mardi 31 juillet 2012

Louis-Ferdinand Céline : « Ce monde me paraît extraordinairement lourd »

Ce monde me paraît extraordinairement lourd avec ses personnages appuyés, insistants, vautrés, soudés à leurs désirs, leurs passions, leurs vices, leurs vertus, leurs explications. Lourds, interminables, rampants, tels me paraissent les êtres, abrutis, pénibles de lenteur insistante. Lourds. Je n’arrive en définitive à classer les hommes et les femmes que d’après leurs « poids ». Ils pèsent…

Louis-Ferdinand Céline, lettre à Evelyne Pollet, 31 mai 1938.

lundi 30 juillet 2012

Échos céliniens...

> Colloque Céline : Michel Mouls, sur son site internet Céline en phrases, rend compte du XIXè colloque Céline qui s'est tenu à Berlin du 6 au 8 juillet 2012 : présentation de l'ensemble des communications et visite du domaine du Professeur Harras. A lire sur www.celineenphrases.fr.

> Kiosque : La sortie du sixième numéro de Spécial Céline, que nous vous annoncions pour le 2 juillet, vient finalement de paraître. En vente en kiosque ou sur www.journaux.fr.

> Théâtre : Le journal La Provence a rendu compte dans son numéro du 16 juillet 2012, sous la plume de Danièle Carraz, du spectacle "Faire bouillir le chevreau dans le lait de sa mère" joué jusqu'au 28 juillet en Avignon : « Comédien et metteur en scène, Ivan Morane réunit Marcel Proust et Louis-Ferdinand Céline dans un impossible dîner en tête à tête. Forcément fin, le menu du grand bourgeois d’origine juive, à la recherche du temps perdu ! Et férocement frustes, les goûts du grand imprécateur antisémite et homophobe, né à Courbevoie dans une famille rude qui ne connut que misère et "angoisse de la bouffe". Au-delà de la nourriture, tout, absolument tout, oppose ces immenses écrivains, qui ont tous deux, révolutionné la langue et la littérature. Ce qui les rapproche cependant ? Une mère et une grand mère très aimées. Qui hantent leur œuvre. L’amour de la mère, voilà donc le cœur tremblant de ces échanges savoureux entre les deux faux convives, monologues qui auraient pu être dialogues de sourds et puis non : ils volent de correspondances en correspondances, avec Ivan Morane, qui saute de Proust à Céline et d’un bout de la table du banquet à l’autre, avec une grâce infinie. Soutenu par la musicienne Silvia Lenzi, voici un spectacle plein d’humour et de gravité, tendre et méchant, précis en diable, réaliste et onirique… Un bonheur. » Jusqu’au 28 juillet, à 19h Théâtre des Halles. Réservations 04 32 76 24 51. www.laprovence.com.

> Théâtre : Alan Boone a adapté Voyage au bout de la nuit du 20 au 22 juillet 2012 en Saône et Loire pour un spectacle de rue et de nuit, que le journaliste du Journal de Saône et Loire, Samuel Bon, n'a guère apprécié : « L’un des cris les plus farouches, les plus insoutenables que l’homme ait jamais poussé ». C’est ce qu’écrivit Gaëtan Picon à propos du Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, publié en 1932. Un « cri », le plus connu des romans de l’auteur de Mort à crédit, Féérie pour une autre fois ? C’est peu douteux. Un cri déchirant même. Cela posé, celui qui n’a jamais lu une ligne de ce pléiadisé peut-il s’en douter un instant une fois terminé le « spectacle » mis en scène par Alan Boone ? C’est loin d’être évident. Mais peut-être n’était-ce pas là l’objectif de ceux qui ont monté ce spectacle de rue… Quel était-il alors ? Faire lire ce romancier d’exception qu’était Céline à ceux qui ne l’avait encore jamais pris en pleine face ? Si c’est cela, pas sûr qu’une telle adaptation y parvienne. Certes, l’acteur, à qui il arrive de donner vie à l’ineffable Bardamu, a une indéniable présence, assurée par une gestuelle (trop ?) travaillée et un corps massif. Toutefois, il est impuissant à révéler, à lui seul, la richesse et la puissance du langage de Céline. Et ce ne sont pas les vidéos diffusées pour essayer d’illustrer ses tirades, sortes de court-métrages à mi-chemin entre du Saw en promo et du succédané de Blair witch project de lendemain de cuite, qui l’y aideront. Bref, il y a peut-être de meilleures façons d’employer les 50 longues minutes que dure ce « remix ». En tout cas, à l’instar du petit Gibus de La Guerre des boutons d’Yves Robert : « Si j’avais su, j’aurais pas venu ». www.lejsl.com, 20 juillet 2012.

samedi 28 juillet 2012

« Voyage au bout de la nuit » - Prolétariat n°2 - Aout-Septembre 1933

La revue Prolétariat, dirigée par Henry Poulaille, a publié douze numéros de juillet 1933 à juillet 1934. Dans son n°2 d'août-septembre 1933, elle consacre deux pages à Voyage au bout de la nuit sorti l'année précédente chez Denoël et Steele. Henri Duclos, auteur de l'article est médecin lui-même. Il s'attarde donc plus particulièrement sur le comportement de son homologue médecin Bardamu. Entre étonnement et révolte, le jugement est sévère...




Sans doute serait-il plus habile de n'en point parler. Le silence est une thérapeutique souveraine en pareil cas. Mais puisqu'il est trop tard pour l'appliquer, allons jusqu'au bout de cette nuit, et qu'on s'explique !
Une petite note en guise de préface dresse son piège au lecteur assez ingénu pour la négliger : Hommes, bêtes, villes et choses, tout est imaginé. C'est un roman, rien qu'une histoire fictive. C'est de l'autre côté de la vie.
Utile précaution contre le scandale probable. Celui qui s'indignera en sera ridiculisé.
C'est-à-dire que MM. Louis-Ferdinand Céline traite son ouvrage de plaisanterie? Son article retentissant, paru dans Candide, prouve le contraire. C'est heureux, car il serait plus difficile de secouer un aimable fumiste que de charger des moulins à vent.
On a déjà beaucoup parlé de ce livre, pour le plus grand profit de son auteur. Les uns ont crié au miracle devant un style soi-disant inédit. Les autres n'y ont vu qu'une construction maladroite, infestée de mauvaise littérature. Les blasés et les snobs y ont goûté un frisson nouveau. Le peuple n'a rien compris au langage qu'on lui prête, mais qu'il n'a jamais parlé. Enfin, pour mettre le comble à la confusion, des âmes de bonne volonté ont retrouvé là leur angoisse et la célèbre alternative posée à Huysmans, après A. Rebours: la bouche du revolver ou le pied de la Croix.
Peut-être chacun a-t-il raison? Personnellement, je serais prêt à oublier quelques fautes de goût pour la verve de certains passages, si d'autres, par ailleurs, ne me révoltaient pas. J'ai tâché consciencieusement d'avaler le tout, au risque de ressembler à ces enfants qui ne prennent leur huile de foie de morue qu'avec force grimaces et en se bouchant le nez. Mon estomac s'y est refusé, je le regrette.
Déformation professionnelle? Médecin, je n'ai pu m'empêcher de juger un médecin écrivant l'histoire d'un médecin. Médecin imaginé, soit, de l'autre côté de la vie (voir plus haut). Mais de deux choses l'une : ou Bardamu est en dehors de la vie, sans lieu de ressemblance avec aucun de nos confrères, et alors le livre, bon pour Sirius, ne nous intéresse pas; ou un pamphlet, de dessiner une caricature, c'est-à-dire de faire une œuvre plus vraie que la vérité même, et il y a échoué tristement.
Admettons que la médecine-sacerdoce soit reléguée aux temps de la Légende Dorée. Admettons encore, avec La Rochefoucauld, que l'égoïsme soit le seul promoteur de la gent médicale connu de toute la race humaine. Admettons l'existence — cette fois, il le faut bien — des mauvais médecins : médecins marrons, médecins d'officines troubles, trafiquants de carnets, d'accidents de travail, de stupéfiants, médecins charlatans médecins avorteurs. Mais, le pire de ces dévoyés, le moment venu, aura l'étincelle. Je les mets au défi de rester jusqu'au bout, voire jusqu'au bout de la nuit, aveugles et sourds. La médecine impose un caractère sacré qu'il n'est pas facile de renier — eh ! oui, Monsieur Bardamu ! — Elle oblige à des réflexes que le plus taré traîne avec lui.
Ces réflexes, Bardamu ne les a pas. On jurerait que sa physionomie falote a été créée par un profane, un profane qui aurait prodigué les termes techniques pour masquer son impuissance essentielle à concevoir une personnalité de médecin, même aussi lamentable, un profane qui aurait ignoré les rudiments primordiaux de la science médicale.
Or, comme M. Céline est médecin, la question se pose de savoir pourquoi il a ainsi faussé son personnage. Nous examinerons plus loin ce problème. Pour l'instant, repassons les attitudes les plus invraisemblables de Bardamu. Il est appelé pour une métrorrhagie post abortive. Le cas est très grave. Il conseille le transport d'urgence à l'hôpital. La mère refuse, à cause du scandale. Qu'en penseraient les voisins et les voisines ?
Jusqu'ici la chose est, hélas ! très banale. Ce qui l'est moins, c'est la façon d'agir de notre étrange docteur. N'importe quel médecin aurait enlevé sa veste, retroussé les manches de sa chemise, et, tandis qu'il aurait ordonné de faire bouillir en hâte une marmite d'eau, se serait appliqué lui-même à arrêter l'hémorragie. Je saute les détails. Un médecin de campagne se trouve presque chaque jour devant des cas analogues, loin de toute clinique ou hôpital. La malade serait peut-être morte dans ses bras, saignée à blanc, ou, quelques jours plus tard, d'une bonne éclampsie; mais il serait rentré, je ne dis pas avec la satisfaction du devoir accompli, c'est trop vieux jeu, il serait rentré avec le plaisir physique d'une lutte acceptée et menée jusqu'au bout: Si, de nos jours, on n'est plus moral, du moins on reste sportif. 

