« A une première analyse, la honte semble réservée aux phénomènes d’ordre moral ; on a honte d’avoir mal agi, de s’être écarté de la norme. C’est la représentation que nous nous faisons de nous même comme un être diminué avec lequel il nous est cependant pénible de nous identifier (…). Mais toute l’acuité de la honte, tout ce qu’elle comporte de cuisant, consiste précisément dans l’impossibilité où nous sommes de ne pas nous identifier avec cet être qui déjà nous est étranger et dont nous ne pouvons plus comprendre les motifs d’action. (…) La honte apparaît chaque fois que nous ne pouvons pas faire oublier notre nudité. Elle a rapport à tout ce que l’on voudrait cacher et que l’on en peut pas enfouir (…) cette préoccupation de vêtir pour cacher concerne toutes les manifestations de notre vie, nos actes et nos pensées. Nous accédons au monde à travers les mots et nous les voulons nobles. C’est le grand intérêt du Voyage au bout de la nuit de Céline que d’avoir, grâce à un art merveilleux du langage, d’avoir dévêtu l’univers, dans un cynisme triste et désespéré. »
Emmanuel LEVINAS, « De l’évasion » dans Recherches philosophiques, V, 1935-1936, p. 373-392.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire