[...] Vous avez fait le choix en 1968 à
Nanterre de vous intéresser à Céline.
N’était-ce pas faire preuve d’originalité ?
En 1968, je voulais faire un doctorat de 3e
cycle de littérature française et j’avais été,
comme beaucoup, très marqué par Voyage
au bout de la nuit que j’avais lu quelques
années plus tôt. C’est l’un des très rares romans
dont je peux dire non seulement
qu’il m’a bouleversé, bien entendu, mais
qu’il y a eu pour moi comme un avant et
un après sa lecture. Oui, j’ai eu le sentiment
de n’être plus le même homme après
Voyage au bout de la nuit. C’était une
bonne raison pour aller un peu plus loin
dans ma réflexion sur Céline, que l’université
avait totalement ignoré jusque là. Un
terrain vierge en quelque sorte. Céline
était mort sept ans plus tôt. Je ne trouvais
pas de professeur pour diriger ma thèse –
il y avait alors un interdit qui pesait sur
l’écrivain, lié à son antisémitisme
abominable des années
30 et de la guerre -
jusqu’à ce qu’un jour
quelqu’un me conseille d’aller
voir un professeur
nommé Jean Levaillant. Celui-ci a accepté
le principe de cette thèse, il m’a simplement
précisé que je devais me limiter aux
deux premiers romans, Voyage au bout de
nuit (1932), et Mort à crédit (1936), avant
l’antisémitisme déclaré de Céline, et qu’il
ne pourrait guère m’aider, comme aucun
de ses collègues, du reste, puisque Céline,
encore une fois, avait toujours été ignoré
de l’université française. [...]
Un autre écrivain vous passionne,
c’est Stendhal. Pourquoi ?
Céline m’a occupé des dizaines d’années
après ma thèse. Je lui ai consacré d’autres
études, des articles, des livres, une grande
biographie etc. Je ne crois pas que j’avais
mesuré à ce point, au départ, l’importance
de cette oeuvre, son rôle décisif dans l’histoire de la littérature française. Dans le milieu
littéraire, on est vite catalogué. J’étais
devenu un "Célinien". Ciel !
Je déteste les étiquettes. Surtout,
j’ai eu besoin, à un moment
donné, de fuir les
cauchemars céliniens qui
vous oppressent, cette obsession
de la mort, de la misère,
cette intimité avec un
homme qui disait ne se réjouir que dans le
grotesque aux confins de la mort, tout le
reste lui était vain.. Je me suis alors retourné
vers un écrivain que j’avais lu, jeune
homme, qui était Stendhal. Comme un
besoin de soleil, d’Italie, de recherche du
bonheur, d’intelligence rapide. A Stendhal,
je pouvais évidemment associer Rossini,
sur lequel j’ai aussi beaucoup travaillé
- cette musique si heureuse ! En bref, j’ai
eu besoin de cette respiration, un peu
comme un contrepoison à ma longue et
difficile proximité avec Céline. [...]
Entretien avec Frédéric VITOUX, 754, la revue du Quatrième n°10, Juillet-Septembre 2012.
A écouter :
> Frédéric VITOUX (Apostrophes, 1988)
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