Voilà ce qu'aurait fait Bardamu comme les autres, si M. Louis-Ferdinand Céline n'avait pas décidé d'écrire l'épopée de la lâcheté. Abandons, reniements, quand on tient un si beau sujet à l'usage des gens du monde, on ne s'oublie pas jusqu'à soigner une pauvre fille dont le sang fait glouglou entre les jambes. Je remis le gros coton, raconte Bardamu, et remontai sa couverture simplement. Ce simplement est prodigieux !
Et puis : je revins pour sentir son pouls, plus menu, plus furtif que tout à l'heure. Elle ne respirait que par à-coups. J'entendais bien, moi, toujours, le sang tomber sur le parquet comme à petits coups d'une montre de plus en plus lente, de plus en plus faible. Rien à faire. La mère me précèdait vers la porte. — Surtout, me recommanda-t-elle, transie, Docteur, promettez-moi que vous ne direz rien à personne ? — Elle me suppliait. — Vous me le jurez ? Je promettais tout ce qu'on voulait. Je tendis la main. Ce fut vingt francs.
Un autre épisode aussi étonnant clôt le livre. Bardamu est en taxi, avec Robinson et deux femmes. L'une d'elles tire deux balles de révolver dans le ventre de Robinson. Un médecin, en pareil cas, ne peut hésiter. Il donne au chauffeur l'adresse de l'hôpital le plus proche et il fait opérer d'urgence par le chirurgien de garde. Songez que le blessé est déjà dans l'auto. Opéré immédiatement, il aurait toutes les chances pour lui.
Mais c'est compter sans le souci « littéraire » de M. Céline. Il faut aller jusqu'au bout de la nuit. Il l'a promis. Il faut accomplir la dernière saleté, laisser crever un ami, se débarrasser d'un gêneur, mais sans en avoir l'air. Car, si le propos était délibéré, Badamu serait moins parfaitement lâche. Les bandits ne sont pas assez méprisables. Le voici donc aussitôt après les coups de révolver : Je ne savais plus trop quoi décider moi avec le blessé. Le ramener à Paris, ça aurait été dans un sens plus pratique. Mais nous n'étions plus loin de notre maison. Les gens du pays auraient pas compris la manœuvre...
Si j'avais été à sa place à Léon, j'aurais préféré, pour moi, une hémor- ragie interne, ça vous inonde le ven- tre, c'est rapidement fait. Tandis que par une péritonite, c'est de l'infection en perspective c'est long.
(Hé ! M. Céline, la chirurgie, pour qui est-elle faite ?) Et le ton continue : Je restais, devant Léon, pour compatir et jamais j'avais été aussi gêné. Il nous tenait par la main. Chacun une. Je l'embrassai. Il n'y a plus que ça qu'on puisse faire sans se tromper dans ces cas là (sic). On a attendu. Il a plus rien dit. Un peu plus tard, une heure peut-être, pas davantage, c'est l'hémor- ragie qui s'est décidée, mais alors abondante, interne, massive. Elle l'a emmené.
Donc, en faisant vite, on aurait opéré à temps. Ces dernières lignes passent l'imagination. Ecrites par un médecin, elles dévotent un tel parti-pris qu'elles frisent la naïveté. Il y a encore le chapitre où Bardamu se partage entre un moribond et une femme en train d'accoucher, uniquement pour ne pas perdre ses honoraires, Il ne réussit qu'à montrer une fois de plus son incommensurable ignorance professionnelle, sans parler de sa bassesse : La sage-femme attend de son côté que je patauge en plein, que je me sauve et que je lui laisse les cent francs. Mais elle peut courir la sage-femme ! Et mon terme alors ? Qui c'est qui le payera ? Cet accouchement vasouille depuis le matin, je veux bien. Ça saigne, je veux bien aussi, mais ça ne sort pas, et faut savoir tenir ! 
Les snobs qui s'invitent à voir des films chirurgicaux doivent être servis. La note répugnante et salace n'y manque même pas, comme, après l'épisode de l'avortement, le tableau de ce ménage qui s'excite à maltraiter une fillette. Sadisme et lâcheté jettent leurs feux troubles sur l'œuvre de M. Louis-Ferdinand Céline. Cette âpre critique de l'humanité ne serait-elle en définitive que la critique de ses lecteurs ?
Dans son article de Candide, M. Céline revendiquait la gloire d'avoir excité le nerf dentaire du public. Mais Bardamu, aussi piètre physiologiste que mauvais clinicien, à confondu le nerf dentaire avec le pneumogastrique, nerf du vomissement. En fait de frisson nouveau, il n'a mis au point qu'un émétique infaillible.

Henri DUCLOS
Prolétariat n°2, Août - Septembre 1933


> Télécharger le numéro complet : Prolétariat n°2, Août-Septembre 1933 (pdf, 85 pages)

Décès d'Yves Turpin, époux de Colette Destouches

Monsieur Yves Turpin, époux de Colette Destouches, fille unique de Louis-Ferdinand Céline décédée le 9 mai 2011, est décédé le 26 juillet 2012. Il avait 92 ans. Les obsèques seront célébrées lundi 30 juillet 2012 en l’église de Lannilis-Finistère.

jeudi 26 juillet 2012

« Le discours psychiatrique dans Voyage au bout de la nuit » par Carine TRÉVISAN (1996)

