moi c’est pareil… Mon vocabulaire vient en partie de mes souvenirs; je suis né à Paris, j’ai grandi à Paris, rue Vivienne – c’était alors un quartier populaire – et j’ai vécu parmi les boutiquiers, les épiciers, les ouvriers, les concierges, les pue-la-sueur des Halles – j’allais souvent là-bas décharger des cageots pour gagner trois sous… Et il y avait la rue Saint-Denis; à l’époque ça grouillait de filles, de clients, de macs… Aux souvenirs s’ajoute ce que je glane au comptoir des bistrots… J’adore m’accouder là, commander un demi… très vite quelqu’un va venir spontanément bavarder avec moi. On n’a rien à se dire, mais on va échanger trois mots… Et ça marque, parce qu’on apprend beaucoup. La langue de comptoir est merveilleuse, même si, souvent, le contenu est creux – mais on s’en fout du contenu…
Lire l'entretien dans son intégralité sur :
http://terres-nykthes.over-blog.com/Non, j’écris comme ça… J’essaye d’écrire comme on parle. En sachant bien que l’écrit, ce n’est jamais de l’imitation: pour donner l’illusion du langage parlé il faut fournir un putain de travail d’écriture, et ça relève vraiment de la littérature! Si vous transcrivez simplement l’oral, à l’arrivée vous avez un truc plat, minable. Par exemple, il n’y a pas plus travaillé que la langue de Céline, alors qu’on a l’impression que c’est de la langue parlée. Mais chaque mot, chaque virgule sont pesés; c’était un travailleur acharné. Moi c’est pareil… Mon vocabulaire vient en partie de mes souvenirs; je suis né à Paris, j’ai grandi à Paris, rue Vivienne – c’était alors un quartier populaire – et j’ai vécu parmi les boutiquiers, les épiciers, les ouvriers, les concierges, les pue-la-sueur des Halles – j’allais souvent là-bas décharger des cageots pour gagner trois sous… Et il y avait la rue Saint-Denis; à l’époque ça grouillait de filles, de clients, de macs… Aux souvenirs s’ajoute ce que je glane au comptoir des bistrots… J’adore m’accouder là, commander un demi… très vite quelqu’un va venir spontanément bavarder avec moi. On n’a rien à se dire, mais on va échanger trois mots… Et ça marque, parce qu’on apprend beaucoup. La langue de comptoir est merveilleuse, même si, souvent, le contenu est creux – mais on s’en fout du contenu…
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Daniel Stilinovic, On sera rentrés pour les vendanges, Ed. P.-G. de Roux, 2012.
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Entretien rudement bien mené et intéressant. Donne envie de découvrir l'auteur et l'oeuvre.
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