jeudi 8 mai 2014

Louis-Ferdinand CÉLINE à Copenhague : le témoignage du journaliste SAMUELSON

Céline à Copenhague (été 1945)


« C'est le plus acharné de mes chacals – il voyage entre Paris et Copenhague exprès pour me harceler »



1944. Céline et Lucette, qui viennent de se marier, partent le 14 juin de la gare de l’Est pour l’Allemagne. Baden-Baden, Berlin, Kraenzlin, Sigmaringen seront les passages obligés pour atteindre le but premier de cette fuite : le Danemark, où Céline avait caché avant-guerre chez une amie danoise ses économies converties en pièces d’or. Le couple arrive à Copenhague le 27 mars 1945. Il y occupe un appartement mis à disposition par une amie, Karen Marie Jensen, situé au 20 Ved Stranden.

Le premier journal a révéler la présence du couple à Copenhague est l'hebdomadaire Samedi-Soir dans un article daté du 15 décembre 1945. Le 16, c'est au tour du journal danois Politiken de relayer l'information. Le journaliste qui a confirmé l'information à la presse française, c'est Mr Samuelson, correspondant danois de l'Agence France-Presse. En confirmant la présence de Céline à ses collègues parisiens, il va jouer un rôle important dans les poursuites judiciaires que devra affronter l'écrivain, son arrestation et son emprisonnement pendant 18 mois. 

À partir de cette date, les autorités françaises, qui découvrent ou feignent de découvrir la présence de Céline dans la capitale danoise s'activent... et demandent l'arrestation et l'extradition de l'écrivain. Le 18 décembre 1945, Guy Girard de Charbonnière, envoyé extraordinaire à Copenhague, officialise par lettre la demande d'arrestation demandée par téléphone la veille en fin d'après-midi au cabinet du Ministre des Affaires étrangères, Gustav Rasmussen1. La police danoise arrête Céline le 17 décembre 1945 vers 20h.

La France envoie un dossier d’accusation si faible que les services danois tergiversent et refusent d’extrader l’écrivain. Il sera libéré en juin 1947 sans être autorisé à quitter le pays et sera logé par son avocat Thorvald Mikkelsen à Klarskovgaard sur les bords de la mer baltique. Il y restera jusqu’à son retour en France en 1951.

Voici le témoignage de É. Samuelson diffusé sur les ondes de la radio suisse R.T.S. en avril 2012 à l'occasion de la programmation d'une série de cinq émissions consacrées à Céline2






Céline, avec toute la mesure qu'on lui connaît, fera de ce journaliste un portrait savoureux :

« J'ai refusé comme cela au début avant mon arrestation de recevoir un journaliste danois nommé Simonsen [sic] – depuis il ne me lâche plus. C'est le plus acharné de mes chacals – il voyage entre Paris et Copenhague exprès pour me harceler. Cette gent journaliste est infect »3

« On vous rapporte l'incident du subordonné congédié tout de travers. Il s'agit en réalité d'un journaliste danois, représentant ici une agence de presse et nommé Simonsen [sic] – qui s'était présenté chez moi – la veille de mon arrestation. J'ai refusé de le recevoir – il comptait énormément vous le pensez sur un [sic] interview – Déçu il m'a voué une haine absolue. Il la reporte sur Charbonnière qu'il engueule quand il le peut, publiquement – lui faisant grief de Vichy, prétendant, tout de travers, que nous sommes complices etc... Ce Simonsen est aussi un imbécile »4

Dans ce dernier extrait, Céline fait référence aux attaques du journaliste contre Guy Girard de Charbonnière publiées dans Franc-Tireur le 27 juin 1946 et dans lequel il accuse le diplomate d'être complice avec Céline et de faire son possible pour empêcher toute extradition en dévoilant ses prétendues sympathies vichystes. Alors qu'il gardera longtemps l'image du féroce persécuteur de Céline, Charbonnière aura à cette époque été largement dénoncé pour sa mollesse. Son manque de zèle pour cette affaire Céline lui vaudra notamment les attaques de L'Humanité en février 1946 et novembre 1947. Gustav Rasmussen, Ministre des Affaires étrangères, enverra pour le soutenir un démenti à la presse et lui affirmera « au cours d'une conversation privée : "Il est vraiment injuste de vous faire supporter le poids de nos propres péchés." »5 

Malgré la réception de quelques éléments nouveaux envoyés par la justice française et en invoquant auprès des autorités danoises « l'intérêt très vif que l'opinion publique française porte à l'affaire Céline », Charbonnière restera très étonné de la faiblesse du dossier d'accusation :

« Je suis même surpris que, s'agissant d'un collaborateur aussi notoire que Céline, il n'ait pas été possible au Juge d'Instruction de rassembler des témoignages plus convaincants. »6

Samuelson continuera pour sa part à s'intéresser à cette affaire. Le 9 mars 1947, il signe un article dans le journal Social Demokraten7 dans lequel il s'interroge sur les tergiversations de la justice danoise et les conséquences d'une extradition :

« Il y a bientôt deux ans que les autorités danoises tiraillent pour prendre une décision sur une affaire qui dans son ensemble présente un caractère inaccoutumé et dont le dénouement pourrait arriver à établir un précédent si le Danemark, en tant que nation alliée, allait refuser de donner suite à une demande officielle d'extradition d'un ressortissant appartenant à une autre nation alliée, accusé dans ce pays d'activité nazie pendant l'occupation allemande. »

À son grand dam, Céline ne sera pas extradé et évitera probablement le sort de son premier éditeur, Robert Denoël, assassiné à Paris le 2 décembre 1945.

Matthias GADRET
Le Petit Célinien, 8 Mai 2014



Notes
1- Cf. Gaël Richard, Le procès Céline, Du Lérot, 2010, p. 90.
2- « Céline, écrivain et pamphlétaire », RTS, 23-29 avril 2012. Un enregistrement disponible sur www.lepetitcelinien.com.
3- Lettre à Marie Canavaggia du 13 mai 1947, Cahiers Céline 9, Gallimard, 2007, p. 300.
4- Lettre à Canavaggia, 30 mai 1947, Cahiers Céline 9, Gallimard, 2007, p. 307.
5- François Gibault, Céline, Tome III, Mercure de France, 1985, p. 99.
6- Lettre à Georges Bidault du 21 septembre 1946.
7- Reproduit dans Gaël Richard, Le procès Céline, Du Lérot, 2010, p. 135-138.

> Korsør 1948 : Georges de Caunes rencontre Céline
> Les différentes demeures de Céline à Klarskovgaard

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