De l'aveu au témoignage : 

le discours psychiatrique dans Voyage au bout de la nuit 

par Carine TRÉVISAN


Dans Moravagine, publié en 1926, Cendrars se livrait à une dénonciation particulièrement virulente de la médecine mentale. Le roman s'ouvre sur l'énigme du cas Moravagine, énigme qui suscite une enquête, inaboutie, du narrateur-personnage : le « dossier secret » du malade Moravagine n'est pas retrouvé. Les dernières pages du texte viennent comme combler ce blanc initial : le roman se conclut sur la « copie fidèle » du long rapport d'autopsie des psychiatres qui ont soigné Moravagine, évacué du front pour troubles psychiques. Qualifié ironiquement par le narrateur d'« étonnante oraison funèbre » (1), ce rapport se présente comme un travail exemplaire de recherche scientifique de la vérité sur le cas Moravagine. Paradoxalement, il n'en lève aucune des énigmes. La fin du récit renoue ainsi avec le début dans un même discrédit jeté sur le discours et la pratique psychiatriques. On peut replacer Voyage au bout de la nuit, et le travail de montage du discours savant auquel se livre le narrateur, dans cette perspective de remise en question du discours psychiatrique comme mode d'accès à la vérité, montage particulièrement complexe dans le cas de Céline. Alors que dans Moravagine, le discours médical/psychiatrique est désigné comme un discours autre et tenu à distance par son insertion à la fin du texte sous la forme d'un discours rapporté, en italique, dans Voyage, le discours psychiatrique apparaît à la fois dans les formes, linguistiquement repérables, de l'hétérogénéité montrée et dans celles, qui débordent la description linguistique, de l'hétérogénéité constitutive, pour reprendre les catégories mises en place par Jacqueline Authier (2). Du côté de l'hétérogénéité montrée, on trouve les discours du Professeur Bestombes (3), médecin-chef d'un bastion de Bicêtre qui reçoit les évacués du front, nommé 4 galons et surnommé le Maître, et celui du Docteur Baryton, directeur de l'asile de Vigny-sur-Seine (4), tous deux insérés sous la forme de discours rapportés. Mais ces discours, clairement désignés comme discours de l'autre, doivent être appréhendés sur fond de l'hétérogénéité constitutive du discours célinien. La délimitation du discours médical/psychiatrique dans Voyage est en effet rendue d'autant plus ardue qu'on a affaire ici à un auteur médecin — et médecin auteur d'ouvrages scientifiques : en 1932, date de parution du Voyage, Céline a déjà fait paraître sa thèse sur l'hygiéniste viennois Semmelweis et plusieurs écrits de médecine sociale (5) — , qui met en scène les propos d'un narrateur médecin, lequel rapporte les discours de personnages médecins psychiat resq,u i citent à leur tour des psychiatres. Notons enfin que si Céline est médecin généraliste, il consacre une partie de sa thèse à décrire la « folie » de Semmelweis et s'intéresse de près à l'« énorme école freudienne » (6). 

Nous examinerons ici plus particulièrement le montage du discours du Professeur Bestombes, exemplaire à la fois des effets de l'hétérogénéité, constitutive ou montrée, et des enjeux, pour la parole romanesque, de la critique du discours savant : comment le dispositif de parole mis en place par la psychiatrie « de guerre » est-il, dans Voyage, discrédité au profit d'un autre rapport à l'écoute et à la prise en charge du discours d'autrui ?

LES « RITUELS » DE L'AVEU (7)

Le discours du professeur Bestombes est provoqué par un « aveu » du narrateur-personnage, une confidence, un « accès franchise » : Bardamu avoue son absence de volupté à l'idée de combattre et de tuer. Notons que cet aveu a été longuement retenu : une première tentative de se confier a lieu sur le champ de bataille. Pris de panique, le personnage, qui veut «arrêter la guerre», s'approche de son colonel : « J'allais lui parler. Jamais je ne l'avais fait. C'était le moment d'oser » (s). Suit l'une des scènes de guerre les plus violentes de Voyage, qui rend cette confidence littéralement inaudible : le colonel est, dans un bruit « comme on ne croirait jamais qu'il en existe », soufflé par une explosion, projeté dans les bras d'un soldat décapité.
Dans le service de Bestombes, l'« accès de franchise » de Bardamu, apparemment enfin entendu, suscite un long discours enthousiaste du professeur, qui tourne précisément autour de l'aveu. Cette « confidence » est référée à une conduite répertoriée dans les écrits des aliénistes sous la dénomination « crises dites d' "aveux" » ou encore « diarrhée cogitive de libération ». Bestombes accrédite son savoir en insérant dans son discours des citations d'autorités médicales : Vaudesquin, médecin des armées de l'Empire, Margeton (tous deux inventés par Céline), et Dupré (personnage reél (9)). L'enthousiasme du psychiatre s'explique de lui-même : l'aveu est l'« indice très encourageant d'une amélioration » de l'état ment alc ar non seulement la crise d'aveux précède, dans la chronologie de la guérison, « la débâcle massive des ideations anxieuses et la libération du champ de la conscience », mais encore l'aveu est, en soi, libérateur : il s'accompagne d'une «sensation d'euphorie très active, d'une reprise marquée de l'activité de relations» et même d'une «suractivité très marquée des fonctions génitales ».

Ainsi peut s'expliquer que la pratique psychiatrique telle qu'elle est représentée dans Voyage consiste essentiellement à « traquer des aveux » : « Nous étions hébergés nous les blessés troubles, dans un lycée d'Issy-les-Moulineaux, organisé bien exprès pour recevoir et traquer doucement ou fortement aux aveux [...] ces soldats dans mon genre dont l'idéal patriotique était simplement compromis ou tout à fait malade » (10). De fait, le dispositif médical paraît particulièrement efficace : les médecins interro gen«t avec bienveillance » si bien que les malades se laissent « choir d'un coup tout en bas » et vont « tout avouer de leur affaire au médecin-chef » (11). L'insistance sur le terme, ou sur des termes appartenant à la même configuration sémantique — la concierge de l'hôpital recueille des « confidences » (12)... — , surtout, les contextes dans lesquels il est apparu avant le discours de Bestombes soulignent l'ambivalence du discours psychiatrique. 

L'aveu est un terme qui a une longue histoire, répertorié en effet dans les manuels de psychiatrie, où il est rapproché de la confession religieuse et de l'aveu en justice. L'aveu, qui a le même effet cathartique que la confession— « la confession religieuse, bien que l'aveu y revête un caractère particulier, doit être citée, en illustration de cette vertu libératrice de l'aveu » (13) — , a surtout une valeur juridique : « c'est surtout dans le contexte de la médecine légale que l'on a l'habitude de s'intéresser à l'aveu ». Dans tous les cas, l'aveu présuppose que la chose avouée est répréhensible, même si, dans la névrose, la « chose cachée n'est généralement fautive que dans l'esprit du malade » (14). Nous pourrions reprendre ici les analyses de Foucault dans le premier tome de l'Histoire de la sexualité : le dispositif psychiatrique est un dispositif de pouvoir qui, comme d'autres formes de pouvoir (politique, judiciaire), questionne, surveille, épie, afin de « faire parler », d'obtenir des aveux. « On ne nous traitait pas absolument mal, affirme ainsi le narrateur de Voyage, mais on se sentait tout le temps, tout de même, guetté par un personnel d'infirmiers silencieux et dotés d'énormes oreilles » (15). L'issue de l'aveu est une « disparition » de qui a avoué : il conduit à l'asile, au retour sur le front ou au « poteau », autrement dit à une mort sociale, une mort probable, ou une mort effective. La concierge de l'hôpital a ainsi « fait fusiller, à coups de confidences », un brigadier, un réserviste, un hystérique. Le narrateur dénonce ici la complicité entre la pratique thérapeutique et la pratique judiciaire, et la violence égale dans les deux institutions.

SIMULATION/MENSONGE
 
Le choix du terme « aveu », l'insistance des médecins à obtenir des « aveux », à provoquer des « confidences » ne s'expliquent pas uniquement par ce que Foucault appelle la volonté de « mise en discours » de l'intime (\à). Les médecins que décrit le narrateur sont dans une situation particulière, à savoir affrontés à des soldats en temps de guerre, pour lesquels il y a un intérêt évident à être malades : éviter la mort quasi certaine sur le champ de bataille. 



Carine TRÉVISAN
Littérature, n°104, 1996. pp. 57-73.


