Pour un lecteur qui n'aurait lu que les romans de Céline, un volume de près de 600 pages pour évoquer ses relations avec la Bretagne pourrait, à première vue, paraître un projet audacieux. Il y a en effet une absence quasi totale de références à la Bretagne dans les romans céliniens. C'est en se penchant sur la vie de l'écrivain que l'on comprend mieux l'intérêt du livre que publie aujourd'hui Gaël Richard aux éditions du Lérot.
Sous le titre La Bretagne de L.-F. Céline, Gaël Richard regroupent les morceaux du puzzle qui relient Céline à la Bretagne, de sa plus tendre enfance aux dernières évocations de ce qui sera pour lui le « pays Divin » (1), en commençant par mettre à mal la légende d'une mère bretonne, légende alimentée par Céline lui-même. Ici, la généalogie de l'écrivain est précisément rétablie, notamment sa branche paternelle, qui se voit partager entre Normandie et Bretagne. La jeunesse de « Petit-Louis » se passe bien sûr à Paris, mais des vacances avec ses parents, le mariage de l'oncle Louis Guillou à Nantes, le travail des dentellières bretonnes visible dans la boutique parisienne de sa mère lui permettront de garder un lien avec la terre de ses aïeux. Cette jeunesse se terminera avec la rencontre en 1914 au 12è régiment de cuirassiers de Rambouillet des soldats bretons, rudes gaillards ne parlant pas tous français. Il en retracera le portrait dans Casse-Pipe et Voyage au bout de la nuit.
Le hasard des rencontres va amener une nouvelle fois Céline en Bretagne en 1918. Après la guerre, Londres et l'Afrique, durant toute l'année, il va parcourir de long en large la terre de ses ancêtres comme conférencier de la commission Rockefeller de lutte contre la tuberculose. Ce parcours est méthodiquement retracé par Gaël Richard par « le dépouillement de la presse et des archives locales bretonnes ». Céline pourra désormais « arguer de sa connaissance intime des paysages et des hommes de Bretagne ». A Rennes, en mars 1918, la rencontre du Dr Athanase Follet, alors Président du comité départemental de lutte contre la tuberculose, va marquer la vie de Céline. Il rencontre sa fille, qu'il épousera un an et demi plus tard, après lui avoir fait assidument la cour, et lui donnera une fille, Colette, qui naîtra le 15 juin 1920. Céline reprendra ses études et deviendra, avec l'aide de son beau-père, médecin. Supportant difficilement la petite vie bourgeoise et provinciale qu'il mène à Rennes, il décide de quitter sa famille pour de nouvelles aventures qui le mèneront notamment en Suisse, comme médecin à la Société des Nations. Il y fait la rencontre d'Elizabeth Craig, danseuse américaine, qu'il ramène avec lui à Paris. Mais jamais la Bretagne ne sera oubliée. Avant la parution de Voyage au bout de la nuit en 1932, Céline y emmène Elizabeth, et y retourne, cette fois pour raison professionnelle, pendant l'été 1932, comme visiteur médical pour les laboratoires Cantin.
Les années 30 vont voir naître une profonde amitié avec le peintre Henri Mahé, avec qui Céline peut partager son amour de la Bretagne, à Paris sur la péniche La Malamoa ou sur les côtes bretonnes, où les deux amis se lieront autour de leurs passions communes des bateaux et des danseuses.
