vendredi 7 décembre 2012

Jean-François BALMER : « Céline, un homme de style » - Le Figaro - 7 déc. 2012

Le comédien se lance dans une traversée de Voyage au bout de la nuit sous le regard de Françoise Petit. Par cœur et avec enthousiasme. En avril 2011, aux Gémeaux de Sceaux, pour quelques soirs, Jean-François Balmer avait donné une version scénique du grand livre de Louis-Ferdinand Céline. Il lisait encore, par moments, une version copieuse, avec entracte. Un spectacle de 2 h 30 circonscrit aujourd'hui à 1 h 35. Françoise Petit, qui l'a souvent dirigé, signe scénographie et mise en scène. Le comédien, devenu très populaire par le cinéma et la télévision (Boulevard du Palais), explique pourquoi il a choisi ce nouveau défi.

Après Baudelaire, qu'est-ce qui vous a conduit à dire Céline sur un plateau de théâtre, plutôt que de jouer une pièce ?
Il y a dans la poésie de Mon cœur mis à nu, ou dans l'épaisseur romanesque de Voyage au bout de la nuit, quelque chose qui m'appelle. J'admire la langue de Louis-Ferdinand Céline, j'admire l'homme de style. Transmettre cette langue, ce ­style, est exaltant. On meurt de trouille et on veut en découdre… C'est contradictoire… Je dirais que j'ai l'ambition de faire connaître encore mieux ce très grand livre du XXe siècle, un sommet de la littérature mondiale. Je dirais que ce qu'il raconte me bouleverse, que la puissance sans illusion de sa pensée dans ce livre me touche. Mais, je le précise, je ne pense pas à celui qui a écrit des textes ignobles.

Comment a été conçue cette nouvelle version ?
Les quatre éléments, les quatre «saisons», sont toujours présents: la guerre, l'Afrique, l'Amérique, la banlieue. Il s'agit de l'adaptation de Nicolas Massadau. Nous l'avons conservée ainsi que ses mouvements. Nous l'avons légèrement réduite, et Frédéric Franck, le directeur du Théâtre de l'Œuvre, qui produit le spectacle avec les Gémeaux de Sceaux, a suggéré quelques passages nouveaux. Françoise Petit, qui a imaginé la scénographie, a travaillé à un spectacle de 1 h 35. Comme à Sceaux, il y a quelques éléments de décor et, en particulier, des ciels différents… ou différents cieux… Les images de Tristan Sébenne, les lumières de Nathalie Brun et du son, signé Thibault Hédoin. Nous suggérons l'idée du voyage… Que nous raconte Céline? « La symphonie agitée de la nuit pour rien », ainsi qu'il le dit lui-même et qui pourrait être la clé du spectacle, de ce que voudrait être le spectacle.

Comment définiriez-vous l'écriture, le style de Céline ?
Il y a une musique. Une petite musique de Céline… Un régime de la phrase, une ampleur, un souffle. Mais il y a, qui frappe, ce qu'il dit de la langue: il essaie d'instiller le langage parlé dans une langue qu'il dit morte. Mais, disant cela, il écrit. Il n'y a rien de plus écrit que Céline. Il s'agit bien d'une « symphonie littéraire émotive », même s'il dit également: « On n'a plus beaucoup de musique en soi pour faire danser la vie ». Dire ce texte, dire le texte de ce roman-là, ne le trahit pas. Il décuple sa force épique.

Par-delà l'époque dont parle Céline, la Grande guerre, la Société des Nations, la vie de banlieue, pensez-vous qu'il y ait une résonance avec notre présent ?
La grande inspiratrice de Voyage au bout de la nuit, c'est la mort. « Notre vie est un voyage dans l'hiver de la nuit. Nous cherchons notre passage dans l'hiver et dans la nuit… » C'est ce que chantaient les Gardes suisses, en 1792… Il y a, dans l'art de Céline, l'art d'un grand chroniqueur. On pense aux ­Mémoires de Commynes sur le règne de Louis XI, de Charles VIII. On pense à Pline l'Ancien, qui, mieux que personne, raconte l'éruption du Vésuve… Mais ce dont nous parle encore plus profondément Céline, aujourd'hui, c'est d'une époque de crise… et les échos sont plus clairs que jamais.

Pour parler « métier », on aimerait vous demander comment on apprend un tel texte...
La mémoire… La mémoire… On dit que c'est un muscle! Peut-être. Je raconte souvent cette anecdote qui concerne Michel Duchaussoy. Nous tournions avec Claude Goretta. Un matin, il arrive, tout timide, deux feuillets à la main, et dit à Michel, qui devait tourner à 10 h 30: « Pardon, j'ai réécrit la scène… Pensez-vous pouvoir l'apprendre? On tournera cet après-midi. Mais soyez libre avec moi… Si c'est impossible, on fera autrement. » Michel regarde les deux pages pleines et dit: « Non, pas du tout. On peut tourner dès ce matin… » Au moment de la prise, deux heures plus tard, il savait son texte parfaitement… J'étais bluffé… Des années passent. On se croise un jour, heureux de se retrouver. ­Michel s'approche de moi et me le susurre à l'oreille. C'était le texte, tel quel, sans une hésitation, tout frais… Ah ! Je ne suis pas ainsi. Il me faut travailler, travailler, travailler… Mais Voyage au bout de la nuit nous porte, nous transporte, et le texte est là….

Vous aviez donné en 2011 quelques représentations aux Gémeaux, vous venez d'en donner deux autres. Une grande salle. Quelle différence, ici, au Théâtre de l'Œuvre ?
Regardez, regardez ce théâtre ! Regardez là-haut ce balcon, cette pente, ces boiseries… Il est d'une beauté ­profonde… Et quelle grande histoire, ici. Toute l'équipe artistique est ­heureuse, car, ici, en dessous de la ­place Clichy, nous sommes chez Céline, dans un quartier qu'il fréquentait et dont il parle très bien.

Propos recueillis par Nathalie SIMON et Armelle HELIOT
Le Figaro, 7 décembre 2012.


Théâtre de l'Œuvre
55 rue de Clichy
75009 PARIS
  01 44 53 88 80

Mardi, Mercredi, Jeudi, Vendredi, Samedi à 21h00
Samedi à 17h
Dimanche à 16h

1 commentaire:

  1. Si Balmer est aussi bon dans Voyage qu'il y a treize dans Novecento (de Baricco), ce peut être un régal.

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