Notes
1- Blaise Cendrars, Moravagine, Grasset, Les cahiers rouges, 1994, p.202.
2- Jacqueline Authier-Revuz, « Hétérogénéité montrée et hétérogénéité constitutive : éléments pour une approche de l'autre dans le discours », DRALV, n°26, 1982. L' « hétérogénéité montrée » recouvre les formes linguistiquement appréhendables (le discours rapporté, la connotation autonymique, le discours indirect libre, etc.) « qui inscrivent dans la linéarité de l'autre ». Mais auprès de ces formes qui, sur le mode d'une distance repérable, désignent l'autre, il y a un caractère permanent de la présence de l'autre dans le discours, que J. Authier nomme « hétérogénéité constitutive », et qu'elle appréhende en s'appuyant sur deux approches non linguistiques de la parole : le dialogisme du cercle de Bakhtine et la psychanalyse : « Tout discours s'avère constitutivement traversé par "les autres discours" et "le discours de l'Autre" », p. 141.
3- Voyage au bout de la nuit, Romans I, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1981, p. 92-94.
4- p. 423-426
5- Rassemblés et présentés par Henri Godard et Jean-Pierre Dauphin, Cahiers Céline 3, Semmelweis et autres écrits médicaux, NRF, Gallimard, 1977.
6- Lettre à Albert Thibaudet, reproduite dans Voyage au bout de la nuit, Romans I, op. cit. , p. 1 109. Henri Godard a relevé les points de convergence entre le discours romanesque de Voyage et l'hypothèse freudienne de la pulsion de mort, qu'il commente dans la notice consacrée à Voyage, op. cit. , p. 1 140. Marie-Christine Bellosta, elle, montre que Céline représente la maladie de Bardamu « selon la description fournie dans Au-delà du principe du plaisir et dans Zur Psychoanalyse der Kriegsneurosen », Céline ou l'art de la contradiction, P.U.F., Littératures modernes, 1990.
7 Voir Michel Foucault, Histoire de la sexualité, 1. La volonté de savoir, N.R.F., Gallimard, Bibliothèque des histoires, 1980, p. 78.
8 p. 65.
9 Ernest Dupré (1862-1921). En 1919, il reprend l'essentiel de ses conceptions dans sa leçon inaugurale à la chaire de professeur de Sainte-Anne, Les Déséquilibres constitutionnels du système nerveux, J.B. Baillière et fils, 1919.
10 P. 61.
11 P. 63.
12 P. 62.
13 Entrée « Aveux » du Manuel alphabétique de psychiatrie clinique et thérapeutique, Antoine Porot, lère édition, 1952. Édition revue par Maurice Porot, Jean Sutter, Yves Pélicier, P.U.F., 1984.
14- Id.
15- P. 61-62.

lundi 23 juillet 2012

Bernard Steele à propos de Céline

Henri Thyssens vient de publier sur son site internet trois témoignages de Bernard Steele, associé de Robert Denoël jusqu'en décembre 1936, et donc éditeur de Voyage au bout de la nuit. Le premier témoignage date de 1964 mais publié uniquement en 2002 dans un numéro spécial du Magazine littéraire, le second de 1967, que vient de publier Roland Jaccard dans le n°54 de Service littéraire (juillet-août 2012) et le dernier publié en 1970 dans Construire, hebdomadaire suisse.

A lire sur :
Robert Denoël, éditeur

dimanche 22 juillet 2012

Céline au cinéma (bis)

Après Starbuck (voir notre message du 30 juin 2012), le cinéma canadien nous offre cette année une seconde allusion à Céline dans l'une de ses productions. Dans son film Laurence Anyways, avec Melvil Poupaud, Suzanne Clément et Nathalie Baye, Xavier Dolan glisse une citation de Céline tirée d'une lettre à Milton Hindus :

« Proust explique beaucoup pour mon goût – 300 pages pour nous faire comprendre que Tutur encule Tatave c’est trop. »

Sur les écrans français le 18 juillet 2012.

> Télécharger l'extrait vidéo (Laurence Anyways, 2012)



A voir :
> Les livres qui tuent (téléfilm sur l'assassinat de Robert Denöel)

vendredi 20 juillet 2012

Lucette Destouches, veuve de Céline, fête ses 100 ans

La veuve de Louis-Ferdinand Céline, Lucette Destouches, fête ce 20 juillet son centenaire, dans le pavillon de Meudon où disparaissait, le 1er juillet 1961, l'auteur du Voyage au bout de la nuit et de Mort à crédit.  « Depuis la mort de Louis, la vie ne m'intéresse plus. C'est comme si avec lui j'avais nagé dans un fleuve pur et transparent et que je me retrouvais sans lui dans une eau sale et boueuse », raconte-t-elle dans Céline secret (Grasset, 2001). Soixante-dix ans après la Libération, le grand amour de Louis-Ferdinand Céline continue de refuser que les pamphlets antisémites de son mari soient réédités, conformément à la volonté de celui-ci.

L'Express, 20 juillet 2012.



Sur le sujet :
> « Bon anniversaire et très heureux centenaire, Lucette ! » (blog Les 8 plumes, 20 juillet 2012)
> « Voyage au bout de la vie » (Causeur.fr, 8 juillet 2012)
> Vient de paraître : Madame Céline, Route des Gardes (Ed. P.-G. de Roux, 2012)
> « Le grand amour de L.-F. Céline » par Jérôme Dupuis (L'express, 11 mai 2012)
> Revue de presse, Mai-Juin 2012
> « "Madame Céline" a cent ans » par Jérôme Garcin (Le Nouvel Observateur, 31 mai 2012)

jeudi 19 juillet 2012

« Céline à Berlin » par Pierre Assouline - La République des livres - 19 juillet 2012

Pierre Assouline a rendu compte du XIXè colloque Céline organisé par la SEC les 6-8 juillet dernier, d'abord dans une version "courte" d'un article paru dans Le Monde des livres du 13 juillet 2012, puis sur son blog, La République des livres, aujourd'hui 19 juillet. C'est ce dernier que nous reproduisons ci-dessous.

Céline, un fantôme à Berlin


Il faut aller en Allemagne avec les céliniens pour entendre parler intelligemment de « Céline et l’Allemagne ». C’était le thème du dix-neuvième colloque international de la Société d’Etudes Céliniennes qui s’est tenu du 6 au 8 juillet à Berlin. De l’avis de nombreux habitués de ces réunions, ce fut un excellent crû. Pas de polémique ni de contestation. Que de l’échange et du débat d’idées entre spécialistes, pas tous universitaires mais tous chercheurs à leur façon, devant un public composé d’étudiants et de professeurs. La contribution de Christine Sautermeister (Université de Hambourg), a été particulièrement remarquée. Elle y a exploré les relations entre Céline et le leader collaborationniste et ministre Marcel Déat à Sigmaringen, château où les Allemands exilèrent le gouvernement de Vichy en 1944-1945. L’écrivain avait donné sa version dans D’un château l’autre (1957) : un ermite acharné à défendre une politique condamnée, un homme avec lequel il avait pris ses distances. Pour connaître celle de Déat, il ne suffisait pas de relire ses Mémoires politiques (1989) ; encore fallait-il éplucher son Journal de guerre inédit aux Archives nationales. On y découvre que leurs retrouvailles régulières, chez le ministre du Travail à l’heure du café, ne sont plus seulement professionnelles mais cordiales. Ce qui trahit un rapprochement certain même si on prend en compte les questions d’intérêt ; or si « Déat dédouane politiquement son « compagnon » en mentionnant son esprit critique vis à vis des Allemands », Céline, lui, prit bien soin d’effacer toute trace de leurs relations, allant même après la guerre jusqu’à le renier.

Margarete Zimmermann (Freie Universität de Berlin) s’est penchée sur les représentations de Berlin dans Nord (1960). « Pluie, soleil, ou neige Berlin n’a jamais fait rire, personne! » écrivait-il. A partir de là, après avoir évoqué le Berlin des voyageurs français de l’entre-deux-guerres, les Béraud, Gide, Martin du Gard, Giraudoux, Soupault, Mac Orlan, Drieu La Rochelle, il était intéressant d’observer l’empreinte du fantôme de Céline sur la jeune littérature contemporaine emberlinisée, qu’il s’agisse de Sophie Calle, Jean-Yves Cendrey, Julien Santoni et surtout de Christian Prigent :

« Son livre Berlin. Deux temps, trois mouvements (1999) renvoie à une série de textes francophones sur cette ville qui, après 1989, est vécue comme un terrain d’expérimentation de nouveaux modes de vie et de nouvelles formes artistiques, une métropole jeune et dynamique mais aussi une chambre d’échos historiques. Comme à la fin de la République de Weimar, la ville attire alors à nouveau les artistes. Les écrivains francophones font partie de ceux-ci et représentent un groupe aussi important que diversifié. Céline est un ‘fantôme’ bien vivant dans cette nouvelle littérature que Berlin est en train de générer. Il ne cesse d’imposer sa présence. »