A Dinard et Saint-Malo, qui restera sa destination privilégiée, Céline partagera son temps entre amitiés et écriture. Mort à crédit, Guignol's band, Bagatelles pour un massacre ou encore L'École des cadavres y seront en partie rédigés. « Toujours dans l'oeil cette lueur de gouaille et de désespoir. Homme étrange fleur de ruisseau ». Par ces mots, Théophile Briant, poète et directeur du Goéland, nous décrit Céline. Tous deux partageront à Saint-Malo leurs intérêts littéraires et l'amour de la mer. Des extraits inédits de son Journal viennent d'ailleurs compléter le récit de cette amitié. Inédite aussi la correspondance avec le Docteur Desse, que Céline rencontrera dans l'entourage du Docteur Tuset à Quimper. (2)
Après la publication des pamphlets, qui marquent une rupture, « plus qu'à l'identité bretonne, ce fut désormais au celtisme que Céline empruntait ses revendications d'appartenance » à la Bretagne qui ne sera plus pour lui que souvenirs et nostalgie (il ne reverra plus ce « pays Divin » après mars 1944, date de son dernier séjour breton) ce qu'il exprimera dans sa correspondance (« Comme je voudrais être à Saint-Malo » confie t-il à sa femme dans une lettre du 6 septembre 1946) et, par discrètes touches, dans son oeuvre, notamment dans les versions primitives de Féerie pour une autre fois.
Jusqu'aux derniers instants, alors reclus à Meudon, Céline gardera le projet d'une installation définitive à Saint-Malo, mais seul un trois-mâts gravé sur sa tombe meudonnaise l'emmènera une dernière fois naviguer sur les mers bretonnes...
M.G.
Le Petit Célinien, 28 juillet 2013
1 - Lettre de Céline à Henri Mahé du 10 janvier 1933.
2 - L'ouvrage propose aussi des photos inédites de Céline.
Gaël RICHARD, La Bretagne de L.-F. Céline, Du Lérot, 2013
Le volume 68 € à :
Du Lérot, éditeur
Les Usines Réunies
16140 TUSSON
Dans la presse :
Sur le sujet :
> 11 novembre 1918 : Céline à Dinan
> Les belles années rennaises de Céline (1918-1924)
> Céline, Breton par choix par Maïwenn Raynaudon-Kerzerho (2011)
> Le voyage en Bretagne d'Armelle Lavalou
> Bretons, Hors série n°9
> Louis-Ferdinand Céline à Rennes (1918-1924)
> Xavier Grall, la Bretagne et Céline
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C'est plus qu'un menhir ! c'est un dolmen ! avec les beaux ciels, la lumière de Bretagne... des photos inédites, des textes inédits, des découvertes biographiques, toujours avec précision, et écrit dans un style limpide, clair, vivant. 68 € pour 600 pages, ça vaut son pesant de crêpes et de bolées, et c'est un Sudiste qui le dit, un Tarnais, pas un Marseillais. Qui qu'en grogne ? C'est de l'étude qui rend palichons et grisâtres bien des pensums. Ne peut se dire célinien ou céliniste, qui n'a pas cet ouvrage dans les 24 heures. Des Gaël Richard, y en pas des bottes ! Il est bien le seul... Alors qu'il en faudrait dix pour décaper les légendes, restaurer le bonhomme. Et les éditions du Lérot, c'est du soigné, pas du collé qui gondole et s'envole. A vos coupe-papiers, amateurs de beaux livres !
RépondreSupprimerVraiment une merveille ce livre ! Admiratif du travail de Gaël Richard et de J.P.Louis !
RépondreSupprimerA commander sans attendre ! Sûrement vite épuisé...
Quand Eric Mazet aime, il aime bien ! Et il le dit, et il le claironne ! Et il a raison : Gaël Richard est le meilleur, tout simplement. Juste un petit truc qui me tarabuste : qui est-il, au juste, d'où vient-il ? Il est apparu, il n'y a pas si longtemps, dans l'univers célinien, et s'est imposé d'emblée par la qualité de son travail. Moi, j'admire le travail fini, cousu main : c'est dire si j'adhère. Une petite note biographique, tout de même, me ferait plaisir...
RépondreSupprimerBiographie de Gaël Richard : c'est un chercheur, un vrai, un sérieux (qui aime l'humour), un travailleur, pas dans l'à peu près ou les clichés, un artisan, pas un commercial, un jeune, et puis, ce qui est rare, un modeste, un effacé, pas un m'as-tu vu, m'as-tu lu, entendu, qui regrette même ses rares apparitions sur le petit théâtre célinien. C'est tout ce qu'on à savoir de lui. Et encore, j'en ai trop dit.
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