Céline n’ y a passé que dix jours entre la fin août et le début septembre 1944. Journaliste au Canard enchaîné, David Fontaine a eu à cœur d’étudier sa puissante transposition de Berlin en ville-fantôme et soleil noir en y incluant des images plus anciennes glanées lors de brefs voyages d’études comme médecin de la SDN dans les années trente, puis en 1942 sur invitation des autorités à sa demande. Pierre-Marie Miroux a, pour sa part, apporté un passionnant éclairage sur le délire nordique de Louis-Ferdinand Destouches, de père flamand et de mère bretonne, enraciné du côté du Quesnoy, non loin de Valenciennes, à la source d’« une sorte de boussole intérieure qui l’aimante irrésistiblement vers le Nord », fantasmé comme un lieu féerique de retour aux origines. La contribution du juriste Louis Burkard, futur avocat, consacrée à la délicate question de l’interdiction en droit des pamphlets antisémites de Céline, a impressionné par sa nouveauté. Celle-ci fut d’abord exercée par l’auteur lui-même dès son retour d’exil, et cette volonté de ne pas voir ces trois livres réédités à été prolongé jusqu’à ce jour pas sa veuve. Il les avait retirés de son œuvre. Qu’elle s’appuie sur les droits patrimoniaux plutôt que sur le droit moral, elle n’en reste pas moins fondée sur le droit d’auteur. Jusqu’au 1er janvier 2032. Dès lors qu’un tribunal les jugera digne d’un intérêt historique et documentaire, et qu’ils sortiront dûment encadrés de préfaces et de postfaces, ils devraient échapper à des poursuites pénales pour appel à la haine raciale.

« Aussi bien, on voit que l’interdiction pénale ne revêt plus la même inflexibilité que l’interdiction fondée sur le droit d’auteur. Qu’il y ait accord avec les parties civiles ou défense au nom de l’intérêt historique et littéraire, la réédition future des trois pamphlets de Louis- Ferdinand Céline a des chances d’échapper, enfin, à l’interdiction juridique. »

La haute tenue de l’ensemble des communications fut saluée, à l’exception de celle d’une universitaire venue de très loin qui marmonna durant plus d’une heure dans un français incompréhensible quelque chose sur le rapport métonymique de Céline à la guerre. Reste le mystère inentamé du niveau d’allemand de Céline : « Il le parlait mais dès que la conversation devenait complexe, il passait à l’anglais qu’il maitrisait mieux » a assuré André Derval (Imec) avant de rappeler qu’entre treize et quinze ans, le jeune Destouches avait fait plusieurs séjours linguistiques, en Allemagne tout d’abord : 1907-1908 (Diepholz, Karlsruhe), puis en Angleterre en 1909 (Rochester, Broadstairs). Céline n’aimait pas cette langue qui lui cassait les oreilles, et par laquelle il disait n’entendre que des ordres, des cris, des injures et jamais de poésie. Mais aimait-il les Allemands à défaut de leur langue ? Au terme d’une contribution fouillée, Pascal Ifri (Washington University) conclut que, si il a éprouvé de la sympathie pour eux tant qu’Hitler pouvait gagner la guerre, il les a détestés à nouveau dès que cette perspective disparut. Le reste, tout aussi riche, en janvier lorsque la Société d’études céliniennes publiera les actes du colloque.

Un mot encore. Juste une question d’organisation. L’hôtesse du colloque a très bien fait les choses au Frankreich zentrum de la Frei Universität Elle en a d’autant plus de mérite que c’était une solution de remplacement. En effet, depuis de nombreuses années, la Société d'études céliniennes tient ainsi conclave savant tous les deux ans, une fois sur deux en France (à la BnF par exemple) et l’autre à l’étranger dans les Instituts français. Ce fut le cas à Milan, Budapest, Prague, Amsterdam ; cela aurait dû l’être à Berlin après que son président Me François Gibault en eut fait la demande auprès de l’ambassadeur Maurice Gourdault-Montagne et de son conseiller culturel Charles Malinas. Mais il essuya un refus au motif que le centre culturel et l’Institut français de Berlin se donne pour objectif de « promouvoir la littérature française de l’extrême modernité à travers des auteurs susceptibles de pouvoir présenter eux mêmes leurs œuvres au public allemand » ; il écrivit à nouveau en rappelant qu’il ne sollicitait que la mise à disposition de leur amphithéâtre ; cette fois, sa lettre demeura sans réponse. « On ne leur demandait pas d’organiser quoi que ce soit ! On n’a même pas pu obtenir qu’ils mettent notre programme dans leurs présentoirs. C’est nul ! ». Manifestement, quand on représente la France en Allemagne, il reste toujours quelque chose d’un passé qui ne passe pas.

Pierre ASSOULINE
La République des livres, 19 juillet 2012.

Nous remercions l'auteur d'avoir bien voulu nous autoriser à reproduire cet article.

En librairie le 6 septembre 2012 : Le Paris de Céline de Patrick Buisson et Lorant Deutsch

Couverture provisoire
Le 6 septembre prochain paraîtra chez Albin Michel Le Paris de Céline, ouvrage de Patrick Buisson et Lorant Deutsch. Cet album, tiré du documentaire Paris Céline, diffusé sur la chaîne Histoire en 2011, puis sorti en DVD aux éditions Montparnasse, devrait laisser place, selon l'éditeur, à des « images rares ou inédites, des anecdotes passionnantes et la petite musique de Céline ». Plus de détails à parution.

NB : La sortie est repoussée au 4 octobre 2012.

mercredi 18 juillet 2012

Échos céliniens...

> Céline à Berlin : Pierre Assouline, présent au XIXè colloque Céline à Berlin (6-8 juillet 2012), a rendu compte de cet évènement avec un article paru dans Le Monde des livres du 13 juillet 2012.

> Voyage au Danemark : Céline Albin-Faivre est partie sur les traces de Céline au Danemark. De ce voyage, elle a rapporté textes, photos et vidéos. Le tout à découvrir sur son site Les roses de décembre.

> Amours heureuses : Le site Slate.fr publie un article d'Hervé Bentegeat "Il y a des amours heureuses" qui racontent quatre histoires d'amour d'écrivains. L'une d'elle est consacrée à Céline : www.slate.fr.

> Mort à crédit : Dans sa rubrique "L'air du temps" du 14 juillet 2012, Le Parisien évoque la parution en 1936 de Mort à crédit : Paru au printemps, le livre qui fait l’événement en 1936 est « Mort à crédit », de Louis-Ferdinand Céline, édité chez Denoël. Ce médecin de banlieue, âgé de 42 ans, n’en est pas à son coup d’essai. En 1932, son premier roman largement autobiographique, « Voyage au bout de la nuit », où Céline relatait son vécu de la Grande Guerre dans un style parlé et volontairement brutal, avait suscité une énorme polémique. Le Goncourt lui échappa à deux voix près. Cette fois encore, les critiques se déchirent au sujet de cette chronique très noire de l’enfance de l’écrivain. Mais le succès public est encore au rendez-vous.

> Bibliothèque de Sceaux : La bibliothèque de la ville de Sceaux propose, sur son site internet, une série de « bibliothème », présentation d'un auteur ou d'un thème suivi par le catalogue de la bibliothèque sur le sujet. Céline n'est pas oublié : Son dossier : Céline, pdf 16 pages.

> Céline à la TV : Les dialoguistes de la série Plus belle la vie, une des plus mauvaises série française, diffusée chaque jour sur France 3, ont brièvement inséré une référence à Céline dans l'épisode diffusé le 16 juillet 2012 à 20h10. Deux acteurs, devant la mer, pêchant :  « Ah la mer, rien de tel pour enlever le stress.
- L'eau pousse à la rêverie...
- Tu sais ce que disait Céline ? L'écrivain, pas ton ex-femme...
- C'est malin.
- Eh bien il disait que ça rendait les hommes méditatifs de rester devant l'eau qui passe. Tu vois, ils urinent avec un sentiment d'éternité, comme les marins... »

mardi 17 juillet 2012

Claude GALLIMARD à propos des manuscrits de PROUST et CÉLINE (1970)

Claude Gallimard commente dans cet extrait de l'émission Bibliothèque de Poche diffusée sur l'ORTF le 15 février 1970, le travail des lecteurs de sa maison d'édition, les anecdotes du refus de Marcel Proust, et de la réaction de Louis-Ferdinand Céline. 



lundi 16 juillet 2012

Service Littéraire n°54 (Juillet-Août 2012)

Le dernier numéro de Service Littéraire (n°54, juillet-août 2012) fait sa "une" avec deux articles consacrés à Céline.

Le premier signé Roland Jaccard, « Ce que Bernard Steele pensait de Céline » ;

Le second « Lucette Destouches, cent ans de Céline ! » de Jacqueline Demornex à l'occasion de la sortie de Madame Céline, route des Gardes aux éditions Pierre-Guillaume de Roux, recueil de témoignages sur "la dame de Meudon" sous la direction de David Alliot. 



SERVICE LITTERAIRE
24, rue de Martignac
75007 PARIS

Le numéro 2,50 €. En vente en kiosque.


vendredi 13 juillet 2012

Céline à Londres (1915-1916)

Photo d'identité 1915
La période de guerre vécut par Céline sera finalement assez courte. Le gouvernement français décrète la mobilisation générale 1er août 1914. Céline sera blessé le 27 octobre de la même année à Poelkapelle. Il sera soigné pendant plusieurs mois à Hazebrouck puis au Val de Grâce à Paris, où il recevra la médaille militaire.

Sa convalescence terminée, il est affecté comme auxiliaire au service des visas du consulat français à Londres. Cette période de la vie de Céline reste encore mal connue et soulève de nombreuses hypothèses.

Toutefois, le témoignage d'un de ses plus ancien ami, Georges Geffroy, vient éclaircir quelque peu le flou de cette période. C'est en 1915 qu'il fait la rencontre du futur écrivain : « Début 1915, je fus envoyé à Folkestone puis à Londres, où je me retrouvai attaché au Bureau des passeports. C'est là, quelques temps plus tard, que je vis arriver Louis Destouches avec sa "batterie de cuisine" (Destouches dixit) : Médaille militaire et Croix de guerre. Nous avons tout de suite sympathisé » (1). Il accueillera pendant plusieurs mois Louis dans sa chambre meublée du 71, Gower Street.

Les deux amis mènent une vie « à la fois simple et mouvementée » et où « les femmes ont tenu un rôle prépondérant », selon François Gibault. Certains soirs, ils sortent et fréquentent le « milieu français » : « Certains soirs, nous fréquentions le milieu, le "milieu français" bien entendu. », du côté de Soho où « les maquereaux français et leurs protégés étaient gentils pour nous, toujours prêts à nous offrir à dîner. »

Ou se retrouvent au music-hall, qui attire Céline : « Ou bien Louis m'entraînait au music-hall (la batterie de cuisine suffisait pour entrer gratuitement), ou à des spectacles de ballets. ». Georges Geoffroy témoigne aussi de l'attrait de Céline pour les danseuses, que l'on retrouvera tout au long de sa vie, tant dans ses rencontres que dans son oeuvre : « Louis raffolait des danseuses. Il avait une passion pour la danse. ». Il nous en apprend aussi sur ses lectures « il lisait beaucoup [...] de la philosophie ou de l'histoire. [...] Hegel, Fichte, Nietzsche, Shopenhauer. »

Beaucoup plus inattendue est sa supposée rencontre avec la célèbre espionne Mata-Hari : « des rencontres étranges comme celle, par exemple, de Mata-Hari qui nous invitait à dîner au Savoy où elle résidait. Nous avions des instructions de lui accorder son visa mais, toutefois, en la faisant lanterner un certain temps. Nous ne savions pas très bien ce qui l'attendait en France, nous en avions toutefois une vague idée. »

Cette ambiance du Londres interlope, de la prostitution et d'une certaine liberté pour Céline, se retrouvera quelques années plus tard avec poésie dans Guignol's band, qui paraîtra chez Denöel en 1944 :

Céline en 1916
« Et puis tant de jolies chansons fraîches et comiques et galantes qui me dansent au souvenir... toutes à l'essor de la jeunesse... Et tout ainsi au fond de ces ruelles dès que le temps s'arrange un peu... un peu moins froid, un peu moins noir au-dessus du quartier Wapping entre « Poplar » et les « Chinois ».
Alors la tristesse s'en va fondre par petits tas gris au soleil... J'en ai vu moi des quantités qui fondaient ainsi des tristesses, plein les trottoirs en vérité, gouttaient au ruisseau... Mutine fringante fillette aux muscles d'or !... Santé plus vive !... bondis fantasque d'un bout à l'autre de nos peines ! Tout au commencement du monde, les fées devaient être assez jeunes pour n'ordonner que des folies... La terre alors tout en merveilles capricieuse et peuplée d'enfants tout à leurs jeux et petits riens et tourbillons et pacotilles ! Rires éparpillent !... Danses de joie !... rondes emportent !
» 

« Tout le cul provenait de France chez Cascade, sauf la Portugaise!... et Jeanne Jambe-la-Blonde qu'était native du Luxembourg... Question de la santé, de l'entrain, il grisonnait sur les tempes, il avait son albumine c'était entendu, mais il tenait encore pape à table et au godet et puis ailleurs! il faisait bien sûr plus de cartons mais toujours l'homme d'une drôle de classe! en tout et pour tout! Il te levait encore des fillettes! et des pimpantes, des « Varietys » ! des berlingots! Il faisait la sortie des Artistes... comme ça le coup de fredaine! Mine de rien!... et plus souvent qu'à son tour. Et pas en frais de conversation... juste au fou rire et pantomime!... du travail vertige et galant!... Il avait valsé comme un prince au beau temps d'Angèle!... Il dansait plus because varices!... Mais tout de même encore deux, trois tours, pendant les conquêtes!... C'est vrai qu'il était juponnier, sa petite faiblesse, son péché mignon, pas très répandu chez les barbes, plutôt manilleurs-épiciers comme dispositions... plutôt frisquets sur la quéquette... »

« Un dimanche matin je me décide... je me dis : « Petit ! On y va ! » Je me trouvais vers Barbeley Dock, le Transbord attendait, c'était invitant, le petit boat, ça faisait dix minutes sur le fleuve... Je suis tenté dès que je vois l'eau... La plus petit raison ça va !... je ferais le tour de bassin des Tuileries au moindre prétexte ! dans un verre de montre si j'étais mouche un tout petit peu... n'importe quoi pour naviguer ! Je traverse tous les ponts pour des riens... Je voudrais que toutes les routes soient des fleuves... C'est l'envoûtement... l'ensorcellerie... c'est le mouvement de l'eau... Là comme ça, sans vouloir, hanté, juste au clapotis de la Tamise... je restais là, berlue... le charme est trop fort pour moi surtout avec les grands navires... tout ce qui glisse autour... faufile, mousse... les youyous... l'abord sud des Docks..., cotres et brigantines au louvoye... amènent... drossent... frisent à la rive... à souple voguent !... C'est la féerie !... on peut le dire !... Du ballet
!... ça vous hallucine !... C'est difficile à se détacher...
»

Céline vers 1916 à Paris
Définitivement réformé en décembre 1915, il quitte le consulat. « Dès lors, en janvier 1916, commence une période opaque. On le sait à Londres mais il n'habite plus Gower Street. Il donne pour adresse Leicester Street (Soho West), qui est aussi celle d'un proxénète notoire — le Cascade de Guignol's band. Pendant quatre mois et demi on le perd, hormis quelques résurgences, ainsi ce surprenant mariage, le 19 janvier 1916, avec une inconnue : Suzanne Nebout, entraîneuse dans un bar » (2). Non enregistré au consulat, ce mariage ne sera officiellement d'aucune valeur. De cette relation, peu de choses sont connues aujourd'hui, et seule subsistera cette trace dans l'oeuvre de Céline, dans Féerie pour une autre fois I : « J'ai commis qu'un crime dans ma vie, un seul là, vrai... comme j'ai quitté mes petites belles-soeurs, pauvres fillettes en novembre 1917... et pas des petites crevettes businesses ! Ah pas du tout ! des fleurs de poupées! Minois ! ... éclat ! fraîcheur ! mutines ».
Selon Gaël Richard (3), Céline aurait « pu la rencontrer dans un club de Soho où elle dansait avec sa soeur », et « se serait rendue rue Marsollier pour rencontrer ses beaux-parents » après la fuite de son mari en Afrique. Toujours selon G. Richard, cette femme au destin tragique (le 17 septembre 1922, elle meurt à seulement trente ans) « ont laissé une empreinte profonde et douloureuse dans l'oeuvre de Céline, de personnage en personnage : la petite Janine de la scène finale de L'Eglise, Molly de Voyage, Angèle évoquée dans le prologue de Mort à crédit, et la petite Virginie de Guignol's band et de Guignol's band II lui doivent toutes quelques traits. »

1916 marque le départ de Céline pour l’Afrique, où il est engagé par la société Shanga-Oubangui pour le développement de plantations au Cameroun. Le voyage continue...

M.G.
Le Petit Célinien, 13 juillet 2012.

Notes
1 - Georges Geoffroy, « Céline en Angleterre », Cahiers de L'Herne, n°3, 1963.
2 - Yves Buin, Céline, Gallimard, 2009.

mercredi 11 juillet 2012

Vient de paraître : Le voyage en Bretagne d'Armelle Lavalou

Les éditions Robert Laffont viennent de publier Le Voyage en Bretagne d'Armelle Lavalou. Ce fort volume de plus de 1200 pages égrène les écrits consacrés à la Bretagne « et qui appartiennent à son histoire littéraire, depuis Jules César au premier siècle avant Jésus-Christ jusqu’aux auteurs de la fin du vingtième siècle aujourd’hui disparus. ». Avec presque deux cent auteurs, de Colette à Yann Queffélec, de Marcel Proust à Georges Simenon, cet ouvrage compile un ensemble de « textes d’humeur, mémoires, relation d’épisodes historiques, correspondances, notes de voyage, essais. »
Louis-Ferdinand Céline y trouve sa place (six pages) : Après un rappel biographique résumant les différentes étapes bretonnes de Céline, suit un long extrait de Féerie pour une autre fois. Il se voit aussi citer à deux reprises, d'abord dans un texte de Morvan Lebesque (1911-1970), journaliste et essayiste engagé dans la cause bretonne, ensuite l'auteur rappelle dans une présentation de Bernhard Kellermann l'admiration de nombre d'écrivains, dont Céline, pour son livre, La Mer, paru chez Flammarion en 1924.

 Armelle Lavalou, Le voyage en Bretagne, De Nantes à Brest, de Brest à Saint-Malo, Ed. R. Laffont, coll. « Bouquins », 2012.
Commande possible sur Amazon.fr.

Bretagne, « province de l’âme » : la Bretagne est sans doute la seule région française à pouvoir se prévaloir d’autant d’oeuvres de grands écrivains s’attachant à cerner son génie et la singularité de ses paysages ou de ses modes de vie.
Ce parcours littéraire, premier en son genre consacré à toute une province française, égrène d’Armor en Argoat, au fil des rivages et jusqu’au plus profond de la Bretagne intérieure, les écrits qui lui sont consacrés et qui appartiennent à son histoire littéraire, depuis Jules César au premier siècle avant Jésus-Christ jusqu’aux auteurs de la fin du vingtième siècle aujourd’hui disparus. Au total, presque deux cents auteurs et deux cent soixante-dix textes, quelques mille deux cent pages. Au-delà de la situation des textes dans le temps et dans l’espace, le premier critère de choix a été le plaisir de la lecture et la qualité littéraire et narrative : textes d’humeur, mémoires, relation d’épisodes historiques, correspondances, notes de voyage, essais.
Les grands classiques de la littérature de Bretagne sont évidemment là ; pour n’en citer que quelques-uns : Cambry, Chateaubriand, Renan, La Villemarqué, Le Braz, Segalen, parmi les Bretons, mais aussi Hugo, Michelet, Stendhal, Balzac, Flaubert, Gide ; plus proches, mais tous disparus : Loti, Colette, Max Jacob, Guilloux, Henri Queffélec, Gracq, Mac Orlan, Jean-Edern Hallier … des poètes aussi, des écrivains étrangers, de grands auteurs méconnus, de Tanguy Malmanche à Armand Robin ou Yves Elléouët… et parmi d’autres pépites : Vauban à Camaret, Alexandre Dumas à Roscoff, Sarah Bernhardt à la baie des Trépassés, Saint-Pol Roux en bimoteur au-dessus de la rade brestoise, Villiers de L’Isle-Adam au collège de Vannes, Marcel Proust à Beg-Meil, Joseph Conrad à L’Île Grande, Jean Cocteau à Pont-Aven, le philosophe Alain au Pouldu, Georges Simenon sur un chalutier de Concarneau, le général de Gaulle incognito dans sa DS noire, Le Corbusier à Lesconil, Albert Camus au cimetière de Saint-Brieuc, ou les plus ou moins courtes nouvelles d’Édouard Corbière, de Jeanne Nabert, d’Henri de Régnier et d’Émile Zola dont les formidables Coquillages de M. Chabre révèlent une facette ignorée.

L'auteur
Annelle Lavalou est historienne de l'art et de l'architecture. Elle partage son temps entre Paris et la campagne bigoudène. 


lundi 9 juillet 2012

Céline par Vialatte - Chroniques - 1er août 1961

Vitesse des morts et des vivants


Peu de gens survivent à leur mort : le Christ, Lazare, ou, plus près de nous, Napoléon. Mais c'est très rare. L'homme survit peu. En général il attend de vivre, c'est une chose qui dure toute sa vie, et ensuite on l'enterre au trot. Il flâne sa vie mais il court à la tombe. Après quoi il meurt au galop ; la vitesse des morts est proverbiale. Quelques-uns pourtant vont au pas. Homère ne s'est jamais pressé. Céline, Hemingway iront lentement. Céline, à l'horizon de la littérature, laisse de hauts châteaux d'ordures qui se détachent sur un ciel d'orage et qui attireront longtemps le regard. Ses paysages plus grands que nature se mirent dans un fleuve d'immondices. C'est un géant qui promène ses rêves dans un égout. Il n'est, je crois, pas un de ses livres, où, à un moment ou un autre, ledit égout ne déborde et n'engloutisse le monde. A moins qu'une vieille dame méritante, armée d'un jonc flexible et d'un pot d'eau bouillante, ne débouche le trou d'écoulement par un barratage minutieux, avec une technique remarquable dont il fait un éloge très vif. Le style, c'est l'exagération. Nul n'exagéra plus que Céline. Il a bâti des Parthénons en crottes de chien. La matière est étrange, les monuments grandioses. Ils seraient plus noble en marbre blanc ; mais ceux qui taillent le marbre blanc n'ont pas la carrure qu'il faudrait pour faire des monuments aussi grands que ceux de Céline.
Hemingway fut aussi une façon de géant ; moins grand que Céline, moins créateur, moins extraordinaire. Un grand gros homme tout barbu, tout hirsute, qui chassait les hippopotames et pêchait des poissons gros comme des chevaux de labour. Qui fit la guerre, qui fit des guerres. Qui fut hanté par le problème de la mort. Et qui en mourut. Comme son père. En déchargeant une arme à feu. S'il faut tirer une leçon de son oeuvre, j'aimerais assez celle que propose l'histoire du vieil homme et de la mer (1). Le vieil homme qui mange tout le mois de mai des oeufs de tortue (des grosses tortues « à dos en coffre qui ont la taille de sa barque et pèsent une demi-tonne »), « afin d'être fort en septembre et octobre quand viendra vraiment le gros poisson ». Et qui boit de l'huile de foie de requin. Et qui part seul dans sa petite barque pour aller chercher le grand poisson. Et qui finit par l'attraper après deux jours et trois nuits de lutte ; un poisson bien plus grand que sa barque, et qu'il amarre, et qu'il ramène ;... mais en quel état arrive-t-il ! Quant au poisson, les requins l'ont si bien dévoré qu'il n'en reste plus que la tête avec un peu d'épine dorsale.
Ce qu'on pêche n'a pas d'importance. L'important est de l'avoir pêché.
C'est ainsi qu'il arrive que l'homme survive quelques temps à sa mort. Mais peut-être lui est-il encore plus difficile de survivre un peu à sa vie. Elle le tue avant l'âge. Le métro, les poussières, les miasmes, les veillées, le travail, le plaisir, les guerres, les apéritifs fantaisie, le mauvais caractère de sa femme, le froid, le chaud, les tentatives d'assassinat, les accidents de la route, les engrenages dangereux, les incendies de forêts, les barrages qui s'écroulent, le laissent à cinquante ans ahuri, éclopé, avec une jambe en moins, le nez rouge et des poches sous les yeux. A peine a-t-il appris à être jeune, il s'aperçoit que ses cheveux sont blancs ; à peine a-t-il pris l'habitude de la vie, c'est déjà le moment de la quitter. Comment survivre ? En supprimant les poches sous les yeux. C'est le docteur Vidal qui nous le dit (2). D'abord elles ne servent à rien ; la poche du pantalon sert à mettre un mouchoir, la poche de la sarigue à loger les enfants, le stylo, en été une petite cannette de bière. Mais la poche sous les yeux est une poche superflue. Le docteur Vidal la ressèque. Il supprime les poils disgracieux. Il recolle les oreilles qui sont trop écartées, parce qu'elles donnent au visage l'air d'une soupière à anses et au conscrit l'expression trompeuse d'une immense naïveté champêtre. Il fait tout ça. Et si on a trop de ventre, crrac, crrac, ayant pincé d'une main un gros pli qu'il tire tant qu'il peut, il vous le coupe de l'autre avec ses grands ciseaux. Il en résulte un croissant de peau fine. Il le donne à son photographe (1). La femme du photographe en fait un portefeuille. Le photographe le montre au dessert dans les repas de première communion.
Il l'entretient avec un chiffon de laine.
Et c'est ainsi qu'Allah est grand.

1er août 1961

Alexandre VIALATTE
Chroniques, Julliard, 1998.


1- Le Viel Homme et la mer, par Ernest Hemingway ; remarquablement traduit par Jean Dutours (Editions Gallimard).
2- Rajeunissement et Chirurgie esthétique, par le docteur Louis Vidal. (Imprimerie du Progrès, 9, rue François-Perrin, à Limoges)

ARLETTY évoque CÉLINE (1971)

A l'occasion de la sortie de son livre, La Défense, la librairie Privat accueille Arletty pour une rencontre avec le public. L'actrice évoque le quartier de son enfance, les différents personnages qui ont jalonné sa vie théâtrale et cinématographique: Raimu, Fernandel, Pierre Brasseur, Jacques Prévert et surtout Louis Ferdinand Céline dont elle parle avec la plus grande émotion. Elle se souvient aussi de son personnage de Garance dans "Les Enfants du Paradis" de Marcel Carné. 

Emission « Échos et reflets » réalisé par Max Leclerc, diffusée le 8 mai 1971 (ORTF).




Sur le sujet :
> ARLETTY : Entretien avec Marc LAUDELOUT (1982)
> Qu'importe ces mensonges puisqu'il nous a donné Mort à crédit
> Ils ont connu Céline : Arletty

dimanche 8 juillet 2012

Louis-Ferdinand Céline - 1959

« Espèce de savon à culotte !... et autres injures d'antan » par Catherine Guennec

Voilà une nouvelle occasion de dire « c'était mieux avant ! ». Avant, quand on savait s'engueler, c'est sûr. Pour preuve le dernier titre de Catherine Guennec qui nous rammène au XVIIIè siècle, dans les beautés du langage de l'époque.

Mais pudibond s'abstenir ! Car c'est un plongeon dans la langue populaire du XVIIIè que vous ferez à la lecture de cet abécédaire. Langage « de la halle, des marchés », des fêtes populaires, langue riche, originale, créative, verte, parfois grossière, une langue définitivement vivante... A son origine uniquement orale, l'auteur s'est inspiré pour ce livre, son troisième, du travail de Jean-Joseph Vadé, le « Michel-Ange de l'ordure » selon Barbey d'Aurevilly, qui a connu un large succès avec La pipe cassée, texte enrichi de la gouaille des « petites gens ». Petite gens, mais qui savait lancer l'insulte avec humour et légèreté... Oyez comme ça sonne : « chattemite », « coquefredouille », « laidasse », « encens de vidangeur ».

En amoureuse des mots, Catherine Guennec n'a pas oublié l'oeuvre de Céline, dans laquelle fourmillent, insultes, néologismes et explosion verbale. C'est dans ses textes polémiques que l'auteur nous propose en fin d'ouvrage un liste de deux pages d'insultes céliniennes accompagnées d'une proposition : celle de crééer nous-mêmes de nouveaux « gros mots » et continuer ainsi l'oeuvre de nos prédecesseurs...

Un savoureux volume qui viendra utilement enrichir votre vocabulaire... pour faire face aux « premiers moutardiers du Pape », « vilains morvaillons » et autres « mirmidons »... Ils ne manquent pas...

M.G.
Le Petit Célinien, 8 juillet 2012.


Christine Guennec, Espèce desavon à culotte !... et autres injures d'antan, First éditions, 2012.
Commande possible sur Amazon.fr.


DU MÊME AUTEUR
Le roman de Sophie Arnould, Lattès, 2010.
La Modiste de la reine : le roman de Rose Bertin, Lattès, 2004.

Le Bulletin célinien n°343 - juillet-août 2012

Vient de paraître : Le Bulletin célinien n° 343, juillet-août 2012. Au sommaire :

- Marc Laudelout : Bloc-notes
- Émeric Cian-Grangé : Entretien avec Éric Mazet
- M. L. : Bibliographie d’Éric Mazet


Un numéro de 24 pages, 6 € franco à :

Marc Laudelout, Bureau St Lambert, BP 77, 1200 Bruxelles.

samedi 7 juillet 2012

De l’antisémitisme chez L.-F. Céline par Ana Maria Alves (Université d'Aveiro, Portugal) - 2002

De l’antisémitisme chez Louis-Ferdinand Céline, thèse d'Ana Maria Alves présentée à l'Université d'Aveiro (Portugal) en 2002. 


Résumé :
Cette recherche a pour objet l’étude de certains aspects de l’antisémitisme chez Louis-Ferdinand Céline. Elle porte, dans son essence, sur la tentative de comprendre la démarche psychologique de l’auteur qui l’amènera de l’affirmation et de la revendication virulentes de son antisémitisme, à l’époque des pamphlets, à une réflexion et justification douloureuses lors de la Libération. Ce travail propose, d’abord, une brève approche de l’époque, de façon à appréhender, par la suite, sa position d’écrivain en politique. Ainsi, cette étude tend à démontrer que, de nos jours, la véritable haine, celle qui découle, en partie, des pamphlets antisémites de l’auteur, semble s’estomper. Ce fait nous permet de mieux nous distancer de ces écrits et de les comparer à la trilogie –D’un château l’autre, Nord, Rigodon-, afin de prouver que ce dernier y fait, non seulement le récit de son exil au cours des années 1944-1951 – exil dû aux dangers que ses prises de positions antisémites lui font courir en France, au moment de la Libération-, mais cette trilogie lui permet également de répondre publiquement aux accusations qui lui ont été portées à la Libération et lui concède, in fine, l’occasion d’ébaucher une biographie, et de dresser, avec une certaine fierté, le bilan définitif de son destin.

A paraître : Dictionnaire de la correspondance de L.-F. Céline aux éditions du Lérot

Les éditions du Lérot proposent en souscription, pour une parution en septembre 2012, le Dictionnaire de la correspondance de Louis-Ferdinand Céline suivi d’une Chronologie épistolaire par Gaël Richard, Éric Mazet & Jean-Paul Louis.

Trois volumes, d’environ 900 pages au total, très nombreuses illustrations en noir et couleurs. Recense tous les correspondants de Céline connus à ce jour, chaque notice biographique étant suivie d’un état de la correspondance éditée, inédite ou attestée, des dédicaces, des lettres entre tiers. Les auteurs ont tenté de faire le point sur les questions qui se posent à un lecteur de la correspondance de Céline, par des analyses thématiques ou techniques et une mise en parallèle de l’œuvre romanesque et de l’œuvre épistolaire. Le troisième volume est consacré à la Chronologie épistolaire. Table des entrées thématiques et techniques. Table des illustrations. 


Tirage à 600 exemplaires sur bouffant.
Prix public à parution : 150 euros
Prix de souscription : 120 euros

Réservation par chèque à :
DU LÉROT, éditeur 
16140 Tusson

Les ouvrages seront expédiés fin septembre 2012.